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Eliette Abecassis : Un mariage sépharade

Par Albrizzi
Eliette Abecassis : Un mariage sépharade

La rentrée littéraire déborde de quêtes identitaires. Simple coïncidence ? Les périodes de crise sont souvent propices à des retours aux valeurs traditionnelles : la famille, le mariage, les coutumes et la religion. Eliette Abécassis tisse avec ces matériaux éternels le roman le plus passionné de la rentrée.


« Sucrés, salés, doux-amer, drôles et nostalgiques, généreux et orgueilleux, sincères et hypocrites », les Sépharades sont tout cela à la fois, or Eliette Abécassis ne se contente pas de les décrire avec ces mots, ce qui serait un peu facile et peut-être également, caricatural. Elle les peint sur 450 pages, ce qui constitue parallèlement à une histoire d’amour, le véritable enjeu de ce pavé.

La gageure ne manque pas de courage ni d’une certaine dose d’effronterie : intéresser des lecteurs juifs ou non, au destin d’une minorité de gens, membres d’une communauté appartenant à une religion elle-même minoritaire ! Les Sépharades forment en effet une partie seulement du peuple juif, ce sont les descendants des Juifs installés en Espagne jusqu’à la fin du XVème siècle, après le décret de l’Alhambra édicté en 1492 par Isabelle la Catholique, qui provoqua leur exil vers le Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc), et pour certains, vers l’Italie, la Grèce, les Balkans et le Nouveau Monde, futurs Etats-Unis d’Amérique. Ils se différencient des Ashkénazes issus d’Allemagne, d’Europe de l’Est et de Russie, dont la langue, le yiddish (mélange d’allemand et d’hébreu, de russe et de polonais), leur était propre.

Les raisons qui poussent à ouvrir ce livre sont multiples : soif de culture, désir d’apprendre à quoi ressemble l’Autre, qui se révèle parfois être soi-même (Esther, l’héroïne, va en faire l’apprentissage), mais aussi la qualité littéraire de ce récit qui se plie aux règles de l’art romanesque dans un entrelacs d'intrigues, bâties autour d’un mythe fondateur.

Eliette Abecassis renoue avec la veine de ses premiers livres, La répudiée et Qumran, nourris à l’aune de son savoir historique et de sa culture personnelle. Agrégée de philosophie, normalienne, elle a reçu l’enseignement de son père, professeur de philosophie considéré comme l’un des plus grands penseurs contemporains du judaïsme. Elle partage indéniablement avec son héroïne plusieurs traits familiaux et culturels qui, au lieu de la plonger dans l’autofiction (une erreur qu’elle évite dès le début), la force à affronter des démons personnels et des questions métaphysiques. Comme dans Mon père (paru en 2002) où elle remettait en cause une relation père-fille idyllique, la famille et les racines communautaires sont ici décortiquées, passées à la moulinette, observées et mises à mal. A la fois, juive, sépharade, française, alsacienne, Esther hésite depuis l’adolescence entre rébellion et tradition. L’essence du livre, et son intelligence, est de ne choisir à aucun moment entre toutes les options, mais de persister dans l’interrogation. Pas de révolte adolescente stérile, pas de soumission totale non plus. La jeune femme aime ses parents tout en étant pleinement consciente de l’emprise étouffante qu’ils ont sur elle. Sa sœur cadette n’a-t-elle pas fui au Canada pour leur échapper ?

Le roman est construit sur une très courte période : les deux jours qui précédent le mariage d’Esther Vital et de Charles Toledano, la réunion sur la terre d’Israël de leurs deux familles sépharades, originaires de deux villes différentes du Maroc, Fès et Meknès. Au milieu des invités venus des quatre coins de la planète, représentant la diaspora, les plats passent et repassent, la tchoutchouka salade d’aubergines et de poivrons grillés à l’ail, le tajine, puis les pâtisseries servies avec le thé à la menthe, les danseuses ondulent des hanches sur des musiques berbères, les langues se délient, parfois trop.

Esther croit avoir réussi à échapper à sa mère et son père, le mariage doit la libérer, mais rien ne se passera comme elle le pensait. A travers la transmission d’un secret, promis par Saadia Vital, le patriarche, à son fils Moïse, père d’Esther, Eliette Abécassis nous entraîne dans un tourbillon de sentiments contradictoires, de colères, de rires, de bouillonnements intérieurs, de sorcellerie, de mysticisme, la tentative d’une union de la chair et du cœur. Avant de devenir l’épouse de Charles, Esther doit être initiée à des secrets de famille et d’alcôve. Ainsi, apprend-elle la veille de la cérémonie, que sa grand-mère paternelle, Sol Vital, fut promise adolescente au grand-père de Charles, Jacob Tolédano. Dès lors, le mauvais œil rôde. Cartésienne et fille de la modernité, Esther se laissera-t-elle aller à croire à ces légendes ? Peut-elle échapper à ses racines ? L’on n’en dira pas davantage pour ne pas gâcher le plaisir de lecture.

Avec ce roman, Eliette Abécassis célèbre avec une passion extrêmement attachante l’âme sépharade ; elle dit aussi la nostalgie de l’exil, la culpabilité et l’attachement aux valeurs ancestrales, inhérentes à chaque communauté.


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