Lorsque j’étais enfant, ma mère m’emmenait au cinéma voir des films classiques dans une salle d’art et d’essai dans la région parisienne, j’y ai vu, King Kong, Chantons sous la pluie, West side Story, enfin, des classiques du cinéma américain, beaucoup de films de Fred Astaire et de Gene Kelly, que je préférais à F. Astaire pour ses extraordinaires capacités athlétiques; c’était pour moi des moments magiques de me trouver, petit bonhomme, assis sur des fauteuils trop grands pour moi, ma mère prévoyait parfois un coussin pour me permettre de voir un peu mieux, juste au-dessus de la tête du spectateur adulte devant moi.
Il est vrai qu’ils étaient rares les enfants de mon âge à fréquenter les salles obscures des salles d’art et d’essai, dans les années 60. Enfant ébloui, je rêvai de faire partie de cette grande famille du cinéma, mais, mais, pour y appartenir il fallait des connaissances, des relations et beaucoup de chance, et ma chance s’en est allée ailleurs…
Sur la chaîne TCM, le mois dernier, il y avait un festival Fred Astaire, et je me suis dis :
- Allez, profitons-en, retournons en enfance.
Je me réjouissais rien qu’à l’idée de revoir des numéros de danse exceptionnels, que j’avais vu 35 ans plus tôt et puis, et puis, ce fut la grosse déception, comme le couperet d’une guillotine.
Les numéros de danses avec Ginger Rogers quand ils étaient dans le genre Ball Room Dancing étaient lassants, ennuyeux au possible, le scénario des films était fleur bleue, moyen, plein de condescendance, de dialogues entendus, les intrigues amoureuses étaient idiotes et peu crédibles, à moins que nous ayons évolué, c’est dire comme ils étaient idiots à l’époque, où plus simplement, c’est dire comme le public souhaitait que les histoires d’amour se déroulent ainsi.
En revanche, dès que l’on tombait sur des numéros avec les merveilleuses Cid Charisse, Anne Powel, Audrey Hepburn et même Leslie Caron, les chorégraphies étaient originales, agréables, et il est certain d’une chose, Fred Astaire était un danseur exceptionnel et unique en son genre. Il admirait Gene Kelly, qui le lui rendait bien, et la guerre des studios entre les deux hommes était ridicule, ils étaient tous deux, admirables de talent.
Évidemment, j'appréciai d’avantage Gene Kelly, qui était sans nul doute, pour moi, meilleur acteur que son aîné, mais on ne peut pas tout avoir. Je crois que j’admirais ses bonds, ses acrobaties parfaitement maîtrisées, ses chorégraphies majestueuses avec la belle Cyd, « The Legs » les plus belles jambes d’Hollywood assurée à 5 millions de dollars, G. Kelly dansant indifféremment avec Frank Sinatra, Donald O’Conor, Fred Astaire, Jerry la souris et tant d’autres partenaires extraordinaires, quelle joie pour l’enfant que j’étais et l’adulte que je suis encore.
Ah ! comme parfois j’aimerais n’avoir jamais grandi et être resté dans l’illusion de l’innocence, cela serait tellement plus facile de croire que tout est parfait.
Avec le recul, je constate que nombre des films de Fred Astaire, tenaient grâce à ses numéros de claquettes exceptionnels et qu’ils étaient construits autour de ses mêmes numéros car, l’intrigue, le jeu d’acteur, le film en lui-même, est souvent relativement moyen, au point de voir, presque systématiquement, la même histoire à chaque fois.
Enfin, cela ne l’a pas empêché de devenir la star qu’il méritait d’être…
Mais, mais, il faut tout de même savoir qu’aux USA, une communauté rejetée par celle des blancs montrait également d’extraordinaires talents de danseurs et de musiciens.
Dans le film « Cotton Club » (1984) de F.F.Coppola, on voit l’acteur afro américain de talent, Gregory Hines, danser les claquettes avec un groupe de grand-pères, tous excellents danseurs de claquettes, une tradition dans les JukeJunk’s, ces baraques dans lesquels la communauté noir se retrouvaient et qui ont lassés place à des bars miteux avant de devenir des clubs.
Hollywood a donc fait des films de blancs pour le monde entier, en méprisant d’emblée une communauté talentueuse qui vivait à ses côtés.
Le réalisateur Otto Preminger a été l’un des rares à prendre le risque de faire un film de blanc avec des acteurs noirs, avec « Carmen Jones » (1954) puis, avec « Porgy and Bess » (1959).
À cette époque, il entretenait une relation secrète avec l’actrice afro-américaine Dorothy Dandridge (qui interpréta le rôle de Carmen et de Bess). Les deux films eurent un succès retentissant et pour cause, l’Amérique méprisait les noirs qui, pour elle, demeuraient des esclaves qui ne pouvaient avoir le talent d’un blanc, c’est dire combien elle avait peur, cette Amérique puritaine, de voir ses théories sur les races, comme la suprématie de la race blanche, s’effondrer comme un château de cartes.
Pour la petite histoire, « Carmen Jones » a été interdit de diffusion en France pendant près de 40 ans, à cause des héritiers d’Henri Meilhac et Ludovic Halevy, librettistes de Georges Bizet pour son opérette Carmen, dont le film s’est largement inspiré.
Enfin, entre les années 50 et 70, les musiciens noirs s’imposent progressivement, The Duke (Duke Ellington) déjà connu au Cotton Club (1930) comme chef d’orchestre, Ray Charles dans les années 50, qui parvient à se faire connaître grâce aux disques qu’il fait avec Atlantic Records, puis ABC Paramounts, et puis, bien entendu, les Jackson 5 et le génial petit Michael avec Motown, qui vient de nous quitter, et bien sûr, Otis Redding, Marvin Gaye... La liste est trop longue.
Les noirs s’imposent enfin, et leur talent est non seulement reconnu, mais apprécié par toute la jeunesse de cette Amérique en quête de liberté, et par le reste du monde qui ne partage pas les sentiments de l’Amérique envers les artistes noirs.
En France, on admire Sidney Bechet, mais, pour la petite histoire, il aurait, dit-on dans les coulisses du Jazz, « emprunté » « petite fleur » à un musicien de Jazz Français, Maxime Saury, le drame de sa vie, mais cela fait partie des mystères du succès. « Bird » était admiré, et Miles Davis n’était bien qu’en France, ici, on l’appelait Monsieur, pas « Hey Nigger », c’est lui, qui improvisa la musique « d’ascenseur pour l’échafaud » (Louis Malle, 1958), un succès musical sans précédent, une musique divine, extraordinaire.
On peut dire sans se tromper que les arts ont permis aux minorités de trouver enfin le moyen de se faire entendre, apprécier et respecter et de prouver au monde, que les hommes ont de merveilleux talents d’où qu’ils soient, et quelque soit leur origine culturelle, raciale et sociale.
Il y a une universalité dans le talent, ne l’oublions pas.
Nous vivons une époque formidable…