Magazine Conso

Le Gengis Khan de Baïna-Bachta

Par François Monti

Par une sorte de disposition testamentaire d’un ami récemment suicidé, Svetislav Basara se retrouve en Mongolie pour écrire une guide touristique à paraître dans une revue à la publication plutôt utopique. Le voilà bloqué au bar du Gengis Khan, plus bel hôtel de Oulan-Bator, à boire des vodkas avec les quelques occidentaux du coin. Comme de bien entendu, il n’y a que des gens étranges en villégiature là-bas. On compte donc un évêque hollandais qui s’est endormi en Hollande, perdu dans les méandres morphéennes et sorti du boxon par une mauvaise porte le menant à l’autre bout du monde, un journaliste yankee dont la revue n’existe plus, un psy italien, un soldat de l’armée soviétique qui a déserté afin de devenir officier-lama et un français défunt ayant par le passé mis la main plus qu’à la pâte dans le milieu du cinéma porno.

Cette joyeuse troupe disserte philo, prouvant par là que ce n’est pas parce qu’on a éclusé moult bouteilles d’alcool de pomme de terre que le cerveau s’en retrouve noyé, bien au contraire ! Le bienheureux propriétaire des minutes de ces symposiums se délectera de la quantité de données scientifiques brassées par ces grands esprits sur les trois espèces de temps intérieur (les hommes dont le temps intérieur est plus rapide que l’extérieur, ceux dont intérieur et extérieur sont synchrones, et ceux dont l’intérieur est à la traîne), la puissance du subconscient (qui pourrait causer le malheur de tiers) ou encore l’influence néfaste du bannissement des morts à l’extérieur des villes. Dans les rares moments de silence, les participants peuvent observer Charlotte Rampling sirotant tranquillement un cappuccino. Et lorsque le bar sent trop le renfermé, il est toujours possible d’assister à l’exécution d’une sorcière ayant ensorcelé le temps et trompé les météorologues, représentants de la principale science locale.

Et puis la narration se casse la gueule. Basara laisse tomber ses nouveaux amis – il les a menés aussi loin qu’il a pu-, et se retrouve chez lui, se demandant ce qui a bien pu se passer, pourquoi il se retrouve en Serbie sans nouvelle de ses gens qu’il aimait tant. Ah le malheur du créateur incapable de mener ses brebis vers une conclusion bien ficelée, cette apocalypse narrative attendue avec tant de fébrilité par les maniaques de tout bord mais tant haïe par ceux qui savent qu’un histoire qui ne finit pas est une histoire qui finit bien.

Et ça, Basara le sait. Il ne se lamente donc pas longtemps, mais comme il compte bien livrer plus que 85 pages, il digresse. Et nous parle de son enfance, ou d’interviews absurdes, mais surtout, surtout d’écriture et de littérature. « Guide de Mongolie » est un « Pourquoi j’écris » ludique, impertinent, métaphysique sans se prendre la tête et vraiment, authentiquement hilarant. On retiendra bien sûr les baffes politiques assenées à gauche et à droite, le mépris du milieu littéraire serbe, le côté hautement autoréférentiel de son œuvre et, oui, la dimension méta-autofictionelle. Ce qui séduit surtout, c’est la prise de conscience que Basara est une sorte de prince de l’absurde, de l’improbable, épigone de l’échec littéraire, un grand comique qui se cache derrière une façade cynico-désabusée.

En guise de conclusion, je me dois de souligner que ce livre est truffé de petites phrases que vous pouvez jouer à replacer dans la bouche de telles ou telles connaissances.

Ainsi, José dira :

« Seul l’alcool, ce désinfectant souverain, est capable d’éradiquer les bêtises qui se sont accumulées dans le cerveau. (…) Si tu rencontres un homme qui ne boit pas, fuis-le comme la peste. »

Cédric ne dira pas :

« Tous les endroits sont également merdiques et absurdes, et il n’y a que les agences de tourisme qui tirent profit des voyages. Les gens voyagent à la recherche d’excitation, de beauté (…) c’est le diable qu’ils cherchent. Et ils le trouvent toujours. »

mais c’est une version plausible de sa surprise à voir les gens perdre leur temps à parcourir le globe.

Claro, plongé dans « You bright and risen angels », pensera :

« Dès que quelqu’un se met à chanter les louanges du progrès, les bienfaits de l’électricité par exemple, je me dis aussitôt que ce n’est pas pour offrir des commodités aux masses que l’on a inventé l’électricité, mais pour pouvoir fabriquer des chaises électriques. »

Si, cet été, vous voyagez dans un pays où l’électricité vous permettra de lire à la nuit tombée, profitez-en pour mettre ce petit livre dans votre valise – il ne fera que prendre la place des capotes que vous n’utiliserez de toute façon pas. Faites-le, même si, horreur suprême, vous ne buvez que de l’eau. Ou du cécémel.

Svetislav Basara, Guide de Mongolie, Les allusifs, 13€

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


François Monti 10 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog