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Entretien avec Michel Cornillon, "Discours aux enfants"

Publié le 27 décembre 2008 par Jcgrellety


  • Michel Cornillon, vous publiez un «discours aux enfants». Dans l'histoire des discours à, l'adresse aux enfants, directement, est rarissime. Mais il y a des discours indirects : tous les livres que les adultes écrivent «pour» les enfants. Mais dans un autre sens, les enfants sont les auditeurs permanents des adultes qui leur adressent des discours, sur ce qui est vrai, juste, sur les règles de relations interhumaines, etc... Vous semblez bien vous adresser aux enfants pour leur apprendre quelque chose, et quelque chose de très important, difficile et problématique : «le sens». Pourquoi en êtes-vous venu à vous adresser aux enfants ? Parce qu'ils sont les seuls êtres en qui nous pourrions avoir confiance dans ce monde ?

Je voudrais d’abord apporter un rectificatif. Ce “discours aux enfants“ ne vient pas de paraître. Je l’ai écrit en 1993 et édité l’année suivante à mes frais. J’ai cependant décidé de le remettre à l’étalage de mon blog (ainsi qu’à celui de Vox Populi) car notre actualité me semblent renchérir sur mes propos d’hier. D’autre part, comme je l’indique dans la préface, s’il s’adresse d’abord aux enfants (c’est ainsi que je l’ai “reçu“), il est tout autant destiné aux adultes, du moins à ceux que le boulot-conso-dodo n’ont pas encore pollués. Et je pense que la manière extrêmement simple et directe par laquelle je m’adresse à mes jeunes lecteurs ne peut que toucher leurs parents et grands parents. Ce que j’ai eu à exprimer à l’époque, et que j’exprime avec plus de force encore aujourd’hui, est en effet de la première importance : il s’agit tout bonnement de l’avenir de notre planète, et donc de notre espèce.

  • Dans une première partie, vous leur expliquez comment l'animal humain est devenu «maître et possesseur de la Nature», comme l'analysait et le souhaitait Descartes, et vous consacrez même un chapitre au moyen de cette maîtrise, l'esprit. C'est une démarche très intéressante, car les enfants qui vont à l'école sont des sujets des connaissances qu'ils doivent acquérir, mais ce dont ils se servent pour connaître, par imitation scolaire ou par eux-même, l'esprit, l'intelligence, les idées, l'école ne leur en parle jamais, sauf pour celles et ceux qui arrivent en terminale, avec le cours de philosophie. Alors, vous conseillez de faire de la philosophie avec les enfants ?

Je pense que l’école actuelle est une catastrophe absolue. Qu’enseigne-t-elle, et dans quel but l’enseigne-t-elle ? Pas dans celui de nous faire réfléchir, ni de former des citoyens conscients et responsables, capables de voter pour les meilleurs d’entre eux. On dirait au contraire — n’en déplaise à monsieur Darcos et aux responsables de l’Éducation nationale“ (qui n’est pas même au niveau de l’Instruction publique de Jules Ferry) qu’elle s’efforce de bourrer les crânes de manière à ce que nul ne puisse réfléchir à l’essentiel : la vie, la terre, l’homme, le ciel, le partage, la solidarité, ce qui en un mot ce nous enchante ; mais aussi la guerre, l’argent et la pollution qui risquent de nous détruire. Je suis donc partisan d’un enseignement digne de ce nom, et la philosophie en fait partie. Au même titre que l’amour et que la confiance.

  • Dans le développement de ce discours, il y a une étrangeté : la maîtrise humaine, qui est celle de l'esprit, se met à dérailler, et les «maîtres et possesseurs de la nature » deviennent ses destructeurs. Cette «maîtrise » serait finalement peu maîtrisée … ? Pourquoi y a t-il si peu d'esprit actif et auto-conscient dans cet être-au-monde ?

Vous me posez-là la question essentielle, celle à laquelle pouvaient répondre les indiens Cherokees, celle à laquelle, hélas, se heurte notre monde. Croyez-vous que nous maîtrisions l’“humanité“ qui est en nous,que nous maîtrisions l’esprit dont nous sommes paraît-il les seuls animaux détenteurs ? Il faudrait, pour ce faire, que nous atteignions à la conscience. Or, la bonne conscience nous suffit, c’est-à-dire la satisfaction d’avoir obéi, comme obéissait Eichmann aux ordres de ses supérieurs. Misère, misère, misère !… Alors, bien que je sois athée, je me permets cette image : que répondrons-nous à Dieu lorsqu’il nous demandera, je jour du jugement dernier : « Hommes, qu’avez-vous fait de la planète que je vous ai offerte ? » — Not guilty, en viendrons-nous à répondre, comme Göring à Nuremberg ? Leur désignant Sapiens, j’invite donc les enfants à faire mieux que lui, à acquérir la conscience globale, la conscience cosmique qui leur permettra de surmonter les crises et d’éviter les guerres.

  • L'un des chapitres les plus importants est consacré au temps et à l'Histoire. Niezsche parlait des hommes du 19ème siècle comme des «tard-venus», puisque les siècles des siècles humains s'étaient déjà écoulés et qu'il était, comme aujourd'hui, justifier de s'interroger sur le dynamisme humain. Et justement, celui-ci ne s'explique t-il pas par ce rapport singulier à l'espace et au temps où il s'agit d'aller toujours plus loin, plus vite, plus haut ? Avec le risque que le présent et la vitesse fassent justement oublier d'où nous venons ?

J’en reviens à l’absence de conscience de l’humanité actuelle, laquelle place d’un côté l’individu au-dessus de tout et l’invite, pour accéder au bonheur, à rivaliser avec ses semblables, à les considérer non comme tels mais comme des adversaires à abattre, de l’autre le nie complètement, ne le considérant que comme un bras, un ventre, une machine à consommer et à produire. Alors que le XVIIIème siècle promettait des lumières, nos sociétés industrielles et machinistes ont eut tôt fait de ramener l’obscurité, d’entreprendre au profit de quelques uns ce que j’appellerai ici la dégradation de l’humanité. Le toujours plus haut et le toujours plus vite, à partir du moment où ils se traduisent par un toujours plus haut et plus vite que le voisin, sont en effet dommageable. Mais transformons-les en toujours plus vite et plus haut ensemble, nous mesurerons alors la différence entre les deux propositions. Et ce mot de “ensemble“, qui semble avoir disparu de notre vocabulaire, je le rends aux enfants.

  • Enfin, un autre chapitre important s'intitule le ricanement du singe, dans lequel vous parlez des guerres et de l'argent, qui forment un couple : la guerre pour l'argent, l'argent de la guerre, Vous dites «Le véritable pouvoir n'appartient pas aux hommes. Il appartient à l'argent», mais n'est-ce pas une contradiction dans les termes, puisque l'argent n'est qu'un outil. Par contre, il est plus difficile de dire à des enfants que le monde appartient à des personnes, ayant un nom, prénom, et qu'ils sont, comme leurs parents, leurs esclaves, en un certain sens. Vous dites aux enfants que «le dépassement de l'argent sera votre conquête», vous avez donc la foi ?

Je ne suis pas certain d’avoir accouplé la guerre et l’argent, mais la guerre et le pouvoir, certainement. Quoi qu’il en soit l’argent, ou plutôt la répartition de l’argent, c’est-à-dire de la richesse mondiale, constitue avec la surpopulation et la pollution un des rois grands problèmes de notre époque, problèmes à résoudre simultanément sous peine de nous éteindre ou de dégénérer. Quant à l’argent lui-même, oui, ce fut un outil extraordinaire lorsqu’il était monnaie sonnante et trébuchante, encore qu’il démultiplia le goût de la domination. Mais à présent qu’il est virtuel, le premier boursicoteur ou banquier venu, semblable alors à un gosse capricieux, s’imagine en droit de jouer avec ce symbole, de s’enrichir sans autre effort que la lecture de statistiques et le clic d’une souris. Nous mesurons aujourd’hui le résultat de cette inconséquence, et nous n’avons encore rien vu. Je dis donc aux enfants qu’ils seront plus intelligents que nous, plus avisées que Sapiens : ils trouveront leur raison d’être et leur bonheur non seulement dans le respect du monde mais dans le partage du travail et du fruit du travail. C’est là mon credo, c’est ma foi. Lorsque j’en aurai l’âge, j’accepterai ma mort. Mais non de l’espèce humaine.

Est-ce que vous avez déjà lu, interprété ce texte face et avec des enfants ou comptez-vous le faire ?

N’ayant pas eu d’éditeur, je n’ai bénéficié d’aucun service de presse, d’aucun moyen de faire connaître ce livre au-delà du cercle de mes relations, ni d’aucune promotion. Ceci dit, après qu’un instituteur l’ai lu ou fait lire à ses élèves, j’aimerais beaucoup, vraiment beaucoup, être invité dans sa classe et discuter avec les jeunes lecteurs, et répondre aux questions. Mais je ne pense pas qu’un tel miracle se produise sous le règne de Xavier Darcos.

Le site de Michel Cornillon

Pour vous procurer le livre, il faut écrire à l'auteur, comme vous l'avez compris.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par anne aes
posté le 08 mai à 10:46
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Cela fait un bon moment que je te-vous cherche sur Internet pour reprendre contact avec vous. Mon n° de tel n'a pas changé. Et vous, où habitez-vous désormais? J'ai perdu toutes vos adresses, tous mes anciens répertoires... je suis toujours à Cannes, j'écris toujours mais inégalement selon les années, je vais très souvent à paris, et vous? Aimerais vous revoir. A bientôt peut-être, j'espère, Agnès (autrefois nous habitions rue Delambre, vous vs souvenez?) Bises à tous deux (-trois)...

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