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WILLY, préface pour Solenière par CLAUDINE

Par Bruno Leclercq


Eugène de Solenière fut l'un des collaborateur de Willy, critique musical, il participa aux Lettres de l'Ouvreuse, et semble être le véritable auteur de L'Odyssée d'un petit Cévenol en 1901, roman pour jeunes gens que Willy dédiera à son fils. Fidèle entre les fidèles il écrira, en 1903 chez Sevin et Rey une biographie, une hagiographie même, de son « patron », dédicacée « à Colette ». Avant cela en 1902, chez le même éditeur, il publiera ses propres Notules et impressions musicales avec une préface de Willy, des dessins inédits et un portrait de Mlle Léa Piron (de l'Opéra) et un croquis d'Erwyn. La préface est en effet signé Willy, « Pour copie masculine et conforme », mais c'est Claudine qui tient la plume (Willy est épuisé par les « chromatismes » de Debussy), faut-il pour autant attribué cette préface à Colette ? Les pistes sont tellement brouillées qu'il est difficile de s'y retrouver. On verra que Willy ne manque jamais d'une occasion de faire la publicité de ses « ateliers » en rappelant un autre de ses avatars, l'Ouvreuse, censée être plus sérieuse et grave que Claudine, et n'hésitant pas à annoncer la parution prochaine de Claudine en ménage, égratignant au passage l'éditeur Ollendorff, qui trop prude aurait refusé la suite des Claudine, qui sera publié par le Mercure de France.



Cher et vibrant Solenière,
Willy revient de la première de « Pélléas et Mélisande » (fourbu par tant de mélopées, adorables d'ailleurs, et tant de chromatismes, et la tierce majeure arrivant si tard, si tard !...) A bout de forces, il me charge ce soir de vous envoyer, à sa place, quelques mots d'Introduction, et c'est Claudine qui se risque à vous griffonner un semblant de préface, la turbulente Claudine à laquelle, naguère, aux Mathurins, vous adressiez mains jointes une oraison si gentiment capiteuse.
(La petite Bilitis Chantée par Claude-Achille Debussy, l'homme du jour, et du demi-jour, je n'ai plus rien à lui envier, car aucune des chansons, souvent osées, que le poète néo-grec met sur ses lèvres grasses, ne vaut les tropes lyriques avec lesquels ce samedi-là vous m'encensâtes. Je voudrais tant vous rendre la pareille et dire tout le mal, cher Monsieur, que je pense de vous...)
Quand j'étais encore à l'école à Montigny, j'ai lu en cachette un Massenet de votre façon, « étude critique documentaire » où, sur la foi du titre, je pensais découvrir des choses, des choses... Massenet, « l'arôme du boulevard et l'âme de Froufrou », comme vous dites si bien, « le dernier sourire d'un monde qui s'écroule et d'une fiction prête à s'effacer... » Hé ! Hé ! On est solidement documentée quand n a passé par l'Ecole (anormale) de Mlle Sergent... Je viens de dévorer vos Notules et Impressions Musicales ; vos précédents ouvrages me conseillaient cette lecture. Ah ! Que j'ai eu du goût ! Mais je m'en voudrais de déflorer par mon bavardage de gamine devenue femme, comme ça tout à coup, chacun de ces vastes sujets rendus, par votre belle platine d'avocat de la grande musique, si charmeurs, si grisants, que, plus d'une fois, on oublie le sujet abstrait pour déguster la phrase élégante... C'est comme lorsqu'on boit trop de champagne, on oublie de retenir la marque...
Je laisse aux gens graves, c'est-à-dire à l'Ouvreuse (qui se pique de morphine philosophique) le soin de discuter vos mousseuses assertions, si vous avez raison de préférer la symphonie, puritaine, à la voix, courtisane, de donner le pas à la douleur sur le rire, etc.
Et vous traitez aussi des « musiques chastes ». ah ! Ah ! Les musiques chastes ! Où donc que j'y coure ? C'est à la page 53 et j'y lis : « L'action en elle-même, ce qui synthétise la vie, n'est pas chaste » ; (je respire). « Pour le rester ici-bas, il faudrait dormir le sommeil éternel des grands rocs altiers, dont le soleil ni l'ouragan ne peuvent altérer le marbre indifférent. » Peste ! « Qu'est-ce alors que les musiques chastes et peut-il en être question ? Serait-ce une portée où il n'y aurait que des blanches ? Sera-ce la chanson de Claudine avant qu'elle n'ait été à l'école de Willy ? » (Merci pour Willy !) « Sera-ce le refrain d'Abeilard dans la bouche de Joseph ? » Vous en avez de bonnes, Monseigneur ! Mais vous dites vrai, ce qui rend la musique perverse c'est le piment que notre imagination veut bien y ajouter ; il en va de même pour les proses, et des Musiques chastes, j'ai couru vers les Musiques du « Je t'aime ». C'est vous qui me forcez de vous tutoyer, Eugène, mais en musique cela n'a point d'importance. Sinon pas une mère ne devrait envoyer sa fille au Conservatoire ! L'art plane au-dessus de toutes ces petites manières ; pour moi la musique est la volupté suprême, celle qui nous ferait croire à la divinité que nous portons en nous : vous m'entendez. C'est contagieux, je deviens lyrique ! Et je n'ai plus qu'à célébrer avec vous la beauté de la danse et des danseuses, sans être le moins du monde jalouse que vous ayez dédié cet opuscule, qui vaut plusieurs gros traités, à une exquise ballerine, au ein Taenzerin, comme l'écrit votre dédicace d'après Uhland. Moi je ne danse pas, je dessine comme un chat sauvage ; j'écris peu mais j'écris mal. Soyez donc indulgent envers la prose de Claudine et promettez moi, à votre tour, une préface pour Claudine en Ménage que vas dans quelques jours éditer un libraire moins bégeule qu'Ollendorff dont la pudeur fut effarouchée par ce récit sans voiles et, je l'espère, assez véridique pour vous plaire, ô Eugène !..


Pour copie masculine et conforme.
Willy.


Willy sur Livrenblog : Cyprien Godebski / Willy. Controverse autour de Wagner. Les Académisables : Willy. Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Romain Coolus présente quelques amis. Colette, Willy, Missy - Willy, Colette, Missy (bis). Pourquoi j’achète les livres dont personne ne veut ?. Le Chapeau de Willy par Georges Lecomte. Nos Musiciens par Willy et Brunelleschi. Nos Musiciens (suite) par Willy et Brunelleschi. Willy l'Ouvreuse & Lamoureux.

Sur Willy l'indispensable biographie par François Caradec : Willy le père des Claudine. Fayard, 2003.


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