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:: Littérature et révolution

Par Louis

Dans La Quinzaine Littéraire du 01-05-2000 (n° 784), un article de Jean-Jacques Marie, intitulé “Trotsky et la littérature” à propos d'une nouvelle édition (aux Editions de la Passion, 2000*) de Littérature et révolution (et des Questions du mode de vie) de Léon Trotsky.

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[…]

“Un critique littéraire russe a écrit récemment que Trotsky avait entamé la rédaction de Littérature et révolution en 1922 pour justifier l'expulsion par le gouvernement soviétique de plusieurs dizaines d'intellectuels hostiles au régime, parmi lesquels il y avait d'ailleurs peu d'écrivains. Cette affirmation est assez représentative du niveau moyen de la polémique politique dans la Russie d'aujourd'hui.

Une première lecture superficielle pourrait pousser à retenir de Littérature et révolution quelques jugements dont on peut contester le contenu (”Biely est un cadavre“) ou le caractère brutal et péremptoire (II qualifie ainsi sans détour mais non sans justesse Rozanov de “salaud notoire, poltron, parasite et âme de laquais“). Il voit à tort dans le rimailleur bavard Demian Biedny un poète talentueux, parce qu'il a “une influence directe et efficace sur les masses“, ce qui ne prouve évidemment rien. Mais ce ne sont là que des aspects très mineurs de ce texte.

Trotsky tente d'y définir ce qu'est un art révolutionnaire et la politique du parti révolutionnaire ayant conquis le pouvoir. Cette tentative est d'autant plus urgente que les “écrivains prolétariens” membres du parti communiste prétendent imposer leur loi primaire et braillarde à la littérature soviétique. Trotsky dénonce leurs “méthodes de pogrom à l'égard des futuristes, des “Frères Sérapion”, des Imaginistes et en général de tous les compagnons de route ensemble et individuellement” c'est-à-dire à l'égard des écrivains jugés couvrir, presque simultanément, en littérature, le mythe de Rimbaud et, en histoire, horribile dictu, le mythe de la magique chambre à gaz”. L'analyse était et restera fondée sur une diffamation systématique de la pensée et sur une haine obstinée de la poésie. Il ne s'agissait pas de s'interroger sur la singularité et la richesse du poème mais de proscrire tout commentaire et toute exégèse pour s'en tenir à la médiocrité de la paraphrase et à l'intelligence minimale d'un sens unique. Robert Faurisson se flatte de fournir des “clés” mais il casse les serrures. Il suffit de lire sa version ” prosaïque” de El Desdichado ou son adaptation de La Chanson du mal-aimé de Guillaume Apollinaire pour prendre la mesure de cette bêtise.

Le sommet de cette carrière d'historien de la littérature est une thèse de doctorat sur La Bouffonnerie de Lautréamont où il entend démontrer que le poète des Chants de sympathisants de la révolution, Maïakovski, Khlebnikov, Essénine, Mariengof.Pilniak, Vsevolod Ivanov… et quelques autres. Trotsky analyse l'oeuvre de ces derniers au regard des exigences d'un art révolutionnaire.

Dans sa préface, Maurice Nadeau souligne : “son analyse des oeuvres, des courants, des écoles, des personnalités, peu nuancée qu'elle soit, peut paraître aujourd'hui très sévère. D'autant que les hommes dont il parle étaient des géants auprès des nains qui leur ont succédé. “En même temps, comme le souligne encore Nadeau, “Trotsky ne prône aucune théorie esthétique“.Il ne prétend nullement légiférer, parce que le parti n'a pas à s'ingérer dans ce domaine. La sévérité de ses analyses des courants existants exprime l'exigence d'un art nouveau pour une société où “l'homme nouveau commence seulement à naître“. Elle peut apparaître excessive aujourd'hui dans la mesure où cet homme nouveau s'est vite transformé en une caricature dans une société ruinée, restée isolée, en proie à la pénurie, au besoin, voire à la faim et où la concurrence de chacun contre chacun a vite repris ses droits sous la houlette d'une nomenklatura aux rangs et aux privilèges sans cesse croissants.

La perspective d'une société socialiste où “l'homme maîtrisera la nature entière (…) désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans” et élaborera d'autres rapports sociaux et un art nouveau ne s'est pas réalisée. Le stalinisme a entraîné l'Union soviétique sur la voie de la réaction sociale, politique et artistique: cette société nouvelle est soumise à une bureaucratisation et à une dégénérescence accélérées qui étouffent puis étranglent la création artistique. Quelles qu'en soient les raisons circonstancielles immédiates c'est finalement ce qui pousse au suicide Essénine et Maïakovski à qui Trotsky consacre deux articles d'”hommage” qui n'ont rien à voir avec la littérature funéraire de circonstance. Non seulement aucun art nouveau ne s'est donc épanoui mais l'art de la bureaucratie a été à la fois académique et contraignant, sous le contrôle direct de la police politique. Et le mérite douteux que Trotsky reconnaissait à Biedny (”Son oeuvre est un service social“) s'est empli d'un contenu profondément réactionnaire.

Trotsky a été amené à réfléchir sur les conditions même de l'existence d'un art non pas nouveau mais simplement digne de ce nom. Le problème n'est plus de savoir si à la place du destin triomphant de la littérature antique ou de la libération de l'individu prônée par le romantisme s'ouvre une nouvelle vision de la création artistique mais si l'art en tant que tel peut toujours exister et s'épanouir. “Toute oeuvre d'art authentique porte toujours en elle une protestation contre la réalité, protestation consciente ou inconsciente, active ou passive, optimiste ou pessimiste” écrit-il en juin 1938. L'art ne peut supporter aucune direction : “Une création spirituelle authentique est incompatible avec le mensonge, l'hypocrisie et l'esprit d'accommodement. L'art peut être le grand allié de la révolution pour autant qu'il restera fidèle à soi-même“. Et nul ne peut à la place des créateurs eux-mêmes en définir les voies, les méthodes et les forces imprévisibles.

[…]

* Epuisée à ce jour, d'après mes informations. Mais on peut trouver d'autres éditions. Louis.

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