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« L’Enigme du retour », de Dany Laferrière

Par Encres Noires

« L’Enigme du retour », de Dany LaferrièreDe l’écrivain haïtien Dany Laferrière, j’avais déjà lu le premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), et un autre, Pays sans chapeau (1996). Le premier, léger, se situait à Montréal, au Canada ; le deuxième, déjà bien plus grave, à Port-au-Prince, en Haïti. Avec L’Enigme du retour (2009), Laferrière continue de filer le thème de l’exil, dans une veine toujours plus personnelle bien que pudique, et pour ce faire effectue un grand écart entre le Québec et la Caraïbe, entre le Nord et le Sud.
Le « retour » dont il fouille « l’énigme » est déclenché par la mort du père, Windsor, en exil comme le fils dans une grande ville d’Amérique du Nord, New York. L’un a été chassé par Papa Doc, l’autre a fui Bébé Doc. Un père qu’il a de ce fait si peu connu et dont il apprend la mort au téléphone, au milieu de la nuit canadienne : « La nouvelle coupe la nuit en deux. / L’appel téléphonique fatal / Que tout homme d’âge mûr / Reçoit un jour. / Mon père vient de mourir. » Ainsi commence le roman, dont l’écriture alterne entre prose et vers libres.
Après avoir suivi brièvement les traces de son père à Brooklyn, le narrateur décide de se rendre, plus de trente après son départ en exil, en Haïti. Avec comme compagnon de voyage le Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire. A Port-au-Prince, il retrouve sa mère qui aura vu partir les deux hommes de sa vie et à qui il doit annoncer que le premier ne reviendra plus jamais, tandis que le second repartira bientôt ; son neveu prénommé Dany qui rêve de devenir écrivain ; ses anciens amis qui mènent tant bien que mal la vie qu’il a fuie ; les anciens amis de son père, devenus qui ex-ministre, qui paysan parmi les poules. Tous lui racontent l’histoire, passée, présente et à venir, de son absence.
Voilà pour les personnages « réels », que domine la figure de la mère généreuse, forte et sacrifiée. Mais L’Enigme du retour est peuplée de visages moins charnels mais tout aussi vivants sous la plume de Dany Laferrière. Il y a l’Exil, bien sûr, morsure plus insidieuse que l’hiver canadien, blessure plus perçante que le soleil haïtien. Il y a l’Art, aussi, celui de l’écrivain au fond de la forêt québécoise ou celui des peintres de Pétionville. Il y a la Mort, surtout, omniprésente, en lunettes noires à l’époque des tontons macoutes, en Kawasaki jaune sous le règne des gangs. Il y a la Faim, enfin, qui rampe, ronge toute la ville de Port-au-Prince, n’épargnant que les riches juchés à flanc de collines…
L’écriture de Dany Laferrière, hommage a la tradition poétique de l’île, est sensible et belle. A la lecture de ce livre, on se surprend à remuer les lèvres au rythme des syllabes. On se sent englouti, plongé dans l’ambiance de Port-au-Prince et de l’arrière-pays ; un voyage tout en ressenti et en retenue. La douleur sans les larmes. La beauté sans ses charmes. L’intimité sans la proximité. C’est peut-être cela, l’exil.
L’Enigme du retour
de Dany Laferrière
Grasset, 2009
300 p., 18 euros

Lire d’autres chroniques de L’Enigme du retour sur les blogs Chez AnnDeKerbu et Clavier bien tempéré.
Lire aussi l'échange entre Dany Laferrière et Lyonel Trouillot : « Paroles d’écrivains haïtiens ».

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