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Rencontre posthume avec John Updike

Par Thomz

Avant de découvrir la mort de John Updike, je n’avais lu que quelques uns de ses papiers dans le New Yorker et la New York Review of Books. Je ne saurais m’en rappeler complètement la teneur. Je le connaissais de nom, je savais en gros ce qu’il avait écrit, ses thèmes, guère plus. J’avais du acheter Bech voyage chez un bouquiniste quelconque et il est resté moisir un bon moment sur une étégère avant que je décide à l’ouvrir et à aimer ce que j’y trouvais. C’est un peu comme avec la mort de David Foster Wallace il y a quelques mois, ou celle de Norman Mailer. Je connaissais ces écrivains, avait lu un peu d’eux mais ne m’étais jamais intéressé assez pour me mettre à vraiment les lire. Et l’annonce de leur mort relançait l’intérêt alors purement superficiel que j’avais pu avoir pour leur œuvre. Mais je n’avais pas envie d’être le client qui demande au libraire s’il a du Wallace ou du Mailer le lendemain de l’annonce de leur mort. Je ne voulais pas être ce type qui achète un bouquin seulement parce qu’il avait entendu à la télé que leur auteur était mort. A vrai dire, je savais que tout le monde s’en foutrait, mais je ne voulais pas simplement me laisser guider par certaines contingences (la mort est une belle blague) dans les lectures. Vaine vue de l’esprit s’il en est.

Bech voyage se décompose en une série de sept brèves nouvelles ayant pour point commun la figure de l’écrivain Henry Bech, écrivain juif new yorkais, à moitié raté, à moitié célèbre, peut être obsédé sexuel, du moins très intéressé par le second sexe, figure transposée en dehors de son milieu naturel, Manhattan. Il se promène donc, durant ces merveilleuses années 60, qui virent la convergence d’une libération de mœurs sans précédent dans les sociétés occidentales avec à une autre échelle le durcissement (pun intended) d’un conflit idéologique entre capitalisme et communisme, entre l’Ouest et l’Est, entre les Etats-Unis et la Russie, et enfin entre deux conceptions de l’art, l’une au service de l’idéologie l’autre au service d’elle-même. Je simplifie volontairement le propos car là n’est pas réellement l’enjeu principal. Les trois premières nouvelles voient donc Henry Bech successivement en Russie, Bulgarie et Roumanie. C’est là l’occasion d’une truculence sèche, de rencontres improbables, et justement d’une vision réfléchie de ce que l’on demande à l’artiste, ce que la société veut de lui. Je grossissais le trait il y a quelques lignes de la même manière qu’Updike profite des voyages de Bech pour saisir la place d’un écrivain dans la société et l’image qu’elle se représente du dit écrivain. En tant qu’incarnation des États-Unis, Bech se doit de rencontrer les écrivains dissidents des pays qui l’accueillent (pour les nuls en histoire je rappelle que les trois pays susmentionnés faisaient à l’époque partie du bloc soviétique) et ces rencontres sont bien entendu soigneusement organisées par le pouvoir en place. Dans un mouvement d’ironie superbe, Bech dilapide les roubles durement gagnées en Russie, parce que le Capital doit triompher. Peu importe le pays, l’écrivain est toujours en représentation, jamais libre d’être lui-même, toujours en porte à faux par rapport aux attentes de la société qui veut se refléter en lui mais dont la seule vanité émerge.

Une autre nouvelle/épisode (Le « voyage » improvisé) est aussi pour Updike l’occasion de se moquer des écrivains de la beat generation féru de nouvelles techniques d’écriture induites par substances hallucinogènes et autres substances prohibées. Lors de ses vacances il rencontre un de ses anciens étudiants, devenu jeune pompeux lénifiant littéraire parfaitement détestable qui souhaite initier son maitre à penser aux bienfaits du LSD

Nous voilà face à un Bech hermétique à la drogue, qui vomit après trois bouffées de marijuana, pris dans divers affres sentimentales qui ne renseignent en rien son écriture et semblent plutôt l’en éloigner définitivement. L’amitié beat n’est déjà plus pour Bech, d’une autre génération, pas un titan de la littérature, mais assez vieux pour voir passer cette nouvelle génération et la juger avec toute la bienveillance et l’ironie qui lui sied.

L’épisode le plus drôle reste cependant Bech parmi les lions, où notre écrivain est aux prises avec un apprenti journaliste, double de notre jeune étudiant d’un peu plus tôt. Invité à Londres par son éditeur anglais, Bech se prête aux manœuvres mondaines habituelles, cocktails et plus si affinités pour se faire alpaguer par un jeune loup aux dents longues qui souhaite l’interviewer. De là l’occasion pour Bech d’exposer ses conceptions de la littérature, en en rajoutant pour les besoins du cadre dans lequel ces propos sont formulées nous enseignant qu’il n’y a peut être rien de pire qu’un écrivain en représentation, ce que nous avait montré la nouvelle Bech pris de panique qui voyait l’écrivain accepter une résidence éphémère dans une université féminine du sud des Etats-Unis. Hors de ses terrains connus l’écrivain se conduit à la fois en charmeur déroutant et en enfant apeuré, infantilisé par ses pulsions aventureuses et certainement sexuelles. L’humour est constant mais toujours d’une grande subtilité, la prose est sèche, sans ornement inutile à part dans les envolées lyriques de Bech qui en accentuent le contraste. Là où Roth évolue par digressions, force détails dans une prose toujours ciselée et rythmée, Updike, du moins pour ce « roman » (je fais le parallèle avec le Roth créateur du personnage de Nathan Zuckerman, frère de sang d’Henry Bech) file droit à l’essentiel, préfère voir son personnage évoluer, interagir avec ses congénères, le tout dans une ambiance doucement ironique.

En un peu plus de 200 pages, Bech devient un personnage indispensable et sûrement fondamental, autant double d’Updike que son étendard, voire le flanc porté à ses propres critiques. Il nous donne à voir l’écrivain en action, c'est-à-dire tout sauf écrivant, ce qui est beaucoup dire. Bech rejoint la galerie des personnages dont on aimerait lire les œuvres fictives, rien que pour voir si ça valait le coup. On voudrait lire Travel light et Frère Cochon pour voir ce que Bech l’écrivain valait. On à déjà un aperçu de ce que Updike vaut. Mais ce que j’en sais, c’est qu’il ne s’agissait là que d’une infime partie de ce qu’il avait écrit. Reste à s’attaquer à la tétralogie Rabbit, et gageons que les recueils de ses essais critiques et interventions journalistiques (qui sont déjà pour partie compilées) fleuriront dans les mois à venir.


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