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Robert Creeley (par Stéphane Bouquet)

Par Florence Trocmé

Sommaire :

Une présentation de Stéphane Bouquet
bibliographie en anglais
bibliographie (traductions en français)
Liens

Une présentation de Robert Creeley par Stéphane Bouquet

Robert Creeley est né le 21 mai 1926, à Arlington, Massachusetts, petite ville rurale à une trentaine de kilomètres de Boston, où il vécut avec mère et sœurs, son père étant mort dès 1930. La même année, il perd un œil des suites d’une infection. Selon Creeley, ses origines Nouvelle-Angleterre ont considérablement marqué sa « façon apparemment laconique de dire les choses. » Une autre façon de dire cela est celle d’un critique assassin : « Je sais deux choses des poèmes de Creeley, qu’ils sont courts, qu’ils ne sont pas assez courts. » Pourtant on peut difficilement faire plus court que ça, par exemple : «  Un et / un, deux / trois » où d’évidence il n’y a plus rien à marquer que le défilement des vers, qui pourrait être aussi celui des jours. Bien qu’il ait eu à Harvard, un paquet de brillants condisciples (Frank O’Hara, John Ashbery, Kenneth Koch) voués à former ensemble le club des New York poets, Creeley n’appartiendra jamais à cette école, non plus d’ailleurs qu’il ne vivra à New York. Palma de Majorque, le Nouveau Mexique, Black Mountain en Caroline du nord, l’Australie, Buffalo au nord de l’Etat de New York, seront quelques-uns de ses lieux de résidence en compagnie de ses différentes femmes. C’est à Buffalo qu’il enseignera le plus longtemps. Bien avant cela, dans les années cinquante, il professe avec Charles Olson et Cid Corman au Black Mountain College, lieu de haute émulation artistique fondé par Josef Albers qui avait dû fuir le nazisme et voulu retrouver en exil un équivalent du Bauhaus. Au Black Mountain, Creeley édite des revues plus ou moins éphémères et commence à se penser en rupture avec la doxa poétique de l’époque. Ses maîtres déclarés restent pourtant William Carlos Williams et D.H. Lawrence dont il retiendra la leçon de mœurs, la poésie de Creeley étant l’une des plus farouchement amoureuses de son temps n’hésitant jamais devant la plus grande franchise sexuelle. Àvec Olson aussi, il entretient quelques années une correspondance massive, parfois plusieurs lettres par jour, remplie de considérations poétiques comme personnelles, qui l’aide à se faire une idée de ce qu’il veut faire. Creeley s’oriente d’abord vers la prose, avant de se décider presque exclusivement pour la poésie, même si sa poésie prend volontiers l’aspect déhanchée de la notation quotidienne, un côté volontairement griffonné, prosaïque, improvisé (pour suivre la leçon du jazz). Le plus fameux poème de Creeley, daté 1954, celui qu’on trouve dans toutes les anthologies, intitulé I Know a Man, en est un exemple parfait. « Comme je disais à mon / ami, vu que je parle / sans arrêt, — John, je // disais, ce n’était pas son / nom, / l’obscurité nous en- / cercle, que // pouvons-nous contre / elle, ou alors, est-ce qu’on pourrait & / pourquoi pas, s’acheter une sacrée belle bagnole // conduis, dit-il, bon / dieu, regarde / où tu vas. » Les scènes du plus quotidien, notamment les scènes de ménages ou de (re)trouvailles amicales ou amoureuses, hantent donc ses premiers poèmes. Avec le temps, la solitude va devenir la note dominante et lugubre de l’œuvre, et le langage occupera le devant de la scène, moins parce que Creeley a viré avant-garde linguistique que parce que le langage est notre dernier recours, et notre seul refuge. Ce qui était au début une sorte de goût de la répétition mélodique se mue en un goût massif pour la combinatoire des mots où le sujet « I » joue et rejoue son enfermement. Les quatrains ou les tercets, qui sont la forme privilégiée de Creeley, « à la fois unité de mesure sémantique et rythmique, » se lancent alors souvent dans des tentatives de définition de sujet Je : « Il n’y a rien que je sois, / que je ne sois pas. Une place entre, je suis. Je suis // plus que la pensée, moins / que la pensée. Une maison / cernée de vents, mais lointains » Dans Pieces ou dans In London, écrit au tournant des années soixante, Robert Creeley articule ces formes strophiques relativement courtes non pas en poèmes mais en livres : les textes se suivent sur la page, c’est la strophe qui marque la mesure de la vie qui passe et de l’écrivain qui la prend en note comme le spectateur attentif de lui-même. Un et un, deux, trois. Plus tard, Creeley reviendra au poème autonome, mais il restera largement fidèle au vers court autant qu’à la strophe régulière. De même ce grand poète de l’identité subjective incertaine, indécise, et peut-être finalement creuse, ne cessera jamais d’interroger ce qu’il est, lui, ce qu’est le soi et ce qu’il existe d’autre et d’autres et où et quand ? Soit pour le dire dans ses mots publiés en 2006 : « Je vais / être très, très calme // Si être naturel, / et jamais ‘moi’. » « Moi » était mort le 30 mars de l’année précédente.

©Stéphane Bouquet

Bibliographie en anglais
For Love : Poems 1950-1960 (New York: Scribners, 1962);
The Island (New York: Scribners, 1963; London: John Calder, 1964);
Words (Rochester, Mich.: Perishable Press, 1965; enlarged as Words New York: Scribners, 1967);
The Charm: Early and Uncollected Poems (Mt. Horeb, Wisc.: Perishable Press, 1967; enlarged as The Charm: Early and Uncollected Poems (San Francisco: Four Seasons Foundation, 1969; London: Calder and Boyars, 1971);
Pieces (Los Angeles: Black Sparrow Press, 1968; New York: Scribners, 1969);
In London (Bolinas, Calif.: Angel Hair Books, 1970);
A Quick Graph: Collected Notes and Essays, edited by Donald Allen (San Francisco: Four Seasons Foundation, 1970);
A Day Book (Berlin: Graphis, 1972); expanded edition including "In London," New York: Scribners, 1972);
Contexts of Poetry: Interviews 1961-1971, edited by Donald Allen (Bolinas, Calif.: Four Seasons Foundation, 1973);
His Idea (Toronto: Coach House Press, 1973);
Inside Out, issued as Sparrow 14 (Los Angeles: Black Sparrow Press, 1973);
Thirty Things (Los Angeles: Black Sparrow Press, 1974);
Backwards (Knotting, England: Sceptre Press, 1975);
Away (Santa Barbara, Calif.: Black Sparrow Press, 1976);
Hello (Christchurch, New Zealand: Hawk Press, 1976);
Mabel, A Story: and Other Prose (London: Marion Boyars, 1976);
Mabel: A Story (Paris: Editions de l'Atelier Crommelynck, 1977);
Hello: A Journal, February 29-May 3, 1976 (New York: New Directions, 1978; London: Marion Boyars, 1978);
Later (New York: New Directions, 1979; London: Marion Boyars, 1980);
The Collected Poems of Robert Creeley, 1945-1975 (Berkeley: University of California Press, 1982);
Echoes (West Branch, Iowa: Toothpaste Press, 1982);
A Calendar 1984 (West Branch, Iowa: Toothpaste Press, 1983);
Mirrors (New York: New Directions, 1983);
The Collected Prose of Robert Creeley (Berkeley: University of California Press, 1988);
The Collected Prose of Robert Creeley
(Berkeley: University of California Press, 1988);
Windows
(New York: New Directions, 1990);
Selected Poems (Berkeley: University of California Press, 1991);
Life & Death (New York: Gagosian Gallery, 1993);
Echoes (New York: New Directions, 1994);
Life and Death. (New York : New Directions, 1998)
If I were writing this. New York : New Directions, 2003)
On Earth (Berkeley : University of California Press, 2006)
The Collected Poems of Robert Creeley, 1975-2005 (Berkeley: University of California Press, 2006)
(bibliographie établie par Stéphane Bouquet)

En français :
L'insulaire, trad. Céline Zins, Gallimard, 1972
Echos, traduction Auxeméry, Editions Format américain, 1995
La Fin, choix, trad. de l'américain et présentation de Jean Daive, Gallimard, 1997
Le Sortilège, traduction Stéphane Bouquet, Nous, 2006
Bolinas et moi, traduction Martin Richet, Contrat Main, 2007
Traductions de poèmes dans quelques anthologies et revues, notamment
quinze poèmes traduits par Brice Petit et Bernadette Casès, dans moriturus n° 3-4.
Le numéro 190 d’Action Poétique propose un bel ensemble sur Creeley, avec des notes de présentation de Stéphane Bouquet et de JJ. Guglielmi et des traductions de Stéphane Bouquet et Martin Richet.

Un bel ensemble (en français) sur Robert Creeley
un site très complet avec nombreuses ressources (photos, audio, etc.), en anglais


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