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Avatar du mythe du bon sauvage

Par Roman Bernard

Avatar du mythe du bon sauvage

Si les humains venaient à être opposés à des extra-terrestres, certains d'entre eux soutiendraient-ils ces derniers ? La religion de l'homme, qui fait toujours préférer un autre peuple que le leur à ses adeptes, finirait-elle par devenir anti-humaine ?
James Cameron répond par l'affirmative dans son dernier film, Avatar. Ou plutôt, à travers un peuple d'humanoïdes, les Na'vi, auquel le spectateur peut s'identifier (c'eût été plus difficile avec les aliens tentaculaires aux yeux pédonculés du navrant Independence Day), il plaide pour un autre genre humain, un genre humain qui ferait corps avec la nature au lieu, comme sa dénonciation de l'industrialisme occidental le suggère, de s'en rendre « maître et possesseur ».
Nul besoin d'être particulièrement clairvoyant pour comprendre que les Na'vi symbolisent les Amérindiens, comme le faisaient les samouraïs japonais dans un film mettant en scène Tom Cruise en instructeur militaire yankee, en 2004.
Si l'analogie entre les Amérindiens et les samouraïs pouvait avoir du sens (ne serait-ce qu'en raison de l'origine asiatique des premiers), on s'étonne que celle entre les damnés de la Terre et ceux de Pandora ne choque pas les humanistes, qui devraient trouver infamant que l'on compare plus qu'implicitement les colonisés à des aliens bleuâtres, attachants certes, mais primitifs (et exaltés pour cette raison).


Le bon sauvage prédateur


Mais la plus grande incohérence de ce film n'est pas là. Passé l'émerveillement que procure la projection en trois dimensions, le cinéphile averti voit vite que le réalisateur ne peut louer les Na'vi qu'en les humanisant, et ainsi démolir sa thèse.
Les Na'vi vivraient en harmonie avec la nature, alors que les hommes la détruiraient.
Cette « harmonie » n'est pourtant pas moins prédatrice que celle des premières cités du Néolithique, ayant fondé leur développement sur la domestication des animaux.
Dans Avatar en effet, les simili-reptiles que montent les Na'vi pour courir ou voler sont commandés par un « lien » physiologique entre l'animal et le Na'vi, et qui permet à celui-ci de commander par télépathie les mouvements de la monture, domptée.
Cela ne paraît guère plus « respectueux » de la nature que les manœuvres qu'est obligé d'accomplir le cavalier pour se faire obéir de son cheval, et qui nécessitent des trésors de patience, de pédagogie, bref d'« harmonie avec la nature » de sa part.


L'harmonie avec la nature, idée moderne


De même avec la médecine traditionnelle des Na'vi, à base de plantes et dont le caractère naturel est montré en exemple. Mais qu'est-ce que fait l'industrie pharmaceutique, sinon apprendre de la nature, et notamment de la flore, pour trouver des remèdes aux maladies ? Un médicament est-il plus naturel s'il se présente sous forme de mousse fluorescente que s'il s'agit d'un comprimé à base de végétaux ?
L'humanité que désire James Cameron existe déjà. Dans les laboratoires, dans les centres de recherche, dans les usines, l'homme moderne découvre la nature plus sûrement que les Na'vi dans leur forêt, restés à une approche magique, irrationnelle.
En revanche, le mythe du bon sauvage, qui constitue le substrat idéologique d'Avatar, relève du pur fantasme : l'idée très panthéiste d'un homme primitif communiant avec la nature ne résiste pas à l'épreuve des faits. Les Amérindiens, dont James Cameron semble vouloir expier le génocide, étaient tout aussi prédateurs que les Américains quand ils enflammaient les prairies pour en faire sortir les bisons.
La victoire finale des Na'vi sur les humains, du reste, n'est due qu'au fait qu'un homme ait pris la tête des extra-terrestres sous la forme de son avatar, plutôt, comme c'était sa mission, que de les convaincre de quitter le site où se trouve le minerai que l'entreprise basée sur Pandora veut extraire et revendre à prix d'or.
Difficile de ne pas penser aux Gandhi, aux Nehru, aux Senghor, aux Houphouët-Boigny revenus libérer leurs peuples au nom des idées démocratiques et libérales qu'ils avaient apprises sur les bancs des universités des puissances coloniales honnies.
C'est certainement dur à admettre, mais la décolonisation n'aurait pas été possible sans le concours des « prédateurs » occidentaux, ni la victoire des Na'vi sans la trahison d'humains préférant comme César être premier en Gaule que deuxième à Rome.
Un peu comme si Custer était, lassé de son petit régiment de cavalerie, passé à l'ennemi pour devenir le grand chef des Sioux et le vainqueur de Little Big Horn.


Pas d'humanisme sans Dieu ?


Le fait que le narrateur, lors de l'épilogue, se réjouisse de ce que les derniers hommes quittent Pandora pour rejoindre leur « monde à l'agonie » ne fait que confirmer notre propos initial : la religion de l'homme, dont le musée sis sur le Trocadéro est l'un des temples, par les déceptions qu'elle entraîne (l'homme n'est pas né bon, et partant il est dans les fers), finit par devenir anti-humaniste.
Le culte du Progrès, qui ne tient pas ses impossibles promesses, conduit, de la même manière, à la haine du progrès*, comme le montrent chaque jour ces « progressistes » qui, au nom d'un progrès qu'ils veulent « durable », veulent faire interdire les OGM.
Humanisme et progressisme semblent, en définitive, impossibles si l'on ne place pas au-dessus d'eux un principe transcendantal, un être suprême, bref, en un mot, Dieu.
Roman Bernard
* Jean-François Revel, La Grande parade (2000)
À lire aussi, sur Ilys, l'excellent article de SK.


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