Magazine Culture

Si je t'oublie, Jérusalem de William Faulkner

Par Sylvie

ETATS-UNIS, 1937-1938
Si je t'oublie, Jérusalem
Editions Gallimard, "L'imaginaire"
Voici le onzième roman de Faulkner, récit  à part à plus d'un titre dans son oeuvre. Il s'agit tout d'abord de deux récits totalement différents ; les chapitres se succèdent en alternance. Le récit faulknérien est souvent non chronologique et polyphonique mais les histoires arrivent toujours à se recoller. Ici, aucun lieu, aucun personnage, aucune intrigue commune.


Mais il y a bien sûr des parallélismes et des contrepoints dans les thèmes : le sujet commun de ces deux oeuvres est l'absence de liberté, littérale ou métaphorique . Le titre, voulu par Faulkner, évoque d'ailleurs un psaume de la Bible où les Juifs sont retenus en captivité à Babylone et qu'ils évoquent avec nostalgie le paradis perdu. A noter que ce titre biblique a été refusé à Faulkner par son éditeur dans l'édition d'origine. La nouvelle traduction, celle de François Pitavy dans la Pléiade et dans la présente édition, reprend le titre originel (l'ancien titre, Les palmiers sauvages du nom de l'un des récits du roman).

Deux récits donc : le premier, Les palmiers sauvages, relate l'odyssée tragique de deux amants adultères, Charlotte Rittenmeyer et Harry Wilbourne, de Chicago à la Nouvelle-Orléans, qui tentent de vivre leur passion en luttant constamment contre des conditions matérielles désastreuses .Le deuxième, Vieux père, autre odyssée, mais tragi-comique cette fois-ci, celle d'un forçat qui se retrouve malgré lui en train de secourir les victimes de la crue du Mississipi de 1927 et que la crue emporte loin de son pénitencier. Secourant une femme et son enfant, trouvant l'amour, il n'aura de cesse lui de revenir au "paradis originlel", au pénitentier où il retrouvera tous ces amis !
Que retenir de ces deux récits ? d'un côté, donc, une fuite tragique, assumée jusqu'au bout, jusqu'à la mort; de l'autre une fuite non voulue, subie contre son gré, d'un être de nature, ne se posant pas de question, et préférant la protection de la prison à la découverte du monde, semée d'embûches.
Si Charlotte Ritenmeyer est un personnage tragique par excellence ; elle assume jusqu'à la mort son idéal de l'amour passion :

"On dit que l'amour entre deux êtres meurt. Ce n'est pas vrai, il ne meurt pas. Tout simplement, il vous quitte, il s'en va, si on n'est pas assez bon, si on n'est pas assez digne de lui. Il ne meurt pas, ce sont les gens qui meurent. C'est comme la mer. Son on n'est pas bon, si on commence à y sentir mauvais, elle vous dégueule et vous rejette quelque part pour mourir. On meurt, de toute façon, mais je préférerais disparaître noyée en mer plutôt que d'être rejetée sur quelque plage déserte pour m'y dessécher au soleil, y devenir une petite tache puante et anonyme avec juste un Cela a été en guise d'épitaphe"

les deux autres personnages masculins choisissent la prison, le refus de la découverte du monde. Harry Wilbourne est un être rongé par la culpabilité ; plutôt que de mourir, il choisira le chagrin plutôt que le néant, la privation de la liberté plutôt que la mort. Il a été initié tardivement ^par Charlotte, la grande prêtresse de l'amour, mais il n'en sera pas digne ; il reconnaît d'ailleurs à plusieurs reprises que c'est Charlotte qui assume le rôle d'homme.  Quant au forçat, on ne connaîtra jamais son nom, c'est sans doute l'un des personnages les plus attachants, les plus originaux,  de l'oeuvre faulknérienne. Un forcat qui veut coûte que coûte se reconstituer prisonnier, tout en étant parvenu à faire des actions héroïques lors de sa fuite subie. Le lecteur n'oubliera pas de sitôt le corps à corps avec les crocodiles et la lutte contre le mascaret du Mississippi.
Les deux hommes retournent, si l'on peut dire, dans la matrice originelle, un territoire clos sans problèmes. La femme, elle, choisit l'amour, la fuite, ou la mort.
Du point de vue de la forme et de l'écriture, ce roman est très différent des autres que j'ai pu lire. On ne retrouve pas les célèbres monologues polyphoniques qui ont fait la célébrité de Faulkner. La narration est classique (si l'on excepte l'alternance des deux histoires !), les dialogues plus nombreux. 
 L'écriture, dans l'ensemble,  est beaucoup moins lyrique que dans Absalon par exemple. On retiendra pourtant les magnifiques descriptions des combats de chasse au crocodile sur le Missississipi ainsi que la rencontre comique entre le Cajun et le forçat.
La présence de l'ironie et la reconnaissance de la voix vernaculaire, celle du peuple (je ne résiste pas à dévoiler la dernière phrase du roman : Les femmes, font chier !), annonce l'année suivante, Le Hameau, le premier grand roman comique de Faulkner.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sylvie 700 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines