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[masse critique] Loving Frank, roman de Nancy Horan

Par Tilly

Ed. Buchet Chastel, 539 pages - 23,76 euros sur amazon Avant de lire le roman de Nancy Horan, je ne connaissais de Frank Lloyd Wright que sa réputation d'architecte, son style années 30, son goût de la décoration intérieure dépouillée, japonisante, et le Guggenheim Museum de New-York. Rien sur son physique, son caractère, rien de sa longue vie (1867-1959),

Alors j'ai pris bien soin de ne faire aucune recherche d'images ou de textes avant lecture, pour rester intacte et me laisser surprendre par la fiction historique et romantique de Nancy Horan (traduite par Virginie Buhl).

livre critiqué dans le cadre du programme Masse Critique

Autant donner mon opinion dès maintenant : c'est un bon roman, une histoire émouvante, attachante, de beaux personnages comme on aimerait en voir plus souvent que l'on regrette de quitter à la fin. Tout pour faire un joli cadeau de fin d'année (surtout à une lectrice).

C'est un roman, pas une biographie, même si les personnages ont existé.
Quoi de plus romanesque et de terrible que la rencontre de Mamah et Frank en 1907, dans les beaux quartiers de Chicago !
Le jeune et talentueux architecte jouit d'une réputation précoce. Très travailleur et doué pour la communication avec les médias, il semble destiné à un succès facile, tout tracé. Mais marié et jeune père de six enfants, il tombe éperdument amoureux d'une jeune femme pour qui il a dessiné et construit une maison avant-gardiste.
C'est Mamah Borthwick Cheney, mariée elle aussi. Un, bientôt deux enfants, une nièce orpheline à élever. C'est une femme cultivée, moderne, mais qui a renoncé à une carrière d'intellectuelle pour se consacrer pleinement à son foyer.
Frank et Mamah se sont rencontrés une dizaine d'années trop tard. A cette époque on se mariait tôt, juste après la fin des études. Et on divorçait encore rarement...

L'amour entre Mamah et Frank est malgré tout plus fort que les conventions sociales terriblement prégnantes de l'époque. Pour vivre pleinement leur passion, une seule solution déchirante : quitter leurs foyers respectifs. Ils fuient Chicago pour vivre ensemble, et s'installent d'abord à Berlin où Frank a des projets professionnels.
Leur départ provoque évidemment un énorme scandale dans la bonne société est-américaine, aussitôt relayé et amplifié dans la presse. C'est sur Mamah que se cristallisent les critiques, car elle est moins connue et moins populaire que Frank. Il est facile de lui faire endosser le double rôle de voleuse d'homme et de mère indigne.

Pendant leurs longs mois d'exil, puis au retour à leur installation dans le Wisconsin, ils vont être la cible régulière des journaux à scandale. Mamah devra supporter durant des années de voir son histoire familiale faire la une des grands quotidiens américains :

ILS ABANDONNENT LEURS FAMILLES POUR S'ENFUIR EN EUROPE

L'EXIL DES AMANTS BRISE LE COEUR DES ENFANTS

LA PROGENITURE DE MRS CHENEY PRIE POUR SON RETOUR, MAIS SEUL UN DES TROIS Y CROIT ENCORE

Après Berlin, Nancy, Paris, Leipzig... Fiesole en Toscane. Mamah est souvent seule pendant que Frank conduit ses projets, ou voyage de son côté, jusqu'au Japon, source majeure de son inspiration artistique. Difficilement, Mamah reste en contact le plus possible avec ses enfants, et commence à organiser son divorce. Son mari Edwin Cheney se remariera assez vite.

Mamah a rêvé d'une maison en Toscane, mais raisonnable elle acceptera le retour aux Etats-Unis, pour la carrière de Frank, et pour se rapprocher de ses enfants. Elle finira aussi par mettre de côté ses ambitions d'intellectuelle féministe. Plutôt que s'engager totalement dans la traduction et la promotion des travaux de la féministe suédoise Ellen Key qu'elle admire, Mamah consacrera son énergie à diriger le chantier de construction de leur nouvelle maison dans le Wisconsin, berceau de la famille de Frank.

"Aimer Frank" n'est pas facile tous les jours dans ces conditions-là. Lui, a son art, sa création, son métier, pour atténuer les blessures du rejet familial et social. Mamah n'a que son amour pour Frank pour l'aider.

Frank a besoin de Mamah. Etonnamment, c'est Frank qui basculera presque dans la névrose de l'échec. Mamah, plus solide, aura du mal à accepter de voir son homme idéal se transformer peu à peu en personnage veule, lâche, mentant sur la prospérité de ses affaires, trichant avec ses fournisseurs et ses employés, comme attiré par la catastrophe financière.
Grâce à Mamah et à Taliesin - la nouvelle maison -, Frank retrouvera peu à peu sa volonté et son aura artistique. Le pire sera évité, provisoirement.

...Non non ma fille tu n'iras point danser...

La fin cruelle de l'histoire de Mamah et Frank, au cours de l'été qui verra l'Europe entrer dans la Grande Guerre, m'a explosé aux lunettes, façon de dire que le lecteur non averti ne reçoit aucun signal avertisseur pour en amoindrir la brutalité.
Nancy Horan a parfaitement rendu par son écriture, pour le lecteur, la violence d'un choc qui aurait dû pétrifier la société américaine et ses médias de l'époque, et leur faire se poser quelques questions, à défaut d'éprouver des regrets sur la façon dont ils avaient relaté l'affaire pendant des années.

Au final, une histoire extrêmement forte et poignante, pour ce Loving Frank.
Une écriture (et sa traduction), précise, réaliste, calme et efficace (Nancy Horan est journaliste), mais qui manque pour moi des couleurs plus fragiles et de la tendresse fitzdgeraldiennes.


Frank, héros d'un scénario de Francis Scott... filmé par Orson Welles, à Taliesin... j'en ai rêvé, en lisant Loving Frank.


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