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PATRICK EUDELINE ::: Rue Des Martyrs

Publié le 11 juin 2009 par Gonzai

Qu'est ce qu'on va faire une fois que Patrick Eudeline sera mort ? Est-ce qu'on aura dix minutes de silence comme pour Lennon ? Des kids s'habilleront en noir comme pour Cobain ? Verra-t-on fleurir quelques mausolées dont le buste sera régulièrement dérobé ? Ou son visage recouvrira-t-il les T-shirts des futurs groupes à guitares ?

PATRICK EUDELINE ::: Rue Des Martyrs
Gravé les traits de sa coupe de cheveux Ronnie Woods dans des zippo, c'est encore le plus probable.

Une chose est certaine, une jeunesse sera déchirée, attristée, révoltée de n'avoir pu l'approcher de plus près. D'autant que faire partie de ses 3948 amis sur Facebook ne signifie plus grand chose, et qu'à moins d'un mètre il ne vous reconnaît pas.

Polly Magoo has turn into... Mister Magoo !

Ça n'a l'air de rien comme ça, mais Patrick Eudeline a su devenir un monument du rock. Quelque chose entre le Rock'N'Roll Hall Of Fame Museum de Cleveland et l'échelle de bibliothèque dont Keith Richard est tombé il y a une dizaine d'années.
Pour ceux que cela intéresserait, l'échelle incriminée est à vendre sur eBay sur le compte de Magoo822.

Posons-nous un instant. Qui se souvient réellement de Boxeur Sonné ? Qui écoute encore Asphalt Jungle ? Ce n'est donc pas le musicien (qui comme tous les punks de la promo 76 était moins un compositeur qu'un performeur, un coup de pied salvateur dans des dents trop serrées et entretenues au Steradent) qui marque les esprits. Non c'est l'auteur. Evitons le débat sur le terme rock critic qui va si mal à la France et que le concerné réfute de toute façon. Non, je vous le dis, c'est l'écrivain qui touche au coeur.

A ceux qui auraient déserté les librairies à la mort de Pacadis, pour noël 86, il est bon de savoir que dix ans après, on a publié coup sur coup Houellebecq (94 : Extension du domaine de la lutte), Despentes (96 : Baise moi) et Eudeline (97 : Ce siècle aura ta peau). Cela n'a l'air de rien comme ça, mais dix ans (encore) plus tard, cela fait toute la différence. La révolution est digérée, les humeurs ravalées, l'anticipation sociale dépasse enfin le cadre étriqué de la (science) fiction. Le cri des guitares, à toutes les pages.

Les mots "gode" et "barrette" font leur apparition dans des histoires de sentiments humains qui n'auraient pas déplu à Flaubert si on lui avait fait précédemment écouté Jefferson Airplane en suçotant une planche de Marianne.

Flaubert parlons-en. Parce que si Eudeline est vénéré par des lycéens, c'est justement parce qu'il incarne tout ce que n'est pas un auteur. Un auteur c'est chiant, endormant, habillé sobre, pour ne pas être remarqué, ça vit reclus, enfermé, à boire du thé et certains soirs de la liqueur. Là, sous leurs yeux, il y a un type qui a connu cette odeur de chiottes de gymnase qu'ont les backstage, qui sait le goût d'une ceinture dans laquelle on mord, et qui peut changer une corde sur une Fender. Qui défend des principes simples (qui a dit lieux communs ?) facile à répéter : le rock'n'roll c'est du rythm & blues, le disco et la techno c'est kif-kif, que le rock c'est un truc qu'il n'aime pas puisque cela inclut Metallica et U2. Ad nauseam.
Un homme de son temps. Le nôtre, bien sûr, puisque c'est un nostalgique et collectionneur compulsif. Qu'est-ce que le net sinon du passé en streaming ?

PATRICK EUDELINE ::: Rue Des Martyrs
La vraie question est pourquoi s'intéresser à sa disparition ? L'homme n'est pas mourant aux dernières nouvelles (avis aux infirmiers de l'hôpital Bichat : écrire au journal qui transmettra par twitter). Et bien parce que c'est pile le sens de son dernier bouquin : Rue des Martyrs (Grasset). Ne nous y trompons pas, quand il décrit année par année la carrière d'un jeune minet - Drugstore, zippo et toute la panoplie décrite étiquette par étiquette (ne manquent que les indications de lavage en machine et la température de repassage) comme chez Bret E. Ellis - c'est bien une autre vie qu'il a en tête.

Tout y est. Le coeur qui  bat devant un jukebox ou la vitrine du White House de Renoma. Le front bas de porter le cheveu long, et le nihilisme d'une cravate ficelle face au jabot.

La difficulté de célébrer une musique en trois accords sur le territoire de tante Yvonne, la nausée du disco plus forte qu'après un trip champi. Les envies de changer le monde pour ne pas s'avouer qu'on voudrait changer de vie. Ou de CSP. Le regret de n'avoir eu aucun regret. Ni de môme. Ou de cause  - pauvre martyr que celui-là. Oui, tout.

Tout ce que vous avez déjà lu depuis dix ans dans les pages de Ungemuth ou de lui-même. Mais en mieux.

Parce que nous raconter que les sixties c'était beau - même en France - et qu'après, tout n'est qu'abomination, marchands du temple s’accouplant en numérique, ça on nous l'avait déjà joué. Mais à l'instar de Jimi amplifiant les Watchtowers de Dylan, Patrick Eudeline le dit avec passion. Comme un petit peak du VU. Le plaisir : rythme haché, images passées au polish, je ne vais pas vous le re-raconter, on lui ressemble tous trop. Le propos est aussi novateur qu'un album de Lou Reed après New York, et si rien ne reste sur le palais on se surprend à avoir descendu la bouteille, seul, en si peu de temps. Prévoir quand même un mal de tête lors des paragraphes sur le grand Satan internet. Mais reconnaissons lui que tout du long, on s'y sent plus présent qu'en traversant le musée Grévin. Le même plaisir idiot qui fait ré-écouter en boucle toujours les mêmes disques.

Alors pourquoi irais-je poignarder un de ceux qui fait que je fais ce que je fais ? Même s'il ne fait que synthétiser (comme un labo de Medellin) à longueur de pages ce à quoi nous carburons tous : la nostalgie.

Patrick Eudeline // Rue des martyrs // Grasset (313 pages)


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