Magazine Culture

Moi vivant, vous n'aurez jamais de pauses - Leslie Plée

Publié le 20 septembre 2009 par Malaurie @jfbib
Moi vivant, vous n'aurez jamais de pauses - Leslie Plée
Voici un livre qui frôle encore l'actualité, celle liée au travail. Et vous savez, combien ce thème revient régulièrement sur ce blog (Rien faire, Travaillez plus..., Éloge de l'oisiveté, Élisée Reclus...) !
France Telecom et ses suicidés, ou encore cette étude sur les adolescents réalisée pour l'Observatoire des familles parisiennes et dont Libération s'est fait l'écho dans son édition des samedi et dimanche 1er et 2 août :
 
"Selon une enquête du CSA... 65% des parents dans les zones sensibles travaillent le matin avant 8h30, et 47% après 19h30. Les ados se plaignent que leurs pères et mères ne soient pas très disponibles... ou pas au bon moment. "J'aimerais sortir, aller dehors quoi ! Au grand air. Disons que le week-end, mon père, il est un peu claqué, il dort souvent, donc on reste enfermés et je m'ennuie" rapporte une fille".
Tout cela concourt à nous faire réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons. Choisir son emploi est une liberté bien souvent bafouée. Leslie Plée nous montre qu'il est parfois crucial d'y réfléchir à deux fois avant de s'embarquer, le tout raconté et dessiné avec humour et sérieux.
Leslie est jeune. Elle suit son homme qui quitte la capitale pour raison professionnelle. Ils viennent s'installer à Rennes. Leslie a beaucoup de chance. En à peine quelques semaines, elle décroche un studio (sans fiches de paie, sans travail, sans garants, sans caution - comme quoi, ce monde n'est pas si pourri, il existe encore des gens qui préfèrent l'humanité à l'argent), un toit donc, puis un CDI. OUI ! Vous avez bien lu ! Un CDI.
Un CDI, 35 heures en plus... et attendez, ce n'est pas tout ! Un boulot de libraire, le rêve pour Leslie qui a baigné dans la culture depuis toute petite.
Bon, désolé, vous venez de terminer les premières pages, le rêve se brise. Leslie est dépressive. Elle consulte un psy qui, au lieu de l'écouter, lui pose sempiternellement la même question : "pourquoi avoir arrêter le dessin ?"
... et il a bien raison. Cependant Leslie mettra du temps à s'en rendre compte. Et si l'objet que vous avez entre les mains, lorsque je vous aurai convaincu, est bien un livre, c'est que Leslie a
finalement entendu la question de son psy...
Pourquoi être tombée si bas ? La raison est bien simple : Leslie est allée travailler dans une grande surface de produits culturels.
Là, où les chefs sont des gens cultivés aux méthodes confirmées. Ils ont fait leurs armes à Carrefour, Auchan, Ed ou Monoprix. Pour eux aucune différence entre un paquet de spaghetti, une boite de serviettes hygiéniques, du saumon sous cellophane et un Marc Lévy, un Millenium ou un Dora l'exploratrice. Placés en tête de gondole, sur une table d'exposition, avec des oeufs de Pâques ou des guirlandes de Noël comme décoration, du moment que les objectifs de ventes sont atteints, tout ira bien.
Par contre Lydie Salvayre, Erlend Loe, Maryline Desbiolles, Amre Sawah, Carole Thibaut, Yaël Tautavel, Hassan Musa (pensez-vous, ils ne connaîtront jamais les éditions Grandir, qui refusent, obstinément et avec raison, d'être distribuées par eux !) Gus Bofa et Élisée Reclus ne seront jamais en tête de gondole. Même Gatsby le magnifique risque d'avoir du mal à trouver sa place. Leslie nous apprend même que pour ces gens-là, Freud n'a même plus sa place dans le rayon psychologie : pas assez vendeur et surtout pas assez vendu !
Non, ce monde n'est vraiment pas fait pour qui aime un peu la culture, à moins qu'elle ne soit prédigérée... et y travailler est une expérience hors du commun, où le contestataire, l'idéologue, l'utopiste, le penseur, le râleur qui dit ce qu'il pense, le révolutionnaire, l'évolutionniste n'ont pas leur place. Ne vous inquiétez pas si vous faite partie d'une de ces catégories, il vous détecteront dès l'entretien d'embauche et ne vous prendront jamais. Leslie nous raconte tout cela. Comment elle a été passée à la moulinette des questions indiscrètes, comment elle s'est rendue compte que ses supérieurs étaient incompétents, machiavéliques et stupides, car inhumain. Eux ont oublié ! L'humain n'existe plus, seuls l'argent et le profit comptent.

Moi vivant, vous n'aurez jamais de pauses (ou comment j'ai cru devenir libraire)

Leslie Plée, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, Paris, 2008 - 15,00 €.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Malaurie 915 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine