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Vin et histoire # 7: Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), le vin en philosophie

Par Findawine

Après Montaigne, abordons le rapport qu’un autre philosophe célèbre a entretenu avec le vin. Il s’agit de Jean-Jacques Rousseau qui s’est particulièrement intéressé à son symbolisme et à son influence sur l’homme.

Présentons succinctement cet illustre penseur du siècle des Lumières. Né à Genève dans une famille calviniste, abandonné par son père à l’âge de 10 ans, Rousseau se forme au gré de ses errances à pied et de ses rencontres. En particulier, celle avec Madame de Warens influencera grandement son œuvre.

Passionné de musique, il écrit des articles sur ce thème dans L’Encyclopédie. Il acquiert ensuite une notoriété philosophique avec sa théorie de l’homme dans le Discours sur les sciences et les arts (1750). Il y prend comme hypothèse méthodologique que l’homme naît naturellement bon et heureux mais que la société le corrompt et le rend malheureux.
Mais son œuvre principale, Du Contrat Social, analyse les principes fondateurs du droit politique. Il y propose un ordre naturel, conciliant la liberté individuelle et les exigences de la vie en société, qui inspirera toute la philosophie de la Révolution française.

Jean-Jacques Rousseau

Rousseau et le vin

Rousseau trouve dans le vin et plus généralement dans la nourriture des messages philosophiques.

Rousseau accorde en effet dans ses œuvres un fort symbolisme à la nourriture et plus particulièrement au vin. La boisson est en effet, selon lui, source de la distinction entre les hommes et les femmes. Dans Emile ou de L’Education, il déclare : « les femmes mangent du pain, des légumes et du laitage » (p 248). Après, son amie Sophie va donc en manger. « Sophie a conservé le goût propre de son sexe : elle aime le laitage et les sucreries ; elle aime la pâtisserie et les entremets mais fort peu la viande ; elle n’a jamais gouté ni vin, ni liqueur forte. » Emile ou de L’Education, (p 749)

A l’opposé, les hommes chercheront saveurs fortes et liqueurs spiritueuses, vin noir et viande rouge. Cela va parfois les viriliser à l’excès. « Les grands mangeurs de viande sont en général cruels et féroces plus que les autres hommes, cette observation est de tous les lieux et de tous les temps. » Emile ou de L’Education (p 411)
Or l’homme à l’état de nature s’alimente, selon lui, comme une femme. « La première fois qu’un sauvage boit du vin, il fait la grimace et le rejette. » Emile ou de L’Education(p 408)

Il existe donc une dichotomie très nette entre la boisson des femmes et celles des hommes. Dans le monde idéal de Rousseau, un sexe ne peut ingérer ce que l’autre consomme sans perdre son identité, c’est l’élément qui permet de les distinguer. Il considère ainsi le vin rouge tannique, tel le vin de Bordeaux, vin dit noir à l’époque, comme un attribut masculin.

Par ailleurs, Rousseau défend la consommation de vin, décelant dans le buveur un fonds de bonté.
« L’excès de vin dégrade l’homme, aliène au moins sa raison pour un temps et l’abrutit à la longue. Mais enfin, le goût du vin n’est pas un crime… Pour une querelle passagère qu’il cause, il forme cent attachements durables. Généralement parlant, les buveurs ont de la cordialité, de la franchise ; ils sont presque tous bons, droits, justes, fidèles, braves et honnêtes gens, à leurs défauts près. » Lettres à d’Alembert, 1755

Mais, en dehors de sa portée philosophique, Rousseau aime-t-il véritablement le vin ?
Sa préférence va indéniablement au laitage. Il nous le fait savoir dans les Confessions. Par exemple, entrant à Turin chez un marchand de laitage, il y jouit, nous dit-il, de l’un des meilleurs repas de sa vie.
Néanmoins, Rousseau a le goût du vin blanc. Il n’apprécie guère le vin rouge. Les vins qu’il boit sont les vins locaux de ses périples autour de Chambéry et Genève.

La cave de Jean-Jacques Rousseau

Rousseau évoque essentiellement les vins dans son œuvre autobiographique Les Confessions.

Roussette de Savoie
Rousseau, dans sa jeunesse, à l’instar de la bourgeoisie calviniste, se délecte des vins de Frangy et Desingny, vignoble situé sur la rive gauche du Rhône à la sortie du Lac de Genève. Aujourd’hui ces vins sont classés en AOC « Roussette de Savoie ».

Côtes du Jura
Arbois

Rousseau, précepteur des enfants de Madame de Mably, profite largement de ce vin du Jura.
« Je m’avisais de convoiter un certain petit vin blanc d’Arbois, très joli, dont quelques verres, que, par-ci par là, je buvais à table, m’avaient fort affriandé… On me le confia ; je le collai et le gâtai, mais aux yeux seulement. Il me resta toujours agréable à boire et l’occasion fit que je m’en accommodai de temps en temps quelques bouteilles pour boire à mon aise en mon petit particulier. » Les Confessions, 1782
Il établit, à partir de cette expérience, la théorie selon laquelle le vin rapproche les hommes et abolit pour un temps les distances établies par la naissance et la fortune.

Lavaux
Ce vin vaudois du bord du Lac Léman est évoqué dans Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761) qui relate la passion amoureuse entre Julie d’Etanges et son précepteur Saint-Preux.
Le petit vin blanc de Lavaux plaît à tous et Julie de Clarens, la « bienfaisante fée », sait y mêler des simples pour en faire, à la demande, « du rancio, du cherez, du malaga, du chassaigne, du siracuse ».

Vin suisse, Bern
Malgré sa préférence pour le vin blanc, Rousseau semble vouloir essayer le vin rouge, sans doute pour affirmer sa virilité. Il voudrait notamment en boire à Thoune, près de Berne, pour pouvoir faire la cour aux demoiselles et se montrer à la hauteur de la situation.
« Mais malheureusement, on avait oublié du vin (…) elles envoyèrent chercher du vin partout aux environs. On n’en trouva point. » Les Confessions (p 137).


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