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L’école inadaptée

Publié le 16 octobre 2008 par Argoul

La réflexion sur l’école est la tarte à la crème de l’édition à chaque rentrée. Ce ne sont que pamphlets dénonciateurs ou témoignages syndicalement corrects des problèmes, questions, moyens, espoirs et découragements du mammouth scolaire. Grosses pattes et petit cerveau, lenteur de l’influx nerveux de la tête à la queue, c’est plutôt le dinosaure qu’il faudrait évoquer… Reste que, dans le fatras rituel, une idée parfois émerge. Comme celle de Robert Chièze, professeur de mathématiques à la retraite, analysant les effets du nouveau monde médiatique sur la génération à l’école dans la revue Le Débat (septembre 2008).collegien.1224145705.jpg

Les témoignages des professeurs convergent sur les difficultés d’abstraction, d’imagination et de mémorisation des élèves d’aujourd’hui. Plus qu’avant, ils vivent dans un perpétuel spontané. Robert Cheize : « Enseignant de mathématiques de 1965 à 2003, j’ai relevé vers le milieu des années 1980 l’apparition d’une nouvelle forme de ‘résistance’ aux apprentissages scolaires chez les élèves de collège ; ils n’accordaient plus aux symboles la même importance que dix ans plus tôt, malgré mes exigences au moins aussi fortes quant à la mémorisation. » Ce phénomène se manifeste encore plus ces dernières années :

  • par des difficultés dans la reconnaissance des signes,
  • par un besoin d’immédiat qui inhibe l’élaboration pas à pas de solutions impliquant des raisonnements et des savoir-faire,
  • par une capacité d’attention de plus en plus limitée, par des blocages concernant les perceptions de l’espace et du temps,
  • par les interrogations des élèves quant à l’utilité du savoir scolaire.

Il faut donc interroger la culture ambiante et se demander si l’école tient compte des élèves « réels ». Une enquête de Jacques Lesourne dans les années 1980 pointait déjà la concurrence d’un nouveau langage : celui de la télévision et des jeux vidéo. Il est inorganisé et a-conceptuel - à l’opposé du savoir dispensée par l’école.

  • Il ne s’agit pas de condamner la télévision, ni d’examiner l’intérêt des programmes.
  • Il ne s’agit pas de démissionner de la transmission du savoir scolaire.
  • Mais il s’agit de se rendre compte que la conception photographique des images ne peut encourager ni le langage ni la logique.

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L’image télé est sans code, elle n’est pas interprétable par des symboles comme le sont la peinture, la littérature ou les mathématiques. L’image « en direct » est une empreinte, pas un mode de représentation faisant appel à un savoir-faire ni à un langage. L’image s’impose, elle ne « parle » pas. L’histoire est donc livrée au jour le jour, à l’état brut, sans interprétation ni mémoire. Elle n’est pas « racontée » mais délivrée. Le cinéma lui-même recourt de plus en plus au « docu-fiction » où la réalité se mêle à l’invention et concourt à faire perdre le contact avec le réel. La télévision développe le goût du jeu, du théâtre et de l’illusion. Elle incite les jeunes à se mettre en scène et à passer à l’acte spontané. Elle ne montre le monde qu’en noir et blanc, bien et mal, bons et méchants. A ce titre, dit l’auteur, « la télévision possède un réel pouvoir de déséducation. » L’image apparaît comme une « preuve », le discours accolé une interprétation comme une autre. D’où les difficultés des cours à l’école : ce qui n’est pas « vu » n’est pas cru. Cause toujours :

  • pourquoi ce que dit le prof serait-il plus vrai que ce que dit la télé quand elle montre les trucages ciné ?
  • plus vrai qu’internet quand il conteste la réalité du 11-Septembre ?
  • plus vrai que le curé, l’imam, le rabbin, le gourou ou Besancenot quand ils affirment que la Bible est plus vraie que Darwin, les femmes sont inférieures à l’homme, Dieu a élu Le Peuple pour régner sur Israël, les raéliens venus d’ailleurs observent et manipulent le monde, ou Che Guevara est le modèle politique ?

C’est pas vrai ? – Montre-moi ! Pas avec des arguments, les mots ça prend la tête, la logique ça étourdit – non, avec des images, un truc affectif qu’on puisse croire tout de suite, aimer les Bons, haïr les Méchants, savoir où on en est là, immédiatement. Allez, vas-y ! T’es même pas cap…

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L’image submerge les sensibilités et la mémorisation est involontaire, anarchique et incontrôlable. Les souvenirs se fixent spontanément, sans effort ni méthode, malgré soi. La mémoire en appelle à la ressemblance ou à la dissemblance, au bien et mal, jamais au pourquoi. Et c’est bien cela que les élèves réclament désormais de l’école : aucun apprentissage mais le « bain » d’images et d’affects qui leur permet d’avancer sans effort, l’appréhension globale passionnelle et non la logique raisonnée du pas à pas. D’où l’épidermique et le sentimental, qui remplacent trop souvent la réflexion jusque fort tard dans l’existence, comme en témoignent nombre de « commentaires » sur les blogs…

L’auteur en appelle à un rôle de l’école qui compense l’effet télévisuel et vidéo. L’apprentissage scolaire doit mettre plus l’accent sur le concret pour permettre la confrontation avec la réalité. Par exemple dans les activités concrètes des travaux manuels et de l’expérimentation scientifique de base (auxquels je rajouterai volontiers le sport et la pratique d’un instrument de musique). Ces activités, dit l’auteur, « prennent aujourd’hui une valeur éducative de caractère général et d’importance fondamentale, tant à l’égard des questions d’attention, de concentration, d’écoute, pour recréer des motivations grâce à leur caractère transdisciplinaires, qu’à l’égard de leur participation au développement des structure opératoires de l’intelligence et de la perception de l’espace et du temps. »

La télé habitue à la désinvolture et au libre-service ; les activités artistiques, manuelles et expérimentales remettent dans le concret, dans le travail et motivent. Tout à fait l’inverse de l’intellocratie des IUFM et autres programmes « livresques et encyclopédiques », pourtant favoris des inspecteurs d’académie. Mais ils ont tous plus de 50 ans…

L’article de Robert Chièze, L’image, le langage et l’école, est paru dans la revue Le Débat, n°151, septembre-octobre 2008, Gallimard, 16,50


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