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Le vin des culs-terreux

Publié le 27 août 2008 par Rendez-Vous Du Patrimoine

Clichés I. Rambaud
J’avais prévu d’écrire un billet d’humeur sur les bouchons des bouteilles de vin. Car le liège, naturel, souple et réutilisable devient denrée rare et quasi suspecte, remplacée par les bouchons de plastique, matière artificielle, dense pour ne pas dire dure, certainement inattaquable mais aussi impossible à réutiliser que des bouchons de Champagne car ils « gonflent » dès l’ouverture, désagréables au toucher, insensibles...

Bref, j’étais mécontente et presque soulagée, malgré mon attachement à la matière naturelle et quasi vivante du liège, d’apprendre que les uns et les autres allaient disparaître... au profit du « bouchon à vis ».
Les grands crus s’y mettent et l’effet de protection est garanti, même s’il faut se faire aussi à l’abandon du geste qui disparaîtra peu à peu, le sommelier tirant un bon coup sur son outil pour extraire le bouchon avec ce bruit si délectable qui anticipe le plaisir.
Mais après ce que j’ai vu sur FR3 hier soir, ma petite colère contre les bouchons de plastique est vite retombée !

Car le documentaire de Jonathan Nossiter, « Mondovino » (sorti en 2003) m’a littéralement fascinée. L’air de rien, avec une caméra pleine de délicatesse et d’humour, presque « pétillante », il confronte, pour le seul domaine de la production du vin dans le monde, deux univers que je n’imaginais même pas et qui s’opposent comme deux frères ennemis, deux civilisations.
D’un côté, la tradition, le terroir, le caractère, la durée (« les vins qui défient le temps »), l’appellation d’origine contrôlée. Champions de ce combat, Aimé Guibert à Aniane (34) producteur du Daumas Gassac ou Hubert de Montille à Volnay, producteur bourguignon du Taillepieds.
Les pieds dans les vignes ou dans leurs chais, ils parlent de relation privilégiée quasi religieuse de l’homme avec les éléments naturels, le sol vivant, le climat. Ils parlent d’amour, d’humilité, de poésie, de bonheur de vivre. Pour eux, « le monde moderne aime se faire bluffer » (Hubert de Montille).

En face, c’est l’innovation technologique, le marketing, la globalisation du goût, la rapidité, la marque. Champion : la famille Mondovi (qui donne son nom au documentaire), installée à Napa en Californie mais qui essaime en Italie (Toscane) et par ses méthodes en Argentine ou au Chili. On parle de modernité, de jeunesse, de progrès, de laboratoires de recherche, de capitalisme, de grande distribution aussi et d’emplois. Les échelles ne sont pas les mêmes.

Entre ces deux mondes, d’autres acteurs naviguent et font ou défont les réputations et la diffusion du vin : les critiques, au premier rang desquels Robert Parker qui règne à travers le monde sur les notes attribuées par les magazines et d’autre part les œnologues comme Michel Rolland, "le wine-maker", qui officie en France entre son laboratoire de Pomerol et ses 400 clients dont Mondovi.
Ces deux mondes ne s’ignorent pas, ils s’affrontent avec la même violence que s’il s’agissait d’une guerre et sans doute en est-ce une. Michel Rolland traite les « résistants » à sa méthode au mieux d’ « élitistes » ou de « réactionnaires », au pire de « paysans » ou de « culs-terreux » ; ceux-ci rétorquent qu’ils n’ont rien à faire avec « des collaborateurs », qu’ils « ne vont pas passer de l’autre côté », là où « le goût du vin, c’est le goût du bois ».
L’affrontement est la fois technique, les anciens reprochant « aux Mondovi » de privilégier un type de vin concentré dominé par le merlot et de répondre au goût de la clientèle en uniformisant les vins (y compris par une suspecte valse des étiquettes ou par une coloration artificielle), mais aussi politique comme à Aniane où le maire communiste a pris la tête du combat contre Mondovi et le grand capitalisme américain tandis qu’Aimé Guibert parle de « fascisme de la distribution ». Il peut aussi être perçu comme un combat quasi spirituel comme en témoigne ce distributeur, américain pourtant, Neal Rosenthal qui à Brooklyn s’élève contre le développement de la marque au détriment du vin de caractère, expliquant avec émotion qu’aujourd’hui « le vin a perdu son âme » et que c’est la domination diabolique du "goût globalisé". Aimé Guibert de son côté dénonce la musique que Michel Rolland, tel le célèbre joueur de flûte, a su jouer pour "faire danser les bordelais".L'uniformité devenant la règle, ici comme ailleurs, souhaitons que nos concitoyens gardent assez de sens critique et de bon goût pour rester fiers de leurs vins et de l'immense richesse qu'est leur diversité.Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !

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