Il y a quelques jours, j'ai eu la chance d'interviewer Dominic Miller dans le sud de la France où il réside avec les siens. Ce guitariste de renom a six disques à son actif. Un septième, November, sera, dès le mois de février, dans les bacs – sur lequel officie, entre autre, le très estimé pianiste Yaron Herman, dont je vous ai déjà parlé -.
J'ai été séduit par le style, la grâce musicale et le questionnement artistique de Dominic Miller, personnage à la modestie attachante malgré le nombre incroyable de musiciens connus avec lesquels il a joué. Citons, pêle-mêle : Mark Hollis, Pretenders, Phil Collins, Manu Katché, Youssou N'Dour... sans oublier, bien sûr, Sting.
Dominic sera d'ailleurs sur scène avec ce dernier, le 15 décembre à Paris et, deux jours plus tard à Baden-Baden. Tout cela méritait bien une rencontre. Mais avant de vous laisser en compagnie de Monsieur Miller, voici un petit tour d'horizon de ses albums dont l'interprétation et le ressenti n'engagent que l'auteur de ces modestes lignes.
On remarquera d'emblée la très jolie pochette de disque où l'on voit la main de la jeune Miller s'approcher de celle de son papa guitariste. First touch, premier contact, premiers pas aussi en solo de Dominic Miller qui dévoile d'emblée son goût pour l'intime. Quelle douceur. Elle débute par un morceau intitulé Eclipse. Dès les premières notes, je reçois avec délice cet auteur qui vient de se glisser chez vous comme un chat, sans faire de bruit. Comme s'il n'avait pas osé déranger. Je trouve beaucoup de nostalgie dans cet opus. Elle est très vivace dans Do you want me, morceau certes un peu plus rythmé que le précédent mais qui cède malgré tout à une certaine contemplation.
En poursuivant l'écoute, on s'aperçoit que le regard se porte sur des choses lointaines. Comme en écho à Eclipse, voici February Sun. Je me laisser toujours chavirer par ces instants que souligne un synthétiseur timidement présent lui aussi. Moi qui, d'ordinaire, suis assez peu séduit par cette combinaison, je quitte volontiers le monde des humains grâce à un doux mélange de simplicité et de complexité, de naïveté et de réalisme. Rush hour, contraste, me semble-t-il, avec ce qui précède. Je me demande, à ce stade de l'écoute, si Dominic Miller ne va pas se retrouver un peu vite à cours de munitions tant il prend les chemins de traverses. Il donne l'impression de s'arrêter, d'observer, un peu comme un enfant qui découvrirait un monde fantastique et n'en serait pas effrayé. Puis il revient au point de départ. Mais entre-temps, que la promenade est belle.
Il y a ensuite La Boca puis Looking for. Oui, à coup sûr, il cherche, ce guitariste. Mais quoi ? S'il cherche, c'est qu'il a le temps. Et qu'on a envie de le prendre avec lui. Voici un billet. Direction Buenos Aires, ville de naissance de l'auteur. On comprend, au fur et à mesure, l'apport de Dominic Miller à des gens comme Sting. Surgit alors Scan, mon morceau préféré, tout simple. Se succèdent ensuite David, Ten years et Last dance. Ce dernier morceau me semble annoncer un changement. Comme si, à partir de là, le compositeur décidait d'explorer une autre partie de son moi. Comme s'il était un peu moins dans le retrait. Peut-on en conclure qu'il y a une volonté plus manifeste de s'emparer des choses autour de lui ? C'est mon interprétation.
Des choses autour de lui, il y en a. Des sons aussi. Comme ici dans Truco, qui fait référence à un jeu de cartes, en Argentine. Après un début tout en douceur et cette Introduction très méditative, nous voici donc plongés dans un espace bondé, semble-t-il. Pourtant, on ne parvient pas à se concentrer sur tel ou tel propos. Comme si notre capacité de perception n'était pas assez développée. Mais pourquoi devrions-nous finalement chercher à capter, comprendre ? Non. Avec Dominic Miller, il faut peut-être accepter de ne pas tout saisir, de se laisser déranger par un son, une image. Il y a dans cette musique quelque chose qui rappelle la pratique du yoga : délasser son corps toujours soumis à rude épreuve pour aller explorer d'autres horizons – When I close my eyes -. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. A aucun moment, ce guitariste ne cède à la facilité de faire une musique d'ascenseur. Il y a trop de profondeur ici pour cela.
Foi Boa est presque une poursuite de l'esprit du premier album. Peut-être s'agit-il là, en effet d'une seconde nature ? Encore que j'en suis de moins en moins persuadé car ici, Dominic Miller varie encore davantage les plaisirs. Vous pourriez comprendre, en lisant ces notes, que c'est toujours pareil, en fait. Non plus. Car si le carrousel Miller offre, au départ, des éléments reconnaissables, tout change dès qu'il se met en route. En route oui, pour explorer d'autres chemins, d'autres univers. Pour vérifier aussi et répondre à la question suggérée par le morceau If...
Et dans ce voyage, outre la capacité de voir, d'entendre et de se nourrir de cela, il y a aussi la capacité de faire sien. C'est ainsi que je comprends Unify, le plus beau moment de cet opus, pour moi. Soulignons aussi l'extraordinaire Lullaby to an anxious child, co-écrit avec Sting qui a si bien su greffer des paroles. Mais ici, il s'agit de la version instrumentale de Dominic Miller. Ne mélangeons pas !
Dans ces voyages, il y a donc des rencontres. Rencontre avec Neil Stacey, autre guitariste avec lequel Dominic Miller reprend des morceaux d'albums précédents. Signalons d'emblée que les deux univers se marient pour le meilleur. J'apprécie également que, à l'écoute, aucun des deux ne tire la couverture à lui. C'est vrai que chacun vient avec ses propres compositions. Mais cet écueil a été évité.
Notons, là encore, la présence de la version instrumentale de La belle dame sans regrets, morceau co-écrit avec Sting. Les gens qui me connaissent très bien pourront vous dire que j'ai passé en boucle qui figure aussi sur Mercury Falling de l'ancien chanteur de Police, toujours dans une version chantée. L'impression d'avoir, en face de soi, un homme les pieds sur terre et la tête dans les étoiles est encore plus frappante ici, je trouve. Mais ce côté relaxant, ce monde vu d'en haut n'est pas forcément ce qu'on retrouve dans l'intégralité de ce disque. Car Rush hour me semble joué ici avec un rythme plus rapide.
Signalons enfin que l'on trouve ici une reprise de Shape of my heart, morceau connu planétairement. Et oui, c'est aussi Dominic Miller. Enfin, c'est aussi une co-écriture avec Sting. Quand on sait les difficultés qu'avaient Andy Summers et Stewart Copeland à voir leurs morceaux figurer sur les disques de Police, on ne peut s'empêcher de penser que l'influence de Dominic Miller est loin d'être négligeable.
C'est l'hommage d'un musicien à ses pairs. Voilà Bach, Elgar ou encore Satie interprétés par Dominic Miller dont l'amour pour le mélange des genres prend ici une résonance particulière. On croise aussi Placido Domingo, Chris Botti et bien sûr Sting – dont la présence, une nouvelle authentifie le respect de ce dernier pour son « petit frère ». -
Si je fais plus court ici, ce n'est sûrement pas pour des raisons de goût.
Je préfère simplement consacrer un peu plus d'énergie à des disques plus milleriens.