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Univers de marques et brand content, de la logique du désir chez le consommateur, par Daniel Bô

Par Levidepoches

Desir

Il y a plusieurs façons d’aborder l’essor du brand content. On peut d’abord relever et décrire des opérations, ce qui est nécessaire compte tenu de la diversité et de la créativité des contenus proposés par les marques.

On peut également se pencher sur le brand content d’un point de vue plus théorique, et réexaminer à partir de lui un certain nombre de concepts-clés, utilisés depuis longtemps dans les métiers de la communication, pour voir comment ils fonctionnent et s’intègrent dans ce nouvel univers : désir, mémoire, impact, fidélisation, etc


Commençons par une notion essentielle : le désir.

L’objectif de la communication, de la publicité, n’est-ce pas justement de susciter, d’entretenir le désir du consommateur ? Dans ce cas, il faut bien comprendre ce qu’est le désir, comment ça fonctionne et comment proposer une communication susceptible d’être en phase avec lui. On se limitera ici à 3 approches.

1.   Une première façon de voir le désir est de le concevoir comme la réponse à un manque. Je désire cet objet parce que je ne l’ai pas et qu’il me plaît.  Si telle est la mécanique du désir, alors les publicités doivent s’efforcer de souligner le manque dont les consommateurs souffrent, et à attirer l’attention sur le caractère indispensable de tel ou tel objet, présenté comme « l’objet du désir », éventuellement en s’appuyant sur des métaphores sexuelles, ce qui est souvent très commode.

2.   Une autre façon de voir le désir déplace un peu les données du problème : c’est la théorie du désir mimétique de René Girard, adapté au marketing par Marie Claude Sicard. En réalité, nous ne savons pas ce que nous désirons. Nous désirons ce que désirent les autres pour faire comme eux, être reconnus. Dans la communication, il n’y pas seulement un face-à-face entre l’objet et le consommateur, mais une relation triangulaire objet / consommateur / médiateur. Autre théorie du désir, autre modèle de communication, et la nécessité de prendre en compte cet aspect mimétique (sur ce sujet, voir Marie-Claude Sicard, Les ressorts cachés du désir, Village Mondial).

3.   Il y a encore une autre façon de voir le désir, c’est celle développée par Gilles Deleuze dans son livre l’Anti-Œdipe (Avec Félix Guattari, Editions de Minuit). Contrairement aux idées reçues, le désir de quelqu’un ne porte pas sur un objet unique ou isolé, qui serait « l’objet du désir », mais toujours sur des ensembles, des univers. Je ne désire pas seulement cette robe dans la vitrine, mais les chaussures qui vont avec, l’image de la femme qui lui correspond et finalement un style de vie tout entier.

Par exemple, une canette de Coca-Cola n’est pas seulement une certaine quantité de boisson dans un pack en aluminium peint en rouge et blanc. Ce produit est inséparable d’une certaine culture occidentale, américaine, avec  une gestuelle, toute ne philosophie de la « cool attitude », etc. Désirer Coca-Cola, ce n’est pas avoir envie de boire, c’est aspirer à tout cela.

De même, lorsque Pampers crée des DVD sur la façon dont les bébés perçoivent le monde dans le ventre de la mère, la marque souligne clairement que la couche-culotte n’a pas de sens en dehors d’une expérience globale de la relation à l’enfant. Désirer Pampers, c’est désirer une marque qui a une expertise sur le monde de l'enfance qui dépasse largement les fesses du nourrisson.

Dans leurs communications, les marques Louis Vuitton ou Chanel mettent clairement en scène que telle malle griffée ou tel accessoire de mode ne sont que la pointe émergée d’une univers beaucoup plus vaste, qu’ils ne prennent sens que dans un ensemble dont il font partie, et que le consommateur emporte symboliquement avec lui en achetant le produit.

Il y a plusieurs types ensembles sur lesquels s’appuyer et à l’intérieur desquels les marques s’efforcent de réinsérer le produit :
o   Le contexte d’usage, le produit en situation (une vidéo sur les différentes recettes de chocolat)
o   Le mode d’emploi (comment appliquer un mascara)
o   Le chaînage et les produits périphériques, y compris ceux qui sont fabriqués par d'autres marques (un café Nespresso dans une tasse Villeroy & Boch)
o   Le processus de fabrication du produit (l’histoire de sa conception, l’interview d’un grand nez sur l’origine d’un parfum, le suivi d’une chaîne de montage, la production d'un handburger)
o   Une fiction, une histoire scénarisée
o   L’univers esthétique du produit : les couleurs flashy de Fauchon
o   Les hommes de l'entreprise qui sont associés au produit lorsqu'ils sont médiatisés : Steve Jobbes pour Apple, Bernard Arnaud pour LVMH ou Luciano Benetton
o   Le contexte social
o   L’univers culturel dont le produit est un emblème (la jeunesse dorée américaine pour Coca-Cola, la modernité française pour Chanel, l’art nouveau pour Perrier-Jouët)

Tous ces ensembles qui entourent le produit commercialisé enracinent le produit dans une expérience, dans une totalité intégrée. Le produit cesse d’être une entité abstraite isolée mais acquiert une nouvelle consistance.

Malheureusement :

o   Il y a des produits pour lesquels nous n’avons aucun ensemble associé. De fait, nous ne les désirons pas vraiment, ou de façon molle, faible.

o   De plus, pendant longtemps, c’était au consommateur de « faire le travail » de construction des ensembles et de tisser par lui-même les milles liens qui rattachent un produit à une expérience réelle ou mentale. Par exemple chez Renault, c’était au conducteur « d’inventer la vie qui va avec » le produit. Finalement c’était au consommateur d’entretenir son propre désir, et pas à la marque.

Aujourd’hui, les opérations de Brand Content montrent qu’il est possible de constituer des ensembles autour des produits dès le stade de la communication. Soit par « zoom avant », en insistant sur tel détail du produit, ses ingrédients, son origine, soit par « zoom arrière », en réintégrant le produit dans un univers culturel d’appartenance plus vaste.

Dans tous les cas, la dynamique du Brand Content correspond à cette logique du désir comme un désir d’ensembles. Dans le Brand Content, les marques cessent de présenter leurs produits comme des objets fétiches isolés dans des vitrines. Elles les intègrent dans des histoires, des usages, des contextes, des expériences intégrées (réelles ou fictives) et se mettent « à la hauteur » du désir du consommateur.

Quelle que soit la nature réelle du désir (sans doute est-ce un peu des trois), le brand content et la communication par contenu viennent compléter utilement la palette des modalités par lesquelles une marque cherche à séduire ses consommateurs, et son public.



Auteur : Daniel Bô
Source : BrandContent
Publié par : Nicolas Marronnier
Publié sur : levidepoches


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