Pour toute une génération (celle de Fouad Elkoury, la mienne), les rêves de nos vingt ans, nourris de Che Guevara et de Cohn-Bendit, se sont évaporés au fil des années; chargés de nos doutes, de nos dilemmes, de nos échecs, nous regardons maintenant avec nostalgie les jeunes hommes que nous fûmes, et, parfois, nous nous prenons à ré-espérer. Mais c’est le plus souvent avec une nostalgie douce-amère que nous regardons le monde, un peu désabusés souvent, un peu idéalistes encore.
Fouad Elkoury, dont j’avais beaucoup aimé l’histoire d’amour brisé sur fond d’invasion de son pays, il y a deux ans à Venise, présente à la galerie Peyroulet (jusqu’au 17 janvier), une partie de sa série What happened to my dreams … ?. Excepté un ou deux ensembles plus personnels (dont l’un, très beau, sur sa mère), la plupart des pièces présentées ici sont à forte tonalité sociale et politique, comme si un artiste du Moyen-Orient ne pouvait jamais totalement se défaire du poids des contingences locales qui l’engluent et l’obsèdent.
La plupart des pièces combinent photographie et texte, parfois par une inscription sur l’image même, parfois par une combinaison de panneaux écrits et de photos. Celle ci-contre, titrée Smile, sourire, est assez ambigüe : trois soldats de dos, au repos, non identifiables, contemplent en vainqueurs ou en occupants un immeuble détruit, une piscine vidée et, au loin, la mer. En bas, à la main : “ce qui me manque le plus, c’est ton incroyable sourire”. L’amour au milieu des décombres, l’absence de l’aimée, l’incapacité à la rejoindre quand on est ainsi enfermé par les soldats, tenu à distance, tout cela compose une oeuvre étrange, tendre et triste.La pièce présentée en haut est plus dure, plus tragique aussi, son ironie est iconoclaste, dévastatrice. Elkoury y affirme avec force son engagement, et, en même temps, il dit son désespoir, sa déception face aux solutions toujours rendues impossibles, face aux refus et aux manoeuvres. Le rêve ici, qui datait de notre enfance, est devenu cauchemar, et le restera peut-être en effet cent ans; la ligne verte des arbres est bien lointaine, bien fragile derrière les blocs de béton. C’est une photo qui choque, contre laquelle on peut hurler ou devant laquelle on peut pleurer, ou marcher. Seuls ceux qui ont des certitudes immuables s’insurgeront (Palestine 2048).
Photos courtoisie de la galerie Peyroulet.