Un jour, ma belle-soeur espagnole m'offre une bouteille de Qubél "Barrica" 2002. Il a fallu peu de temps pour lui faire honneur : c'était assez différent de ce que j'ai pu boire et rien à voir avec certains vins espagnols, n'ayant ni la chaleur, ni le boisé parfois tapageur et un peu too much de certains ibères : un vin très plaisant et surtout, paraissant bien structuré et respectant le fruit.
Rendez-vous est pris avec le domaine, histoire de voir comment se comporte le reste de la gamme...
La Bodega y Viñedos Gosálbez Orti est à Pozuelo del Rey (700 mètres d'altitude), située dans la communauté
de Madrid. Nous sommes à peine à 45 km de la capitale, dans un petit village entouré d'oliviers et de vignes et bordé de... rien. On a peine à penser qu'ici si proche de 4 millions d'habitants on puisse faire du vin.Les vins sont classés en "Vinos de Madrid", D.O créée en 1990. On fait du vin dans cette région depuis les romains...
Le domaine est tenu par Estrella Orti et Carlos Gosálbez. Ce domaine, c'est un peu un rêve de gosse. Isabél a occupé différents postes, tant aux affaires, qu'en politique. Elle fût même traductrice et parle d'ailleurs parfaitement la langue de Molière.
Carlos, ingénieur de son état, était autrefois pilote de ligne dans la plus grande compagnie d'aviation espagnole. Le virus du vin l'a contaminé alors qu'il avait un peu plus de 30 ans. Il dit même que c'est cette boisson qui l'a guéri de grands maux de ventre.
Pour préparer leur retraite et se lancer un dernier grand défi, comme ils disent, ils plantent leurs premières vignes en 1992 à Campo Real.
Jusqu'au premier millésime produit sous l'étiquette Qubél en 2000, les raisins étaient vendus à la coopérative locale.
Aujourd'hui, le vignoble compte 6,5 ha, plantés du cépage roi espagnol par excellence, le tempranillo (el tinto) complété de syrah, cabernet sauvignon et de merlot. Les rendements sont d'environ 40 hl/ha pour les cépages autres que le tempranillo, car pour ce dernier, c'est une autre histoire : là où il pousse, les sols sont pauvres. Du coup, le tempranillo n'est planté qu'à 2500 pieds à l'hectare. Pas de blancs, que des rouges.
Carlos est à la conduite du domaine, qui est en bio depuis le départ de l'aventure. Pas de chevaux, les sols sont désherbés mécaniquement. Une vendange en vert est effectuée, traditionnellement pour limiter les rendements. Les raisins atteignent aisément plus de 14° alcoolique. Ici, on a pu s'en rendre compte le jour de la visite en août, le soleil tape vraiment fort : il fait 37°c à l'ombre !
Côté vinification, les installations classiques sont flambant neuves et dans un état de propreté exemplaire. On pourrait y manger par terre !
Le raisin arrivant de la vendange en caissette de 15 kg, est protégé du soleil. Il est trié puis éraflé entièrement car avec ces chaleurs ici, des tanins il y en a à revendre !
Pour la fermentation, les levures issues de la bodega sont introduites après avoir été sélectionnées par une entreprise locale, fer de lance dans son domaine : les plus grands noms du monde entier envoient leur levures pour une sélection.
Lors de la macération courte (5 jours), Carlos effectue des délestages. Pratique qu'il tient d'une personne qu'il respecte: Dominique Delteil. Le principe : la cuve contenant la macération et la fermentation, est écoulée dans un contenant puis réinjectée de suite dans une autre cuve. Là, le moût repose environ 2 heures. Puis il est réintroduit dans la cuve d'origine grâce à une pompe à haut débit (mais faible pression) sur le châpeau de marc. Le haut débit permet de noyer le marc qui ne demande pourtant qu'à flotter. Cette technique qui semble agressive pour le futur vin n'en est rien, car elle a pour objectif d'oxygéner le moût et d'apporter une extraction plus importante des composés phénoliques. Attention toutefois aux nombre de délestages effectués, qui auraient pour effet de rendre les vins astringents dans leur jeunesse, mais ce n'est pas le cas à Qubél. On le verra plus tard lors de la dégustation.
Ensuite, le vin est élevé en barrique de chêne français en majorité (provenant de divers tonneliers) et complétés par une essence de chêne américain. La chauffe est légère.
Pas de bâtonnage, mais c'est tout comme grâce à un ingénieux système qui permet de tourner les barriques durant l'élevage. Le fût est logé dans un cerclage sur roulements à billes qui facilite son retournement.
La mise en bouteille intervient au terme d'un élevage de 6 à 25 mois selon les cuvées et les millésimes.
Au final, cette petite production délivre seulement 13000 bouteilles...
La partie développement et comptabilité de la bodega est tenue par la femme de Carlos, Estrella. Judicieusement, les économies familiales sont investies en même temps dans la publicité, les inscriptions à des salons/concours, à la construction d'une magnifique Oenothèque que pour l'achat des équipements permettant la vinification. En Espagne, on peut faire à peu près ce que l'on veut en matière de publicité sur le vin (tiens, quel beau pays ;-)). Mais si Estrella est aux affaires, il n'empêche qu'elle goûte et donne son avis sur les vin de son vinificateur de mari.
Au fait, Qubél, ça vient d'où et ça veut dire quoi ? Il faut prononcer "coubel". Estrella cherchait un nom qui sonnait dans à peu près toutes les langues. En arabe, "Cubbel" signifiait autrefois "coupole". Restait à trouver une étiquette en forme de blason, et l'aventure pouvait commencer.
Après 2 heures passées avec Carlos et Estrella, nous partons enfin en route pour l'oenothèque qui est à 2 pas de la bodega, pour déguster quelques cuvées. Nous sommes accueillis par Natasja, américaine de son état, responsable de l'oenothèque et qui a été gagnée par le virus de l'Espagne il y a quelques années. Du coup, elle s'est établie avec sa petite famille.
A cet endroit, les conditions de dégustations sont tout simplement TOP. D'abord parce qu'enfin, il y a un peu de fraîcheur, vraiment bienvenue par cette chaleur terrassante d'août ! Et puis il y fait clair, il y a de la place et l'endroit est coquet.
Nous prenons place avec Javier, ami espagnol qui avait fait le voyage avec moi. Un petit sourire nous habite, lorsque nous tendons notre verre pour qu'on nous serve. A l'attaque !
Qubél Excepción 2004 (3500 bouteilles). Un 100 % grenache, dont les raisins sont achetés au voisin (bio) en attendant que les vignes du domaine nouvellement plantées de grenache commencent à produire.
Le nez est mur, pas compoté, avec une touche de fumée et d'épices. L'élevage est volontairement court (6 mois en fûts anciens) pour préserver le fruit. Malgré un petit creux en milieu de bouche, le vin se reprend admirablement, donnant beaucoup de gourmandise et de fruit.
Un vin plein de vie, ayant gardé une certaine fraîcheur. Beaucoup aimé.
Qubél Crianza 2002. 80 % tempranillo, 10 cabernet sauvignon, 10 syrah. Le vin est élevé 10 mois en fût, avant de reposer 10 mois en cave (principe de la crianza). Le nez propose de beaux arômes de cigare et de menthol. En bouche, énorme fruité avec des tanins encore présents. L'ensemble qui donne un joli volume, est équilibré et possède très certainement un bel avenir.
Qubél Pacienca 2003. Considéré comme un "Reserva". 70 % tempranillo, 10 cabernet sauvignon, 10 syrah et 10 grenache élevés 16 mois. Le nez et la bouche sont très murs et les tanins un peu secs. Même ici, l'effet millésime se fait sentir. Même en Espagne, l'été 2003 fût harrassant !
Qubél Nature 2005 : autrefois appelé Crianza, la bodega lui donne maintenant ce nom plus explicite. 80 % tempranillo, 10 cabernet sauvignon, 10 grenache. 14 mois d'élevage lui assurent de subtiles touches épicées. Le nez est très avenant, serré, genre confiture de fraise. On change de catégorie avec ce millésime : les tanins sont soyeux et denses à la fois. La bouche s'exprime sur un registre un peu sauvage (cuir) et aboutie. C'est diablement bon ! Très belle longueur.
Que dire de ces vins ? Sans hésiter, on constate un saut qualitatif depuis les premiers millésimes. Les tanins ont gagné en finesse, en maturité. Le fruit est toujours autant respecté et je dirai même qu'il est mis plus en valeur. C'est certainement à force d'expérience et de travail. Et pourtant le domaine n'a que 8 ans !
Je tenais à remercier pour leur accueil chaleureux (à la mode espagnole) et le temps qu'ils ont bien voulu nous consacrer Natasja, Estrella Orti et Carlos Gonsálbez.
Ici, on est très loin des "super méga" productions espagnoles (Marqués de...) et pourtant, nul doute que l'aventure n'est pas prête de s'arrêter.
Carlos et Estrella
Bodega y Viñedos Gosálbez Orti
C/ Real 14, Pozuelo del Rey 28813-Madrid
Tlf/Fax: +34 918 725 399
email: [email protected]
qubel.com
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