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Oskar Pastior

Par Florence Trocmé

Le poète Oskar Pastior a disparu le 4 octobre 2006 quelques jours avant de recevoir le plus haut prix littéraire allemand (le prix Büchner), qui fait de l’auteur un classique de sa langue.
Né le 20 octobre 1927 dans la minorité allemande de Roumanie, il est déporté dans un camp de travail en Russie de 1945 à 1949, en tant qu’ennemi qui n’a pas fait la guerre. Puis il rentre dans son pays où il gagne sa vie en clouant des caisses. On en trouve peut-être un souvenir dans son poème « pollux » où on rencontre un « cube qui roulait», caisse sur rails ou dé des hasards de la vie ou de la composition mallarméenne face au vide.
Ayant rattrapé le bac puis l’université il devient rédacteur des programmes allemands de la radio de Bucarest. Sa poésie est reconnue comme emblème folklorique par un prix officiel de la dictature roumaine, c’est pourquoi en 1969 il préfère fuir à Berlin, ville emmurée mais libre. Dans « La ballade du câble défectueux », le câble de la communication (le poète ?) semble être un agneau à sacrifier : « abartesz-le / abartesz-le » entend-on au milieu des parasites qu’il intègre au message, « ilé mohrt pas dêfêctas ».
Polyglotte, Oskar Pastior mêle éclats d’étymologies, racines et lexiques de langues qu’il connaît (allemand, français, russe, roumain, anglais, etc.) dans son « éventail crimgothique », qui n’est pas une langue imaginaire d’un fou du langage mais plutôt, comme chez Gertrude Stein et Joyce, un paradis de mots. « je n’ai pas été en / Arcadie – aucun moi / n’était – n’a seulement été / seulement en Arcadie / l’abri-abri. »
Les mots-molécules sont brisés et leurs syllabes ou lettres réorganisées dans des palindromes qui peuvent être lus syllabiquement de gauche à droite ou de droite à gauche, ou dans des anagrammes. Oskar Pastior s’empare de nombreuses formes poétiques complexes (sextines, pantoums) et les remodèle avec brio, devenant le seul membre allemand de l’Oulipo.
Il s’intéresse donc aux règles qui animent les « petites machines d’art » que sont les poèmes, et les observe cubistiquement de tous côtés : « dans la première ligne se trouve un A et puis encore un A ce sont les deux A… » (Poèmepoèmes). Le bruit est thématisé, celui du tinnitus (ou acouphènes), maladie abstraite de l’ouïe, ou celui de l’environnement qui influe sur le compositeur : « Les acoustiures hifi sont extrêmement bien tissées. L’auditeur écoute le bruit que son oreille fait en captant des bruits… » (Höricht)
Un autre trait du portrait d’Oskar Pastior est la réécriture d’autres. Ayant traduit normalement des poètes roumains comme Gellu Naum, puis expérimentalement des textes de Khlebnikov, il finit par ouvrir le geste de la traduction à la transformation poétique. Ses transpositions de Pétrarque, à partir des vers italiens devinés par le latin, deviennent des poèmes de Pastior, reliés par un mince fil chatoyant aux textes de départ. Suivront des traductions homophoniques de Baudelaire, des incrustations de mots nouveaux dans des squelettes syntaxiques de Gottfried Benn, ou des totales recréations inspirées par les motifs ou les seules mélodies de voyelles des beaux lieder de Schubert dans « Le Voyage d’hiver » sur des textes d’un romantique mineur.
Un des derniers projets de Pastior était un livre sur sa jeunesse en goulag, écrit en commun avec la romancière Herta Müller. Pastior étant décédé avant, Herta Müller – entretemps prix Nobel - a finalement fait le livre seule en 2009 : Atemschaukel  (Balançoire du souffle), qui est d’ailleurs dédié à Pastior.
Après sa disparition Oskar Pastior continue à se faire entendre avec insistance par ses livres-CD parus aux éditions Engeler, xylophonant ses acrobaties syllabiques de sa voix douce et réfléchie.
    
    
Bibliographie sélective :
Vom Sichersten ins Tausendste, Suhrkamp 1969
Gedichtgedichte, Luchterhand 1973
Höricht, Ramm 1975
An die neue Aubergine, Rainer 1976
Fleischeslust, Ramm 1976
Der krimgotische Fächer, Renner 1978
Ein Tangopoem und andere Texte, Literarisches Colloquium 1978
Wechselbalg, Ramm 1980
33 Gedichte / Petrarca, Hanser 1983
Sonetburger, Rainer 1983
Anagrammgedichte, Renner 1985
Lesungen mit Tinnitus, Hanser 1986
Jalousien aufgemacht, Hanser1987 (anthologie auto-commentée)
Kopfnuß, Januskopf, Hanser 1990(palindromes)
Vokalisen & Gimpelstifte, Hanser 1992
Eine kleine Kunstmaschine, Hanser 1994 (sextines)
Das Unding an sich, Suhrkamp 1994 (essais)
Gimpelschneise in die Winterreise-Texte von Wilhelm Müller, Engeler 1997
Das Hören des Genitivs, Hanser 1997
O du roher Iasmin, Engeler 2000
Villanella & Pantum, Hanser 2000
Mein Chlebnikhov, Engeler 2003
Werkausgabe, Hanser 2003.(Oeuvres Complètes, en cours d‘édition) 
Speckturm.
12 x 5 Intonationen zu Gedichten von Charles Baudelaire, Engeler 2007
durch – und zurück, Fischer 2007 (anthologie représentative, éditée par Michael Lentz)

Traductions en français :
En dehors des livres sous son nom (dans la liste suivante) Pastior eut de nombreuses traductions françaises en revues, du TXT de Christian Prigent dans les années 80 jusqu’à Fusées n° 12, ainsi que dans l’anthologie de poètes allemands Après l’Est et l’Ouest (2001).

Poèmepoèmes, TXT 1990(traduit par Alain Jadot)
Pétrarque/33 poèmes, Royaumont 1991 (traduction collective)
21 poèmes-anagrammes d'après Hebel, Théâtre Typographique 2008 (traduction de Frédéric Forte et Bénédicte Vilgrain)
Lectures avec tinnitus & autres acoustiures, Editions Grèges 2010 (traduction de Sabine Macher, Jacques Lajarrige, Hugo Hengl, Joël Vincent, Philippe Marty, Jean-René Lassalle, Lambert Barthélémy)
Sitographie :
Écouter Oskar Pastior
lire ses poèmes sur Lyrikline :
Fouiner sur le
site suisse de Urs Engeler qui fut son éditeur et ami à la fin de sa vie :
http://www.engeler.de/pastior.html
Photo : Oskar Pastior et Herta Müller (source)

Contribution de Jean-René Lassalle


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