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Mercredi, c'est Eastwood

Publié le 13 janvier 2010 par Petistspavs

Pour écouter la musique de film de la semaine, cliquer, SVP. Ce n'est pas une musique agressive, si vous n'entendez rien, pensez à monter le son.

Le film de la semaine sera assez consensuel, pour une fois. Et je vous invite, si vous avez eu l'obligeance de venir ici, de l'univers sans limite où vous êtes "quelque part", ce qui me ravit et m'impressionne toujours, je  vous invite donc à cliquer sur le machin Deezer pour une visite en musique.

Comme je ne trouvais pas la BO d'Invictus, j'ai cherché une autre BO de Clint Eastwood, je voulais faire un quizz, mais dans ma recherche, j'ai réentendu la musique d'Unforgiven, un des films les plus aboutis de Clint, un film très "viril" en même temps. Et la mélancolie, la douceur, une certaine tristesse (on se rappelle le sort fait au personnage incarné par Morgan Freeman), la délicate nostalgie, la fragilité, comme celle d'un dernier souffle, un souffle de plus, puis plus rien, tout ça dans cette musique un peu pied tendre, un peu fille, un peu rose sombre, m'a profondément touché.  Donc je vous la file, si ça vous chante.

Le dernier souffle, puisqu'on parle de cinéma, a été cette semaine celui d'Éric Rohmer. Le dernier film d'Éric Rohmer date de 2007. Je vous passe l'hommage de la presse que j'avais prévu. Si Libération a, comme d'habitude, sauvé l'honneur, la presse gratuite, le Parisien, même l'Huma (tiens ! les vieilles empoignades entre les Cahiers de Rohmer/Bazin et les Lettres Françaises d'Aragon auraient-elles encore l'ombre d'une actualité ?) et le figaro ont négligé l'événement. Qu'ils crèvent, avec leurs couvs publicitaires sur Avatar.

La disparition de Rohmer m'attriste pour plusieurs raisons. Rohmer a toujours été là quand j'avais besoin de films. Et puis, c'est curieux, quand on regarde les "palmarès" des uns et des autres, on se rend compte que 2009 a, aussi, été une année de vieux. De Oliveira, souvent cité par Eastwood, a dépassé le siècle. Ça ne l'a pas empêché de sortir deux films en 2009, dont un a fait le bonheur des TopTen cinéphiliques. Tavernier n'est pas un perdreau de l'année. Ni Rivette, ni Garrel, ni Resnais, tous reconnus comme de toniques inventeurs de formes cinématographiques. La fin décembre nous a gratifié du dernier Coppola qui est, je le répète, un chef d'œuvre absolu, comme est un chef d'œuvre absolu le dernier Bellochio.

Tous ces cinéastes (mais attention, je sais qu'il y a une relève, ici, en Amérique latine, en Asie, même aux USA) ont en commun, outre un talent particulier, d'avoir dépassé les 70 ans. Et aujourd'hui sort le dernier Luc Moullet. Et aujourd'hui, sort le dernier Eastwood.

Tout n'est pas perdu, mais le cinéma apparaît bien, et de plus en plus, comme un art du XXème siècle. Ce n'est pas gai pour les plus jeunes.

LE FILM DE LA SEMAINE

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Invictus
film américain (Etats-Unis) produit et réalisé par Clint Eastwood (2009, 2h12)
scénario : Anthony Peckam d'après le livre de John Carlins
directeur de la photographie : Tom Stern
producteur : Malpaso
distributeur : Warner Bros. France
avec Morgan Freeman, Matt Damon, Scott Eastwood
Synopsis : En 1994, l'élection de Nelson Mandela consacre la fin de l'Apartheid, mais l'Afrique du Sud reste une nation profondément divisée sur le plan racial et économique. Pour unifier le pays et donner à chaque citoyen un motif de fierté, Mandela mise sur le sport, et fait cause commune avec le capitaine de la modeste équipe de rugby sud-africaine. Leur pari : se présenter au Championnat du Monde 1995...

Cette fois, le choix de mon Film de la semaine ne brille pas par son originalité, car tout le monde va se précipiter pour voir "le nouveau Eastwood". A défaut d'originalité, je voue une fidélité sans état d'âme à Clint Eastwood, ce cinéaste qui ose marcher dans les traces géantes laissées par ses aînés. Qui, d'ailleurs, depuis quelques années, ose TOUT.
Pour Jean-Marc Lalanne des inrocks, Eastwood "semble devenu, avec une belle ampleur, la voix même de la sagesse en Amérique".  Pour René Solis, dans Libé, Invictus "raconte magistralement les débuts de Mandela au pouvoir, avec en toile de fond une seule interrogation : comment des gens qui n’ont strictement rien en commun peuvent-ils s’entendre ?". Des gens a priori hostiles, voire même plus qu'hostiles, pourrait-on préciser.

Ici, le rugby va être le stratagème (la stratégie ?) utilisé par Mandela pour réduire la fracture entre deux populations qui n'ont aucun cadeau à se faire. Comme l'Amérique de 1945 avait utilisé l'image glorieuse et légèrement faisandée des héros d'Iwo Jima pour mieux vendre les bons de la défense nationale (Flags of our fathers d'Eastwood), Mandela utilise le symbole (l'appropriation par la nation "arc en ciel" de l'équipe des Springbox, jusque là boycottée par la communauté internationale pour cause d'Apartheid) au service de sa  politique de réunification nationale.
C'est pour quoi on peut dire avec René Solis qu'"Invictus est d’abord porté par l’admiration quEastwood voue à Mandela, et par l’interprétation qu’offre Morgan Freeman d’un personnage dont l’énergie bonhomme transcende tout et dont l’acte de foi en l’humanité, tous bons sentiments bus, fait du bien." Un film qui "fait du bien", oui et je l'attendais et j'en attends plus. J'émets l'hypothèse que le film ne se réduit pas à un hommage, fût-ce à celui, parmi les hommes publics contemporains, le plus majestueusement ancré par son propre destin dans l'histoire de l'humanité. Car on sait, 15 ans après la magnifique tentative de Nelson Mandela, que les symboles n'ont qu'un temps. C'est à l'Amérique d'aujourd'hui, à l'Amérique d'après Busch que semble s'adresser Eastwood en traitant un tel sujet. C'est d'ailleurs l'hypothèse de Lalanne, parfaitement féconde et que je cite avec bonheur : "Nul doute quInvictus est aussi un film d’intervention dans la vie politique américaine et une plaidoirie pour que l’Amérique dans son ensemble soutienne son actuel président. Longtemps désigné comme républicain (stigmatisé même comme facho par la critique américaine dans les années 70), on sait quEastwood avait pris nettement ses distances avec la politique gouvernementale américaine sous W. Bush, allant jusqu’à qualifier de faute l’intervention militaire en Irak."
Eastwood en professeur de stratégie au service de la démocratie américaine, voilà une idée qui me plait. Décidément, cet homme ose TOUT.

D'AUTRES FILMS A NE SURTOUT PAS NÉGLIGER

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La terre de la folie
film documentaire bas-alpin de Luc Moullet (2009, 1h30)
scénariste : Luc Moullet
directeur de la photo : Pierre Stoeber
producteur : Les Films d'Ici
distributeur : Les Films du Paradoxe
Sélection Officielle - Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2009.

Synopsis : "L'arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le garde-champêtre, coupable d'avoir déplacé sa chèvre de dix mètres. Ça me fournissait un bon point de départ... Il y a eu d'autres manifestations du même ordre dans la famille."
Dans un entretien accordé en mai 2009 à Critikat, en réponse à une question sur  son rapport avec "la folie, thème transversal de sa filmographie", il répondait : « Oh ! transversal, il ne faut pas exagérer... Il peut y avoir effectivement des références à la folie. Mais elle est très présente dans mon lieu d’origine, et comme j’ai des parents qui viennent de cette région, j’en ai subi des contrecoups, mon frère aussi d’ailleurs. C’est une forme de folie douce, bienfaitrice, sans laquelle j’aurais fait professeur de géographie, et non cinéaste. » Il semble que son film parle de ça.
Moins connu que ses ex-collègues des Cahiers du cinéma (Chabrol, Godard ou Rohmer), Luc Moullet est un fin cinéphile, voire théoricien du cinéma (américain, avant tout) venu à la réalisation à la fois tard et en dilettante apparent. Malgré une rétrospective organisée par le Centre Georges-Pompidou il y a un an, l’œuvre de Luc Moullet, radicalement cinéphile, reste encore aujourd’hui extrêmement confidentielle, voire carrément ignorée. Il est pourtant l'auteur d'un des rares westerns français, Une aventure de Billy the Kid (1970), avec Jean-Pierre Léaud dans le rôle-titre. Je le connais surtout pour son premier long-métrage, Brigitte et Brigitte en 1965, dont le charme burlesque m'avait étourdi de bonheur.
Un nouveau film de Luc Moullet est toujours un événement, quelque chose de rare et précieux, comme la sincérité.

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La dame de trèfle
film français de Jérôme Bonnell (2008, 1h40)
directeur de la photographie : Pascal Lagriffoul (habitué des films de J. Bonnel)
distributeur : Le Pacte
avec Malik Zidi, Florence Loiret-Caille, Jean-Pierre Darroussin
Synopsis : Aurélien et Argine n'ont jamais réussi à se quitter. Frère et soeur, ils vivent ensemble depuis toujours. Aurélien arrondit secrètement leurs fins de mois en fourguant du métal volé. Argine n'y voit que du feu. Une nuit, survient Simon, complice d'Aurélien. Traqué par la police, il réclame de l'argent et se révèle vite menaçant. Pour Aurélien c'est l'engrenage. Ou la rencontre avec sa propre violence.
Si J. B. Morain dans Les inrocks regrette que Bonnel, qui excelle dans la chronique impressionniste, se soit lancé dans un film de genre (noir) pour lequel il n'est pas taillé, Didier Péron, dans Libé, insiste sur la qualité des acteurs, Malik Zidi, "parfait d'entêtement et de fragilité" et Florence Loiret-Caille (que j'avais adoré dans Au voleur), "décidément de plus en plus essentielle dans le cinéma français". Juliette Bénabent de Télérama, qui a aimé le film, insiste aussi sur la qualité des acteurs.
Donc, j'irai. Je suis un petit peu tombé amoureux de la délicieuse Florence L. C...

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Tsar

film russe de Pavel Lounguine (2009, 1h56)
distributeur : Rezo Films
avec Piotr Mamonov, Youri Kuznetzov, Oleg Yankovsky
Présenté en Sélection Officielle, Un Certain Regard au Festival de Cannes le 17 Mai 2009.
Synopsis : 1565. Ivan le Terrible, tsar de Russie, subit une défaite dans la longue guerre qui l'oppose à la Pologne. Il ne voit autour de lui que trahison. Pour lutter contre les traîtres, il crée une garde personnelle, "les Chiens du tsar", dont le signe de reconnaissance est une tête de chien accrochée à leur selle. "Les Chiens du tsar" plongent la Russie dans un bain de sang. Effaré, le métropolite - le chef de l'Eglise russe - se réfugie dans un monastère. Ivan le Terrible croyant comprendre et interpréter les signes, voit le Jugement dernier approcher...
J'ai été troublé par la bande-annonce. Je connais un peu Lounguine qui est capable du meilleur comme du pire, mais là, je trouve l'entreprise particulièrement gonflée. Refaire Ivan Le Terrible après Eisenstein, c'est un peu faire un remake de Citizen Kane malgré Orson Welles ou des Temps modernes en dépit de Chaplin. Il faut soit du concentré de génie, soit une connerie crassement ambitieuse comme on n'en fait plus (à moins que ce soit le contraire). Le sang coulant jusque sur l'affiche, la musique à faire peur pourrait évoquer le Dracula de Francis Ford Coppola... Ou rien. C'est mon dilemme et je sens que je prends le risque, en mettant ce film en avant, d'être ridicule.

Quand même, l'acteur qui se prend pour Ivan IV serait une ancienne rock star convertie à la religion. Mais ce post punk agenouillé trouvera-t-il la force spirituelle pour ne pas être écrasé par l'ombre géante de Nicolaï Tcherkassov, le terrible Ivan d'Eisenstein (qui avait aussi incarné Alexandre Nevski) ? On est en droit, malheureusement, d'en douter.

Vincent Ostria dans Les inrocks n'aime pas : "Pavel Lounguine n’est certes pas le plus nul des cinéastes russes contemporains, mais sa vision sans brio ni panache du mythe d’Ivan IV, dit le Terrible, qui prend le contre-pied absolu du formalisme incandescent d’Eisenstein, est plutôt contre-productive".

BIENVENUE, LES REPRISES !

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Senso
film italien de Luchino Visconti (1956, 2h05)
avec Alida Valli (comtesse Livia Serpieri), Farley Granger (lieutenant Franz Malher) Massimo Girotti (marquis Ussoni) Heinz Moog (comte Serpieri)
Visible à Paris au Reflet Médicis et au Mac Mahon et pour l'instant non distribué en Province.

Quand on a adoré Vincere de Marco Bellochio, puis Tetro de Coppola, on peut directement aller voir ou revoir Senso, qui ressort en copie neuve à Paris, pour l'instant, puis dans les réseaux Art et Essai de Province, j'espère.

De Vincere et Tetro (deux films dont le titre tient en un seul mot, comme un cri) Senso partage la folie et une certaine théâtralité qui ne nuit pas au bonheur cinématographique. On y trouve la même urgence, la même douleur lancinante et vive.

Cette histoire de femme séduite et abandonnée débute au Théâtre de la Fenice  de Venise où, devant la haute hiérarchie militaire autrichienne (l'Italie est occupée) Le Trouvère de Verdi donne lieu à une manifestation de résistance nationale vite réprimée. Commencée comme et dans un opéra, ce film sublime se déroule à la manière d'un autre Adèle H. dans les méandres de l'Amour fou sans espoir autre qu'une plus grande folie et se poursuit,  comme dans les flammes d'Atlanta dans Gone with the wind, parmi les décombres, les souffrances et la mort partout présente d'une Italie meurtrie, exsangue.

A voir absolument pour qui ignorerait le génie de Visconti et de ce film à la sensualité sublime et mortelle.

S'il n'y avait eu Senso à défendre, je vous aurais bien proposé Zabriskie Point, un film essentiel, période US curieusement un peu gauchisante d'Antonioni.

L'affiche :

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J'ai très envie de revoir ce film très destructeur. C'était, comme Senso et tellement d'autres, le cinéma italien avant que Berlusconi ne s'intéresse aux images qui bougent. Faites gaffe en France...

L'IMAGE DE LA SEMAINE

Je vous épargne ma petite musique intérieure, le bonheur de croiser dans le métro l'affiche du nouveau Clint Eastwood. Je suis un vrai fan et j'ai pour le grand Clint un cœur de midinette.

Donc, l'image de la semaine, c'est une affiche, à cause, à cause d'une femme (celle ou celui qui a décrypté l'allusion a gagné), Florence Loiret-Caille.

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Cette affiche m'a vraiment donné des envies de cinéma. Mais il y a une seconde image de la semaine, qui est aussi une affiche :

Blanche_neige

Ce que j'ai pu lire, par ailleurs (je pense à un blog en particulier, un joli blog), m'incite à découvrir, soit en salle, soit en DVD (car avec MK2, on est dans l'effet Kiss Kool) le travail de la chorégraphe Angelin Preljocaj qui a fait évoluer ses danseurs sur les plus belles pages des symphonies de Gustav Mahler, avec Jean-Paul Gaultier aux costumes. Tentateur.

Bonne semaine. Bons films.


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