
Où se précipitent-ils ?
Pourquoi tant de hâte?
Soudain, cette lumière qui les met en relief.
Ils sont les uns avec les autres et ils se parlent comme si de rien n’était.
Ils ont vraisemblablement grandi dans le même quartier.
Je les trouve intéressants.
Dignes d’intérêt, pour le dire autrement.
Comme des souris de laboratoire.
Assis à une table de café, je les observe traversant la rue.
J'oserais même les photographier.
Si j’en avais le courage.
Un jour, à ce même endroit, je me disais la même chose, mais avec une intensité tout autre.
Cela résonnait en moi comme des cloches dans le désert.
Cela m’ouvrait de nouveaux horizons.
Cela me transportait vers un ailleurs exotique, fantasmagorique.
J’étais jeune et plein d’illusions.
Aujourd'hui, cela ne me retouche plus.
Je regarde et je reste accroché au sol.
Les racines sont trop enfouies en profondeur.
Alors me vient à l'esprit, me vient à l'esprit, une phrase que me disait une professeure d'allemand.
En fin de compte, au bout du bout du bout, tu seras toujours tout seul. Tu seras finalement tout seul, face à toi-même, face à l'image que te réfléchira un miroir quelconque, sale et tuméfié, face à ta lente décrépitude.
Accepteras-tu encore te regarder droit dans les yeux.
La ville et ses bruits cacophoniques, la ville et sa cacophonie, ainsi que le jazz de Miles Davis, ont le don de m'apaiser, ont le don de m'effacer.
Les formes, les couleurs, les textures. Le jeu des effets, chaque jour. Un hasard qui fait bien les choses. Surtout si on est au bon endroit au bon moment. C'est fatigant, c'est toujours la même chose. En même temps, ce n'est pas fatigant, c'est apaisant. Tant que ma respiration est douce, que je ressens les bruits environnants, les bulles, le cliquetis des tasses, ça va.
Je vois des phrases, je lis des phrases, des enseignes, des phrases inscrites sur les façades, des phrases de circonstance, des phrases commerciales. Ça fait partie de la ville, ça fait partie du jeu de l'offre et de la demande. Venez, j'ai ce qu'il vous faut. Venez, vous avez ce que je cherche.
Las, je n'ose plus tellement me regarder dans la glace. Le jeune homme anxieux et indécis a laissé la place à un vieil homme aigri. Il est toujours indécis et moins rêveur. Moins idéaliste, de plus en plus résigné, sachant que le temps qui lui reste est compté.
Je repense les plaies du passé.
Elles ont la fâcheuse tendance à ne jamais guérir.
Dans ma tête, je dis toujours non.
Pas possible de vous suivre. Par principe, je refuse de jouer à ce jeu. Je reste bien tranquille dans mon coin. Je vous regarde sans vous approuver. Tranquille. J'ai toujours souhaité que mon chemin soit tranquille. Il l'a été. Discret. Sans jamais occuper le premier plan. Jouant toujours dans le camp des figurants. Passionné par le film qui se tournait. Au fur et à mesure que je m'éloigne de moi, je fixe de plus en plus les rivages inédits. Ils ne sont pas du tout ce que j'avais espéré. Je suis toujours ancré au plus profond de moi. Et j'écris toujours des phrases riches en encres profondes. Mais il n'y a plus de raison d'attendre.
Juste à côté de moi, il y a un siège vide. Dessus, une personne est assise. Elle a les yeux fermés. Je dirais qu'elle est belle. Mais sans la voir, sans pouvoir l'affirmer avec certitude, je n'ose pas la regarder. à peine l'imaginer. En fermant les yeux, il me semble qu'elle est d'une élégance rare. Son histoire est source d'émotion. Elle est née il y a longtemps et j'espère qu'elle vivra encore de nombreuses années. En attendant, elle est là et je suis assis à côté d’elle sur l'autre chaise vide. Tous les deux, nous fixons droit devant nous le néant parsemé d'embûches.
Puisque nos pas seront effacés par le vent, le soleil, les vagues, les archives,
continuons de marcher en oubliant nos traces.
De toute façon, les autres les oublieront également. Que nous clamions haut et fort notre résistance, ou que nous avancions en silence, peu importe. Nous passerons à la trappe. Des siècles.
Je reviens sur cette notion de lundi qui prétend ne pas être celui qu'il a l'air d'être. Peut-être lundi est-il tout simplement une pâle réplique de mardi. En tout cas, ça fait longtemps que je me frotte les neurones pour savoir si cette porte peut être ouverte à l'aide d'une simple clé ou s'il faut un code pour la libérer de ses gonds. Ainsi va le monde, chaque chose en son temps, et un jour la lumière éblouissante semble couler de source. Vient la nuit. Les ampoules s'éteignent. Je m'assoupis. Le temps d'un instant. Rien ne sera plus jamais comme avant, mais tout sera pareil comme toujours.
Une génération vient, une génération va. Les arbres semblent être éternels, mais c'est parce qu'ils sont semblables à eux-mêmes. pas égocentriques pour un sou.
