Magazine Autres musiques

Un bal masqué (Un Ballo in maschera)

Par Porky

Septembre 1857 : Verdi cherche un sujet pour un opéra devant être créé au San Carlo de Naples. Le Roi Lear est une œuvre qui l'attire depuis longtemps mais il renonce à l'adapter en opéra, car il lui faudrait des chanteurs non seulement confirmés mais capables également de se montrer d'excellents acteurs. Après avoir rejeté plusieurs sujets, dont Ruy Blas de Victor Hugo, son choix se porte finalement sur un livret de Scribe : Gustave III ou le Bal masqué, inspiré du meurtre du roi de Suède Gustave III en 1792. Ce sujet n'a rien en soi d'original : l'événement a déjà suscité nombre d'œuvres diverses.

Verdi n'est pas vraiment enchanté de ce choix : l'œuvre est grandiose et belle, mais il la trouve pleine de maladresses et remplie de toutes les conventions du genre, ce qu'il ne supporte plus. Pourquoi l'avoir alors retenue ? Dans une lettre, Verdi avance l'argument du temps : il est trop tard pour chercher autre chose. Mais on imagine mal ce compositeur exigeant se contenter d'un sujet auquel il ne croit pas. En fait, les raisons de ce choix tiennent peut-être au fait que le livret de Scribe, malgré ses maladresses, offre en fait une certaine sécurité : la dramaturgie est bonne, et surtout efficace ; elle possède une tension toujours croissante, une fin poignante, des personnages complexes dont l'humeur ne cesse de changer au cours du drame. De plus, le livret permet une alternance de scènes de foule et de scènes d'intimité, des tableaux fantastiques, des instants de pure gaieté et d'autres extrêmement dramatiques.

Mais qui était donc Gustave III ? Il reste dans l'histoire européenne comme la figure d'un grand roi du 18ème siècle. Dès sa naissance, curieusement, le destin de ce monarque est lié à la scène : il est baptisé dans une ancienne salle de théâtre et est assassiné à l'Opéra de Stockholm. Enfant, il a très souvent vu jouer à la Cour de Suède la troupe française de la famille Du Londel ; il fréquente assidûment les comédiens, écrit lui-même des pièces de théâtre. Il fait construire une magnifique salle d'opéra. Dès son accession au trône, Gustave III rétablit la toute puissance de la fonction royale et règne en despote éclairé, comme le fait son oncle Frédéric II de Prusse. L'action culturelle qu'il va mener pendant tout son règne a un but précis : soutenir cette idéologie nouvelle, fille des Lumières, qui va se concrétiser dans beaucoup de réformes. Il réorganise l'armée, assainit les finances publiques, abolit la torture judiciaire ainsi que la vénalité des charges, établit la liberté de la presse et la tolérance religieuse. Son règne marque l'apogée culturelle et artistique de la Suède.

1783 : l'opposition s'organise et prend de l'ampleur. Quelques années plus tard, il force la noblesse à accepter une réduction de ses privilèges. Suit-il l'exemple de la Révolution Française ? Evidemment non, car il ne rêve que de pouvoir aider Louis XVI à remonter sur le trône. Mais le mécontentement devient en Suède de plus en plus grand et ce dans toutes les classes de la société. Certains le considèrent comme un tyran. Le 16 mars 1792, le roi assiste à l'opéra au dernier bal masqué de la saison ; il a été averti le soir même d'un complot monté contre lui mais refuse d'en tenir compte. Reconnu sous son masque blanc, il est désigné à l'assassin qui lui tire dans le dos. Le monarque ne mourra pas sur le coup mais décèdera le 29 mars. La légende du roi martyr peut alors s'installer.

Ayant pris sa décision, Verdi demande à Antonio Somma de versifier le livret ; mais il faut prendre des précautions, car une sévère censure sévit à Naples. Comment va-t-elle accepter qu'un régicide soit porté à la scène ? Justement, les censeurs multiplient les obstacles, les objections. Il faut que Verdi et son librettiste renoncent à faire de leur héros un roi qui devient duc, acceptent de remplacer le pistolet par le poignard lors de l'assassinat et déplacent l'action en Poméranie au 17ème siècle. A la mi-janvier 1858, Verdi arrive à Naples ; l'opéra est presque achevé et s'intitule Una vendetta in domino (Une vengeance en domino). Mais la direction du San Carlo l'avertit que l'opéra est interdit par la censure... Il est alors évident que si le compositeur veut voir son œuvre créée, elle doit subir de très nombreuses modifications. Le duc devient donc un simple seigneur, Amelia passe du rôle d'épouse à celui de sœur, la scène chez Ulrica est totalement modifiée, le bal est supprimé, l'assassinat doit avoir lieu en coulisses et la scène du tirage au sort de l'assassin a disparu. L'opéra aussi, par la même occasion.

Verdi est bien décidé à ne pas se laisser faire. Il refuse le livret que lui rend la censure -qui n'a vraiment plus rien à voir avec l'original. Le San Carlo poursuit le compositeur devant les tribunaux et réclame des dommages et intérêts. Le procès aboutit à un compromis. Fin avril 1858, Verdi repart de Naples, tout en sachant que le Théâtre Apollo de Rome est décidé à monter son opéra. La censure romaine est moins sévère que la censure napolitaine. Elle demande néanmoins à ce que l'action soit déplacée hors d'Europe ; Somma et Verdi choisissent alors le Massachussets ; l'opéra aura pour cadre Boston à la fin du 17ème siècle. Gustave III, devenu Ricardo, devient aussi par la même occasion « Conte di Warwick ». Mais le livret final est à peu près conforme aux souhaits de Verdi.

Le 17 février 1759, Un Ballo in maschera est créé au Théâtre Apollo de Rome. Le succès est immense et ne se démentira pas, jusqu'à notre époque. Succès dû à la musique bien sûr, admirable, mais peut-être aussi au livret qui, bien que recélant quelques maladresses, contient une très forte puissance émotive. Cette histoire d'un amour impossible, compliquée d'un drame de la jalousie, est en effet bien propre à émouvoir les âmes sensibles, d'autant plus qu'il ne s'agit pas de tout jeunes héros en butte à la malveillance des autres, mais de deux adultes profondément épris l'un de l'autre et qui, parce qu'ils sont adultes justement, refusent toute compromission et resteront vertueux jusqu'au bout. La loyauté entre les personnages règne du début à la fin dans cet ouvrage : loyauté envers le mari, envers l'ami. La noblesse de cœur, aussi. Et d'âme. Il y a du Corneille dans cet amour fondé sur l'estime et dans ce refus de trahir l'honneur. Amelia et Riccardo luttent contre leur passion ; à peine a-t-elle avoué son amour à Riccardo qu'Amelia se reprend : elle est mariée à Renato, elle appartient à un autre et ne veut pas céder à ses sentiments pour Riccardo. Il en est de même pour ce dernier qui, après réflexion, décide de nommer Renato en Angleterre, c'est-à-dire de renoncer définitivement à Amelia en l'envoyant loin de lui. Il sauve ainsi un amour qui n'aurait sans doute pas survécu à la trahison : Corneille, encore...

ARGUMENT : Boston, fin du 17ème siècle - Acte I - Premier tableau - La salle de réception du palais du gouverneur.  Riccardo donne une audience. Oscar, son page, lui remet la liste des invités conviés au bal masqué. Riccardo est enchanté d'y trouver le nom d'Amelia, la femme de son secrétaire particulier Renato. Cependant, Renato est son meilleur ami, le plus dévoué et son plus ardent défenseur : éléments qui posent un net cas de conscience à Riccardo, amoureux d'Amelia. Renato a découvert que l'on conspirait contre le gouverneur mais ne connaît pas les noms des conspirateurs. Un juge vient présenter à la signature la sentence de bannissement prononcée contre une vieille diseuse de bonne aventure, Ulrica. Oscar intervient en la faveur de la vieille femme et Riccardo décide de se rendre chez elle afin de mettre à l'épreuve ses dons de divination.

Deuxième tableau - La cabane d'Ulrica.  Riccardo entre, déguisé en pêcheur. A son insu, Amelia est également venue consulter Ulrica. Il l'entend demander à la sorcière l'herbe magique qui la guérira d'un amour interdit, celui qu'elle éprouve, bien que mariée, pour Riccardo. Elle devra cueillir cette herbe elle-même à minuit sous le gibet. Après le départ d'Amelia, Riccardo sort de sa cachette et de questionne la sorcière. Ulrica lui prédit qu'il mourra de la main d'un ami. Les conspirateurs, qui appartiennent à sa suite, pensent qu'ils sont découverts. Ricccardo demande qui sera son meurtrier. « Le premier homme qui serrera votre main » répond Ulrica ; Renato entre et accueille son ami d'une vigoureuse poignée de main. Riccardo rit de cette coïncidence et tout le monde chante ses louanges.

Acte II -  Minuit, près de la potence.  Arrive Amelia, dissimulée derrière un voile épais. Elle commence à cueillir l'herbe magique. Riccardo la rejoint, décidé à la protéger. Incapables de se dissimuler leur amour, ils se jettent dans les bras l'un de l'autre. Mais arrive Renato, venu veiller sur son maître. Les conspirateurs sont rassemblés non loin de là et l'attendent. Riccardo fait promettre à Renato qu'il accompagnera en ville la femme voilée qui est avec lui sans chercher à connaître son identité. Il rentrera de son côté par un autre chemin. Renato et Amelia tombent aux mains des conspirateurs. Ils veulent savoir qui est la bien-aimée du gouverneur. Ils soulèvent le voile et Renato reconnaît sa propre femme. Fou de colère, il ordonne aux conspirateurs de le retrouver chez lui au matin.

Acte III - Premier tableau - Une chambre des appartements de Renato. Ce dernier a décidé de tuer sa femme pour se venger de l'affront reçu. Elle le supplie de le laisser embrasser leur fils une dernière fois ; touché, il l'épargne. Les conspirateurs arrivent ; ils décident de tirer au sort le nom de celui qui frappera Riccardo. Renato appelle sa femme, réfugiée dans sa chambre et qui ignore tout du complot, et lui ordonne de tirer un papier de l'urne : il porte le nom de Renato, écrit de sa propre main. Amelia vient de désigner involontairement celui qui va tuer l'homme qu'elle aime. Pour dissiper ses soupçons, Renato accepte de se rendre au bal masqué auquel Riccardo, inconscient du danger, les invite.

Deuxième tableau - Cabinet privé du gouverneur au palais. Riccardo signe un décret nommant Renato en Angleterre. Il ne veut pas trahir son ami et respecte trop Amelia pour l'entraîner elle aussi vers la trahison. Oscar lui apporte le billet d'une inconnue : on le supplie de ne pas aller au bal ce soir car il court un grand danger. Riccardo veut cependant revoir une dernière fois Amelia et décide de s'y rendre.

Troisième tableau - La salle de réception du palais. C'est le bal masqué. Au milieu de la foule des invités, brillamment parés et masqués, Reanto peut reconnaître Riccardo grâce aux indications d'Oscar. Guidée par l'instinct, Amelia l'a également reconnue et le supplie de fuir le danger. Riccardo refuse d'avoir peur. Renato s'élance vers eux et poignarde Riccardo qui s'effondre, mourant. Il a cependant le temps d'assurer Renato de l'innocence de sa femme, de tendre à Reanto sa nomination pour l'Angleterre et d'ordonner à l'assistance que sa mort ne soit pas vengée. Il meurt dans la consternation générale.

VIDEO 1 : L'air d'Amelia du second acte, au début de la scène de la potence : redoutable car il exige un registre impressionnant. Maria Callas, live 1957, Scala de Milan.

VIDEO 2 : Final acte III - Pavarotti, Zampieri, Scala de Milan 1978.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Porky 76 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte