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Baiseball démocrate

Par Deslivres.fr

Et on continue les voyages, avec une nouvelle chronique New-Yorkaise d'Antoine.

On a garé la voiture dans une rue sombre. Ou alors c’était la nuit.
La porte s’est ouverte. On est entré dans une pièce dégoulinante de guirlandes. Des ballons violets tentaient de s’échapper à travers le plafond et leurs ficelles divisaient la pièce en lignes verticales. Une jeune fille légèrement portée sur l’obésité s’est approchée, ce devait être la maîtresse des lieux. Elle aurait fait un bon trois quart centre.

“Hi ! So GOOD to see you !”

“This is Antouane”

“Hey, nyce to mythe you”

Accolade. Peut-être un bon pilier finalement. Faudrait voir ce qu’elle donne à la poussée.

Son tee-shirt remonte sur ses hanches et je vois qu’elle a d’impressionnants tatouages. Alice m’apprendra plus tard qu’il s’agit d’un portrait d’Ethel Rosenberg d’un côté et d’un poisson de Koi de l’autre. Je n’en sais pas plus. Je le jure sur la mémoire d’Ethel. Ou plutôt sur celle de la carpe.

“This is SO nice. You’ve done a great job.” Puis Alice se retourne vers une table avec des assiettes pleines de petites choses. “It looks delicious. You really are an amazing cook.”

Tout est léger, volatile. Comme les ballons qui nous surplombent tel un ban de poissons porcs-épics effrayé par une meute de requins-marteaux dans la mer des Caraïbes.

Les deux tiers des trucs sont passables, un tiers limite. Aucune trace d’anchois. Une bouteille de bordeaux est ouverte, je me sers un verre dans un gobelet en plastique tandis que les quelques personnes arrivées trop tôt comme nous déambulent entre la table des petites choses et celle des boissons.

Personne ne sait trop ce qu’il fout là. Le vin se boit. C’est du vin. Je profite d’un instant d’allégresse.

Alice me prend par la main pour aller voir le jardin derrière la maison. On traverse un corridor, puis une sente. Il y a des chaises disposées autour d’un foyer sans feu et des guirlandes électriques flottent au-dessus de nos têtes. Il y a une boule à facettes immobile. Un vent mauvais souffle en rafale. Il fait froid et point trace de jardin. Je ne dois pas être dans mon assiette.

Alice me montre un gros paquet de marshmallows que l’on pourra faire griller dans les flammes. “These are my favorite !” Je souris, l’air emballé, malgré les câbles d’acier greffés à mes lèvres et tractés par une force inconnue venue du centre de la terre.

J’ai peur d’être contagieux alors je glisse furtivement le long de la sente pour retourner aux réjouissances du salon. La plupart des convives sont assis autour d’une table basse, un verre à la main et une assiette de tapas sur les genoux.

Deuxième gobelet d’allégresse.

Il y a une grande télé avec un match de baseball. Je sens que cet écran et moi allons faire un bout de route ensemble. Des gens entrent et s’extasient puis fusent à travers les queues de ballon.

“Aïe, I am Antouane…”

“Hi, I am Sandy” dit la blonde qui aurait pu stimuler quelque chose s’il n’y avait eu ce regard, ou plutôt cette absence de regard. Rien. Aucun phare à l’horizon. Prier pour se réveiller le premier. Nous sommes mortels après tout. Mieux vaut rester sur ses gardes.

“Where are you from ?”

“FrÊnCe”

“Oh, nice, how do you like it here ?”

“On va dans la salle de bain que je te montre un tour de magie ?” Quand il n’y a pas trace de lueur il faut compter sur la magie, ou alors sur dieu, mais je n’ai pas assez d’imagination pour croire en dieu.

“What ?”

“Aïe SAIDE, dou you lyke ziss gaime ?”

“No no, I don’t like sports on TV.”

Elle se détourne vers sa copine – qui a certainement été dans le même lycée - et se rapproche d’elle en faisant bondir son arrière-train d’environ 50 cm.

Troisième gobelet d’allégresse devant le baseball. Red Sox contre Rays, Boston contre Tampa Bay. Ce sport est répugnant. Les visages des joueurs sont ravagés par un virus globeux avec un orifice expectorant des pestilences.

Je ne me sens pas très bien.

Une lesbienne bleue géante s’approche captivée par l’écran. La maîtresse de maison vient de perdre sa place de titulaire en première ligne et se voit transposer dans les lignes trois quart. J’ai également vu entrer deux trois spécimens qui pourront constituer une mêlée d’exception. On peut viser un pack dévastateur. Dans deux ans on est en D1 et on fait pleurer la mêlée toulousaine.

La bouteille d’allégresse est vide. Le match de baseball bât son plein. Les chaussettes rouges sont en mauvaise posture et la lesbienne bleue géante se triture les mains. Je tape dans une bouteille de soupe au vin sud-africaine sur laquelle est inscrite Merlot. C’est un monde sans foi ni loi et j’ai envie de détruire la télé avec une batte de baseball et de pisser sur le buffet en chantant l’internationale. Il est temps de quitter l’écran. Je retourne dans le jardin. Cette sente me file les miches. Les sentes m’ont toujours filé les miches. Découpé en tranches et faites mariner dans le jus du spectre et du tourment. Les parois se rapprochent et j’accélère le pas.

Alice parle à une jeune fille mignonne aux cheveux courts. J’oublie les convenances du pays et lui fait la bise. Elle sourit, un peu gênée – j’apprendrai plus tard qu’elle veut devenir un homme et qu’elle plaque sa poitrine avec des bandages et entreprend les démarches pour se faire greffer un fléau. J’aurais pu me mettre à genoux, lui empoignant les jambes en pleurant le visage enfoui dans les plis sinueux d’une ondée en suspend. À quoi bon. Les lévriers meurent d’épuisement si on n’arrête pas le lapin. Quelqu’un m’avait dit ça. Qu’il aille au diable.

Alice m’embrasse et me passe la main dans les cheveux. Un feu est allumé et réchauffe les visages. La folie s’évapore. Je suis épuisé et décide de rentrer. Alice m’embrasse. Je remercie la trois quart centre. Alice ouvre un paquet de guimauve. J’ai disparu des écrans.

Je traverse le salon. La lesbienne bleue géante pleure la défaite de Boston et interpelle les mangeurs de petites choses qui hochent la tête en mâchant. Une boîte en carton recouverte de papier brillant et remplie de billets verts avec inscrit Obama Fund-Raising Party. J’entends la blonde dire à son amie qu’elle a eu un ‘eye contact’. J’ouvre la porte et sors sur le trottoir.

Je n’ai pas vu un mec ce soir. Pourtant il y en avait. Transparents. Ils devaient faire partie de la déco.

Siria m’a dit hier que Condoleezza Rice était pianiste. Elle jouerait magnifiquement du Beethoven.

J’enfourche mon vélo et je pars dans la nuit. Cette fois j’en suis sûr.


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