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Le vin rosé voit rouge !

Par Findawine

En janvier dernier les 27 États membres de l’Union européenne ont voté un projet de directive autorisant le mélange de vin rouge et de vin blanc dans l’élaboration du rosé.

Le texte en question a été envoyé à l’Organisation Mondiale du Commerce pour approbation et sera soumis à un vote final au sein de la Commission européenne le 27 avril prochain. L’adoption de la réforme sur le coupage rentre dans le cadre du plan de réforme du secteur du vin européen déjà adopté par les pays de l’UE fin 2007. Michael Mann, porte parole de Marianne Fischer Boel, commissaire européen pour l’agriculture et le développement rural, prétend que l’objectif d’une telle décision vise à favoriser les exportations des vins européens, notamment vers la Chine, en se libérant des “entraves œnologiques” pesant sur ce commerce. Il insiste qu’une telle mesure contribuerait à l’amélioration de la qualité et de l’image du vin européen en permettant l’augmentation de ses parts de marchés à l’étranger. Et pourquoi pas y rajouter du lait pour faire du Danao…?

Le rosé en danger !

Blanc sur rouge, rien ne bouge…

Difficile pour nos vignerons d’être optimistes lorsque le sort s’acharne. D’abord ce débat sur l’interdiction de la publicité sur Internet, ensuite les conclusions opportunément “sorties de derrière les fagots” d’un rapport de l’Inca sur les effets cancérigènes du vin et maintenant le sacrifice du vin rosé sur l’autel de la piquette rose. Un dernier coup de grâce que les viticulteurs de Provence, principale région productrice de vin rosé, n’ont pas l’intention de laisser passer inaperçu.

Le rosé, le vrai, c’est à dire produit selon la méthode traditionnelle, est réalisé à partir de raisins rouges (jus incolore) dont la pulpe et la peau (élément “colorants”) sont macérées pendant une durée relativement courte qui va de 6 à 24 heures. Lors de la macération pré-fermentaire de la vendange, les composés pelliculaires qui fournissent entre autres les arômes, et les anthocyanes responsables de la couleur du vin, se diffusent vers le moût. Parvenir à la réalisation d’un vin rosé est un art qui nécessité un savoir-faire spécifique. Frais, léger et fruité, le rosé n’est ni un vin blanc, ni un vin rouge, mais un vin à part entière.

Cette réputation est le fruit d’un travail de longue haleine réalisé par le Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence (CIVP) et les viticulteurs de la région. Car ce qui semble être le plus vieux vin de l’Histoire a en effet connu une période sombre pendant laquelle il était assimilé à l’offre bas de gamme mais bon marché. Une époque révolue comme le confirme les habitudes de consommation des français et les statistiques correspondantes. Selon le CIVP, la consommation de rosés est passée de 8% à 22% de la consommation totale de vins en France durant les quinze dernières années, dépassant au passage les ventes de vins blancs en volume. A l’exportation, le rosé compte pour une bouteille sur dix.

…Rouge sur blanc, tout fout le camp !

Il est vrai que le coupage est déjà utilisé dans l’élaboration des Champagnes rosés et du vin espagnol “Mescla” (”mélange” en français). Ce dernier est cependant interdit à l’exportation et la méthode en elle même est très mal perçue au sein du milieu viticole français. Si les parlementaires européens souhaitent mélanger du vin rouge avec du vin blanc pour découvrir de nouvelles sensations œnologiques, qu’ils le fassent ! Mais qu’ils n’appellent pas cela du rosé. Les producteurs européens en difficulté pourront désormais capitaliser sur le succès de cette appellation. Ils seront libres d’utiliser le surplus de vins non vendu, mélanger le rouge avec le blanc, et inonder le marché avec un vin rose(âtre) de piètre qualité mais bénéficiant de l’appellation rosé.

Pour les producteurs français, les enjeux sont de taille. Il s’agit de protéger la tradition, la qualité et de récolter enfin les bénéfices d’un long travail de revalorisation de ce produit. Au delà de ces préoccupations, Monsieur Falco, secrétaire d’État chargé de l’Aménagement du territoire et maire de Toulon, a demandé au ministre de l’Agriculture Michel Barnier d’intervenir auprès de l’UE en soulignant les conséquences “très graves sur le plan économique, sur le pan de l’emploi, mais aussi en termes d’aménagement du territoire, en particulier sur le paysage” d’une telle réforme. Le rosé représente en effet plusieurs dizaines de milliers d’emplois en France, dont la plupart concerne la Provence. Pas étonnant lorsqu’on sait qu’un tiers de la production mondiale de rosé se fait sur le territoire français.

On s’interroge encore sur la position de Monsieur Barnier, qui lors du premier vote de l’UE en janvier concernant les mélanges s’était montré favorable. Il semble aujourd’hui faire marche arrière mais il est difficile de prévoir l’envergure de son engagement en faveur des producteurs de rosé pour les mois à venir. Jusqu’à présent le meilleur espoir pour la filière reste l’ouverture de Madame Boel à l’introduction d’un étiquetage spécifique du type “rosé traditionnel” pour les rosés français. Encore faut il que la lecture de cette indication importe réellement pour le consommateur néophyte étranger. Une fois de plus, le consommateur sera l’une des grandes victimes de ce projet de réforme. L’incompatibilité flagrante des mesures proposées avec les objectifs présentés devraient pousser les législateurs européens à mettre un peu d’eau dans leur vin…


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