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Patrick Roger, artiste « cabossé »

Par Olivier Et Nathalie
Patrick Roger, artiste « cabossé »À l'heure où s'ouvre à Paris Porte de Versailles la grand-messe du chocolat, c’est à Sceaux que Du nez au palais a choisi de goûter les plus époustouflants délices chocolatés. En marge de l'évènement, l'infatigable Patrick Roger nous a guidés dans un parcours initiatique digne de Roald Dahl.
Devant un grand bâtiment blanc, une ancienne imprimerie qu’il a achetée il y a deux ans pour en faire son laboratoire, sont garées une Ducati rouge et rutilante, ainsi qu’une vieille Fiat Topolino vert émeraude, la couleur fétiche de la marque. Un grave accident de moto, qui lui a salement amoché la main et la jambe il y a deux ans, ne l’a pas fait renoncer aux trépidations de sa machine. Téméraire il était, téméraire il restera. Et il suffit de pénétrer dans l’antre du chocolatier pour s’en convaincre.
À peine entré, l'odeur presque animale du chocolat vous prend à la gorge, mêlée aux parfums de noisette croustillante, de beurre salé crépitant, du caramel chaud, de la pâte de coing en préparation. « Les coings proviennent de chez mes parents, anciens boulangers dans le Perche, et mon miel vient d’ici », déclare l’artiste, un brin fanfaron. Des ruches à Sceaux ? Pas besoin de douter bien longtemps : de l’atelier, on aperçoit le potager de Patrick, avec ses alignements bien ordonnés d'herbes aromatiques, bordés par ses ruches... Ce miel toutes fleurs est délicieux en effet, avec un léger goût mentholé, rehaussé par une pointe de pélargonium (les ouvrières de Patrick ont évidemment butiné sans relâche les balcons de la ville, meublés de géraniums !).

Après le miel, qu’il nous tend dans un bol en inox, Patrick nous entraîne vers une cagette remplie à ras-bord d’orangettes en chocolat. Impossible de se faire prier : les oranges confites proviennent de Corse, leur parfum est unique, et en bouche, leur moelleux incomparable. La couverture en chocolat, fine et sensuelle, les enrobe telle une seconde peau… 
Patrick Roger, artiste « cabossé »
Quelques instants plus tard, au moment de la dégustation de caramels, au cassis, à la pêche, et au thé de Ceylan, on s’en voudrait presque d’avoir déjeuné et même petit-déjeuné. Il nous faut ensuite contourner précautionneusement des bassines fumantes de pulpe et de jus de coings pour revenir goûter à des tablettes de noir amandes, en cours de fabrication elles aussi : deux jeunes femmes s’affairent à disposer une par une sur des tablettes de chocolat noir luisant des amandes entières. Un travail d’une incroyable minutie, car celles-ci doivent être toutes placées dans le même sens… Perfectionniste ascendant maniaque, Patrick, qui régale autant ses visiteurs de boutades que d’irrésistibles douceurs, veille au grain et à la bonne marche des machines comme à celle de la mécanique humaine. Là où on s'attendrait à voir s'affairer une armée de marmitons, s’activent à peine dix personnes, dans la bonne humeur et la précision du geste.

Pas de stress mais du plaisir, plaisir de travailler sous la houlette d’un authentique artisan, passionné et un peu fou, que rien n’arrête quand il a décidé de se lancer dans la course : c’est ainsi qu’un sapin en chocolat de 10 mètres de haut, pesant pas moins de 4 tonnes, a vu le jour dans son laboratoire, au milieu duquel il trône, poudré jusqu’au sommet de neige décor (un sucre glace résistant à l’humidité, ndlr) avant d’être offert au prochain Téléthon. Une armature unique, formée de nid d’abeille tout chocolat, a rendu possible sa construction. Un mois de travail et sept jours d’installation pour une œuvre à la hauteur de sa démesure (voir photo ci-dessous) !
Patrick Roger, artiste « cabossé »
Quand il dit « cho-co-lat », Patrick Roger sait de quoi il parle : il fêtera samedi ses 10 ans de MOF (Meilleur Ouvrier de France), distinction hautement honorifique qui autorise le port du fameux col bleu-blanc-rouge sur une veste de travail. À cette occasion sera proposée dans ses quatre boutiques parisiennes la réédition de ce qui l'a fait entrer au Panthéon des plus grands chocolatiers : une ganache de chocolat noir, au goût subtil de citron vert du Brésil, parsemé de pommes poêlées et déglacées au miel de la chocolaterie, le tout serti d’un dôme de nougatine... un régal éphémère, puisqu’il ne sera commercialisé que l’espace d’une journée commémorative. Qu’on se le dise !
À la question de savoir d'où proviennent ses matières premières, Patrick énumère une liste de pays réputés dangereux : Cuba, Vanuatu, Colombie… Normal, « partout où ça cogne, j’aime bien », rétorque Patrick, que son âme de franc-tireur pousse sans cesse à la perfection, quel qu’en soit le prix. En l’occurrence, travail acharné, et exigences quasi surhumaines pour élever ses créations au rang de chef-d’œuvre. Une rage où le génie et la volonté de toujours mieux faire l’emportent haut la main sur la vanité et la rentabilité. « Je dois être un des seuls à être encore chocolatier. C'est pour cela que je propose 36 choix de tablettes différentes ! Mais je me considère plutôt cuisinier, à mi-chemin de la confiserie avec mes pâtes de fruits, mes " bonbons " au chocolat, et de la cuisine avec mes chocolats du jour ».
Patrick Roger, artiste « cabossé »
Mais il ne s'arrête pas là. À vrai dire, il ne s'arrête jamais. Trois nouvelles boutiques s’apprêtent à ouvrir leurs portes : à Saint-Germain-en-Laye, au Village royal près de la Madeleine dans le 8e arrondissement de Paris, et enfin, à l’automne 2011, Bruxelles, dans le décor improbable d’une maison de joie datant du XIVe siècle. Une provocation qui réjouit l’artiste, heureux de sa future incursion dans un bastion dédié traditionnellement au chocolat industriel. À ses heures « gagnées », ce jeune quadra, père de deux petites filles, se paie le luxe de produire chaque année 20 à 30 bronzes moulés sur ses œuvres chocolatées. L’une d’elles, compromis étrange entre un poisson-lune et un hérisson, a été offerte par l’artiste à un autre maestro de l’art culinaire français, le très emblématique Pierre Gagnaire. Tout un symbole !
Olivier Brandily et Nathalie Helal

Patrick Roger
Boutiques : 47, rue Houdan 92330 Sceaux / 199, rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris / 91, rue de Rennes 75006 Paris / 108, Bd Saint-Germain 75006 Paris /45, av. Victor Hugo 75016 Paris
Contact : Joanne Pioline

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