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Le syndrome du workshop

Par François Monti

Il y a des jeunes hommes àqui tout semble sourire. Prenez Daniel Alarcón. Tout juste trentenaire, ce péruvien élevé aux Etats-Unis, anthropologue de formation, ex-boursier Fulbright,vient d’être choisi dans comme Guggenheim Fellow (plusieurs dizaines de milliers de dollars, quand même), a été repris par Granta dans ses 21 meilleurs jeunes écrivains US et par le Hay Festival et la ville de Bogotá parmi les 39 meilleurs écrivains latino-américains de moins de 39 ans. Dommage que « Lost City Radio », son premier roman, ne soit pas à la hauteur.

Norma est la présentatrice d’une émission radio tâchant de mettre en contact les familles séparées par une dizaine d’années de guerre civile dans un pays indéterminé d’Amérique du Sud. Elle-même a perdu son mari –victime ou rebelle ?- et ne peut réprimer l’espoir d’entendre un beau jour sa voix au bout du fil. Un matin, un petit garçon arrive à la radio. Il vient d’un minuscule village du fin fond du pays avec une liste de noms de disparus à lire à l’antenne afin, peut-être, de retrouver la trace de quelques uns.

« Lost city radio » est une fresque ambitieuse et plutôt maîtrisée. Le récit se décompose en trois narrations alternées : Norma et le gamin aujourd’hui, la vie de son mari de son adolescence à sa disparition et le quotidien d’un village au pied de la montagne pendant la guerre. Alarcón jongle avec les considérations liées aux sciences humaines. Anthropo, socio, politique et histoire, voilà de quoi remplir intelligemment de longues pages et convaincre le lecteur qu’il ne perd pas son temps – surtout si celui-ci lit d’abord engagé avant de lire tout court. Il faut reconnaître à l’auteur le talent de la mise en place des éléments de son texteet de la cohérence de l’architecture.

Le bât blesse quand, dans une histoire aussi éminemment humaine que celle-ci, on peine vraiment à ressentir pleinement le vécu des personnages. « Lost city radio » est un livre de fiction traditionnelle, de celle qui exige une histoire forte, de héros crédibles et de grandes émotions. Ici, l’histoire se dilue au fil des pages – on comprend bien vite le lien entre Norma et le gamin et une fois que ce petit mystère est tombé, on se laisse entraîner vers la fin en perdant de plus en plus l’intérêt initial-, les protagonistes, au départ originaux, se transforment en cas d’étude de l’épaisseur d’une carte postale et, évidemment, la tension narrative se relâche, les sens s’émoussent, et, ben oui, on s’emmerde.

En fait, Alarcón souffre de ce qu’on pourrait appeler le syndrome du worshop, qui menace –et atteint- pas mal d’étudiants sortis d’ateliers de creative writing – même d’aussi prestigieux que celui d’Iowa. On y est aidé à se désinhiber, à débloquer la mécanique et on apprend les trucs pour donner de l’épaisseur et pour charpenter son récit. Ca donne des livres bien foutus et parfois intelligent mais il manque bien trop souvent ce qui ne s’étudie pas : l’histoire et le style. Alarcón sait raconter des histoires, il ne sait pas les imaginer. Il compose correctement, mais il n’a pas de personnalité, de patte, d’originalité stylistique. « Lost city radio » est une coquille vide qui ne rassasie ni l’amateur éclairé de narration classique, ni l’obsédé de l’individualité scripturale. Un autre ex-pensionnaire du Creative writing workshop de l’université d’Iowa est le bien plus essentiel Chris Adrian. Mon petit doigt me dit que ce qui fait l’originalité de son travail était déjà là à son entrée.

Daniel Alarcón, Lost City Radio, HarperCollins, $24.95

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