Magazine Conso

Le livre de la maturité ?

Par Thibault Malfoy
Le livre de la maturité ?Au secours pardon
Frédéric Beigbeder
Éd. Grasset
Dans 99 francs, Beigbeder écrivait : "Je me noyais mais ne criais pas au secours. [...] Je crois qu'il est temps que je quitte tout parce que je ne sais plus flotter." Mais cela, il ne l'a véritablement compris qu'avec Au secours pardon, la suite des tribulations d'Octave Parango, cette fois en terre de confession et de rédemption : la Russie.
"Je suis ici pour appeler au secours et demander pardon."
Octave est sorti de prison et s'est reconverti en talent scout, autrement dit en chasseur de mannequin. Sa mission consiste à débusquer en Russie la future égérie du leader mondial de l'industrie cosmétique : L'Idéal (toute ressemblance avec... serait bien sûr purement fortuite). A Moscou, il retrouve un pope qu'il avait jadis connu à Paris et auquel il se confesse.
Ce livre est ainsi le récit de cette confession en quatre actes, chacun reprenant le nom d'une des quatre saisons (c'est aussi en russe le nom de boîtes de nuit à la mode, on ne se refait pas). Même si l'espace de la narration est confiné dans le silence de la cathédrale du Christ-Sauveur, un panorama des contrastes que connaît la Russie post-soviétique se déroule sous nos yeux par la médiation d'un Octave qui - entre ses haltes à Moscou - coure l'adolescente à travers toute la Russie, à la sortie des écoles ou à celle des boîtes de nuit, dans la rue ou au marché : partout, à la recherche de la beauté idéale. Mais toujours il revient voir le pope pour expier ses péchés, "pour appeler au secours et demander pardon."
"En résumé, j'ai 40 ans : je ne sais pas qui je suis et je ne sais plus qui j'étais."
En accéléré, cela donne "je ne sais pas qui je ne suis plus". On retrouve donc le Beigbeder angoissé que l'on connaît bien. Il a maintenant plus de quarante ans et entreprend d'accepter la responsabilité de la déréliction qui l'accable ("A quarante balais, on est responsable de son malheur").
Le roman commence en hiver. Durant la première partie, Octave se livre à une confession décousue, où il mêle souvenirs personnels, états d'âme et considérations sur l'actuelle Russie. On retrouve la critique cynique du système qui avait fait le succès de 99 francs. Ici, la cible est l'hédonisme jeuniste de notre société, le "fashisme" (ou fascisme fashion) qui confine à la pédophilie, par un recrutement de mannequins de plus en plus jeunes : "Et c'est ainsi que j'ai travaillé tranquillement à donner aux hommes du monde entier l'envie de coucher avec des enfants."
Le récit se structure avec l'arrivée du printemps et acquiert une dynamique, un rythme dont était dépourvue la première partie, engourdie par l'hiver, sans pour autant que cette dernière ait à en pâlir : une confession, cette psychanalyse gratuite, s'inscrit dans une temporalité dont la mort est le seul ultimatum et l'extrême onction le dernier sacrement. On y entre sans savoir ce qu'on y cherche, et on y trouve ce qu'on ne cherchait pas forcément : ce tâtonnement se retrouve mimé durant la première partie qui - même si elle n'accroche pas de prime abord le lecteur - rend tangible ce temps de la confession et l'installe pour la suite du récit.
Dans laquelle on suit de plus près le quotidien d'un talent scout et le rapport conflictuel qu'entretient l'auteur/narrateur avec les femmes. Beigbeder dénonce dans une resucée de l'esprit provocateur de 99 francs la vacuité abyssale du milieu de la mode et de la publicité, mais délaisse peu à peu ce ton pour se montrer tel qu'il est, avec sincérité et vulnérabilité.
"J'ai aimé et j'ai été aimé, mais jamais les deux en même temps."
C'est le pope qui lui présente l'idéal de beauté qu'il recherchait en vain jusqu'alors : Lena, une adolescente de Saint-Pétersbourg. Durant l'été, il l'aimera, puis la perdra (et se perdra). Un romantisme aussi désespéré que dépravé suinte des pages consacrées à cet été russe que l'automne recouvre déjà du voile de la mélancolie.
Le final apocalyptique - judicieusement préparé à la fin des parties précédentes par des témoignages de tiers sur la "catastrophe" - dynamite la portée de la confession et la transmute en un appel au secours auquel aucun pardon ne répond. Le nihilisme qui sous-tend ce final semble être la réponse du désespoir à la culpabilité de l'homme moderne.
"C'est l'année de mes quarante ans que je suis devenu complètement fou. Auparavant, comme tout le monde, je faisais semblant d'être normal. La vraie folie surgit quand cesse la comédie sociale."
Ces trois phrases, qui sont les premières du roman, donne une assez bonne idée de la fin qui attend le lecteur. Le livre refermé, on s'aperçoit que Beigbeder a posé plus de questions qu'il n'a donné de réponses : le propre des grands écrivains ?
Ce roman est infiniment plus mature que 99 francs : la révolte de l'adolescent attardé a cédé la place au fatalisme de celui qui sait la liberté inaccessible. La fameuse âme russe hante l'automne de la confession d'Octave et imprime au texte un lyrisme poignant.
La Russie est vue par le prisme diffractant du talent de Beigbeder. On côtoie avec lui les fastes et la perversité de cette oligarchie libérale qui a connu la liberté trop rapidement et sans les règles qui vont avec. La beauté et la cruauté sont les sœurs jumelles enfantées par ce pays de contrastes et de passions, que Beigbeder cristallise à merveille.
Les grands réalistes russes parrainent de leur ombre tutélaire ce roman qui abonde en citations. Cette filiation lui donne sa tonalité, à défaut de lui conférer sa légitimité. Cette dernière s'acquiert par le style. Sur ce dernier point, il me semble que Beigbeder s'est infiniment détaché de son passé de publiciste et n'assène plus au lecteur des phrases qui sont autant de titres publicitaires, d'uppercuts oratoires. Il le fait maintenant avec plus d'élégance et de retenue, sans pour autant éviter quelques maladresses, quelques phrases qui jurent. Peut-être gagnerait-il à ne pas user à répétition de calembours, l'effet pourrait lasser, même s'il procure au lecteur quelques perles.
L'intérêt de Beigbeder est qu'il reste en phase avec son époque : se retrouvent ainsi sous sa plume des expressions de jeunes de vingt ans, mais aussi les images que génère notre société. Parfois, comme je l'ai déjà dit, romantisme et matérialisme se confrontent au sein d'une même phrase, déroutant le lecteur habitué à des images plus conventionnelles, usées jusqu'à la trame par la littérature.
Beigbeder renouvelle la langue : l'effet laisse désorienté.

Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines