On y apprend que Vollmann fait preuve d'une "condescendance rétrograde", d' "indifférence", de "haine contenue" envers les pauvres. Il y est question de son "pragmatisme de pacotille", de son "post-tiers-mondisme", de ses "généralité douteuses", d'un "enchaînement d'aberrations", bref, de "terrible gâchis". (…) Que répondre à l'accusation de "relents de chronique coloniale"?Voilà de quoi nous rendre ce livre plus que sympathique.
Rien de cela ne me surprend. Chez nous, la pauvreté n’est envisagée que collectivement. La réponse a y donner passe par l’Etat, le gouvernement est sommé d’intervenir et les manifestations, les associations, les démunis eux-mêmes agissent toujours de façon à ce que la pression soit mise sur le politique. Par ailleurs, en ce qui concerne l’étranger, le pauvre africain par exemple, il est essentiellement vu en tant que victime de l’ouest, du capitalisme ou du colonialisme. Et c’est le cas de tous les bords idéologique : que la faute soit au trop plein de marché ou, au contraire, au barrières tarifaires qui faussent le marché, on est toujours dans une démarche qui s’occupe d’un ensemble. Doit-on donc s’attendre à ce qu’on accueille les bras ouverts le bon Vollmann qui débarque avec son approche individuelle et sa méfiance des solutions structurelles ? Doit-on s’étonner qu’il choque lorsqu’il met tant de lui-même, de ses doutes, ses ambivalences, ses propres peurs sur la page ? A mon sens, c’était au contraire tristement prévisible.
Pour défendre Vollmann, Claro évoque
« l'indépendance de ton de Vollmann, sa puissance d'empathie, son humanité et ses connaissances (qui) sont sans cesse démontrées dans tous ses livres. (…) Vollmann nuance, il ne condamne jamais, il doute, il met en perspective. Il ironise, aussi, car la pitié n'est pas son arme. On ne trouvera jamais chez lui ce fiel que déverse avec une haine nullement contenue l'auteur de l'article. ».Il a tout fait raison : ce sont ces choses-là qui font le force de « Pourquoi êtes-vous pauvres ? » et que, visiblement, Marianne refuse de voir. En fait, je crois que le critique qui aborde le livre en tant qu’amateur de fiction ne manquera pas ces aspects et verra qu’ils sont cruciaux. Je ne veux pas dire là que le livre est une fiction, mais bien que c’est en observant son côté indéniablement littéraire qu’on pourra en saisir sa dimension exacte. Y venir en pensant y lire une réflexion pratique sur la pauvreté, avec ses verdicts, ses jugements, ses solutions, c’est tout simplement vouloir lire le livre que Vollmann n’a ni voulu ni prétendu écrire. Et je pense que le / la scribouillard(e) de l’auguste publication française le lisait en pensant y trouver l’introuvable et que, ne le trouvant pas, la frustration montant, il / elle se retourna contre cet auteur qui étale ses pratiques et ses doutes: ce n'est pas ce que le bien-pensant veut lire!. Le plaidoyer hypocrite plait plus que l’honnêteté. Pour ma part, je considère l’approche volmannien comme un bol d’air frais : voilà un sujet sur lequel tout le monde prétend détenir vérité et solutions alors que lui n’affiche que ses questions. Elles seraient bien capables de nous faire plus progresser que les certitudes des faux prophètes.
Ecoutons Vollmann sur son projet, au cas où le bon lecteur aurait quand même besoin de clarification :
Je parle de gens qui n’arrivent pas faire passer leurs souffrances. J’aurais pu utiliser mon imagination, rendre vivante leur souffrance, mais avec un thème comme celui-ci, il faut garder à l’esprit ce qui est vrai. Même si je décidais de vivre dans la pauvreté pendant un an, je ne connaîtrais jamais assez le sujet. Je préfère ne pas me faire d’illusions, ne pas essayer. (…) Ce que j’ai vu, c’est que si on demande aux gens pourquoi ils sont pauvres, les réponses varient de régions en régions et que la pauvreté est en partie une expérience, pas un statistique du type de celles présentées par les Nations Unies. D’une certaine façon, je trouve que ça donne aux pauvres une certaine maîtrise sur leurs vies.C’est sur ces bases-là qu’il faut juger, pas dans celles faussées des attentes erronées d’un pisse-copie.
« Pourquoi êtes-vous pauvres ? » ne vise pas à dégager une image de la pauvreté, il en dégage des myriades. Ce qui intéresse Vollmann, c’est les expériences individuelles des gens qu’il rencontre. On peut en tirer des conclusions plus générales, mais s’il y a une chose qui frappe c’est la diversité des réponses et des situations : il montre l’autre dans ce qu’on croyait être un magma indifférencié. Le résultat est éminemment humanisant : celui ou celle qu’on approche comme pauvre devient un homme ou une femme à part entière, pas un statistique dans les rouages d’un rapport gouvernemental.
Pour un avis plus détaillé sur « Pourquoi êtes-vous pauvres ? », lire mon papier de l’an passé. Le livre a aussi été évoqué avec Vollmann lui-même dans l’entretien qu’il m’a accordé, d’où vient la citation reprise plus haut.