Armée Populaire de Libération
Le réveil du dragon Chinois
Il en va de la vénérable APL, « l’Armée Populaire de Libération », comme de la Chine toute entière : toutes deux sont parcourues de soubresauts spectaculaires, et en pleine effervescence. L’une des plus glorieuses et anciennes civilisations s’efforce de recouvrer un rôle stratégique de premier plan, par tous les moyens que lui fournit sa formidable croissance économique. Cet irrésistible retour au-devant de la scène suscite l’inquiétude des uns, l’espérance des autres dans un nouvel ordre mondial moins unilatéral. Coup de projecteur sur la longtemps discrète, toujours plus nombreuse et peut-être bientôt plus puissante armée au monde.
Le SNLE Type 094 - © www.apl-chine.com
Fondée le 1e août 1927 lors de la mutinerie de Nanchang, l’Armée Populaire de Libération s’émancipe presque aussitôt de ses encombrants alliés du Guomindang pour entamer une féroce guerre civile qui se prolongera jusqu’au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Victorieuse en 1949, elle fait dès l’année suivante une entrée fracassante dans la guerre froide, en engageant pas moins de 54 divisions de « volontaires » en Corée. L’année 1964 est marquée par l’issue, positive, du processus d’acquisition de l’arme nucléaire, avec l’explosion d’une bombe A dans le Lop Nor. La décennie est quant à elle émaillée de démonstrations de force face aux grands voisins, Inde puis URSS, à l’occasion de conflits frontaliers. Le divorce avec le grand frère soviétique conduit la Chine à tenter de développer par elle-même son outil militaire. C’est le début d’une première traversée du désert dans les programmes, qui prend fin avec les balbutiements de la politique d’ouverture du pays. En 1989, la répression sanglante des manifestations étudiantes sur la place Tian’anmen* ouvre une nouvelle séquence d’ostracisation de la Chine, et le vote de mesures d’embargo à son encontre, qui ne sont toujours pas levées à l’heure où ces lignes sont écrites, bien que de nombreux états producteurs d’armes, parmi lesquels figure la France, fassent pression pour mettre un terme à cette interdiction.
Char de combat Type 99 - © www.enemyforces.net
Traditionnellement, la doctrine d’emploi des quelque 2,3 millions de militaires d’active que compte l’APL est fondée sur la défense de l’intégrité territoriale et des intérêts vitaux chinois, ainsi que comme une force de police et d’encadrement idéologique des masses. Même sa composante nucléaire suivait un modèle doctrinal sensiblement identique au dogme de la dissuasion française, à savoir une arme défensive de sanctuarisation du territoire, d’ultime avertissement et/ou de riposte. Si cette stratégie est toujours celle qui a officiellement les faveurs du Parti Communiste et de sa Commission militaire centrale, l’organe directeur des forces armées, nombreux sont les experts qui s’interrogent sur la renaissance des ambitions impérialistes chinoises. L’accroissement notoire du parc d’unités blindées amphibies et le développement de navires d’assaut rappellent que la RPC n’a en rien renoncé à ses prétentions sur Taiwan. L’augmentation pharaonique du budget militaire chinois, qui a doublé ces quatre dernières années pour atteindre 57 milliards de dollars, fait craindre de surcroît une course aux armements locale, entraînant le Japon, la Corée et une Russie se faisant fort de tenir son rang, à défaut sur ce terrain technique.
Le Varyag dans son état d'arrivée en Chine - © fuerzasarmadaschinas
À l’instar des efforts entrepris pour accueillir les Jeux Olympiques à Pékin l’an dernier, la Chine mise essentiellement sur les programmes à haute portée symbolique, comme en témoignent le lancement étonnamment médiatisé en 2007 du premier SNLE Type 094, tête de la classe Jin ; ou le chantier de réhabilitation du Varyag, porte-avions russe racheté en 2002 par une société établie à Macao, suspectée de travailler pour le compte de la marine. Le bâtiment paraît bien destiné à permettre à l’Empire du Milieu d’acquérir à terme ce type de technologies. Ces unités représentent quoi qu’il en soit un très net bond qualitatif dans les capacités océaniques des forces navales chinoises, jusqu’à présent le parent pauvre de l’APL. Les autres armées ne sont pas en reste. Elles se dotent actuellement de matériels de dernière génération, tels le char de combat Type 99 ou le chasseur de supériorité aérienne Chengdu J-10, dont les performances sont comparables à celle du Mirage 2000. L’armée de terre a également vu fondre une partie de ses effectifs, désormais ramassés pour partie en unités du niveau brigade plus mobiles, plus autonomes et de bien meilleure qualité, évoquant dans les grandes lignes le schéma OTAN « Striker ». Signalons enfin la large offensive menée par le complexe militaro-industriel chinois pour se hisser au niveau de ses concurrents, et se tailler des parts de marché à sa mesure, en ciblant notamment les pays émergents qui ne peuvent acquérir les coûteux engins produits en Occident. La prodigieuse diversité du catalogue proposé par le conglomérat NORINCO, acronyme correspondant à « China North Industries Corporation », pourvoira aux demandes les plus fantaisistes, de l’arme de poing au groupe complet d’artillerie automotrice !
Chasseur Chengdu J-10 - © www.warchina.com / Stinger
Il convient cependant de nuancer ce constat, car le gouvernement chinois s’emploie constamment à bomber le torse, souvent à coups de bluff et de propagande. C’est ainsi qu’une photo du prétendu prototype de chasseur chinois à très faible signature radar s’est avérée il y a peu n’être rien d’autre qu’un habile travail d’infographie. En outre, la très grande majorité du corps de bataille de l’APL est encore constituée de matériels complètement obsolètes, qui seraient immédiatement surclassés en cas d’engagement, et ne servent donc plus à rien d’autre qu’à entretenir les chaînes de production industrielles et à parader en ordre parfait. La Chine demeure très dépendante technologiquement, du rival russe d’une part, qui peut à toute instant « couper le robinet », par ailleurs des discrets coups de pouce britanniques, israéliens et français. En dépit des évidentes sous-estimations budgétaires officielles, l’expérience des premières années du siècle naissant confirme toutefois la remarquable capacité d’évolution des ingénieurs chinois qui, après être passés maîtres dans l’art du retro-engineering** durant des années, semblent aujourd’hui se lancer dans des programmes ambitieux développés sur la base de leur propre savoir-faire. Enfin, face à la toute-puissante machine militaire américaine, la Chine fait toujours figure de nain. Mais pour combien de temps…
Ujisato
* Lire l’article consacré à cet événement dramatique
** Ce terme désigne la technique consistant à démonter pièce par pièce des matériels achetés – et parfois dérobés – pour en percer à jour les secrets technologiques.
Infographie représentant le prototype supposé du prochain chasseur "furtif" chinois - © D.R.
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Article mis en ligne le 09/02/2009