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Nilda Fernandez… Nilda Fernandez !!! Sacré bonhomme ! Avec ce nouveau CD éponyme, il éclabousse la chanson française de son inégalable talent. C’est un des meilleurs albums que j’aie entendus depuis longtemps. Je suis allé jusqu‘au bout cherchant en vain une chanson qui soit un peu plus faible, un peu moins originale, un peu moins bien écrite… Bernique ! Comme chez Brassens « il n’y a rien à jeter » !
Nilda Fernandez est un être à part ; un des derniers grands aventuriers modernes. Anti-showbiz par excellence, il porte sur le système et ses marchands du temple un regard détaché et plein de malice. Il ne sera jamais le Rastignac de la chanson. Il poursuit son parcours, un pied sur la route, l’autre sur le bas-côté, prompt à emprunter le moindre chemin de traverse. Il ne regarde alors jamais en arrière, il avance, avide de nouvelles rencontres, curieux de nouvelles cultures. Ses pas le mènent en Argentine, en Russie, à Cuba… Il joue même sa carrière à la roulotte russe.
Pourtant, il y aura bientôt dix ans, en dépit de sa façon distanciée de se plier aux règles du jeu, il s’est fait rattraper par la patrouille : Grand prix de l’Académie Charles Cros et Meilleur espoir masculin aux Victoires de la Musique. C’était trop d’un coup. Pas son genre de s’installer dans un confort douillet. Alors, pas très académique, il a gardé les crocs et le statut d’Espoir. Le mot lui plaît. Il préfère être un éternel espoir qu’un con-primé.
Nilda Fernandez est un poète, mais un poète lucide. Il n’est dupe de rien. Don Quichotte n’est pas son modèle. Il va où bon lui semble.
Mais, surtout, là où Nilda Fernandez existe le plus et le mieux, c’est sur scène(*). Seul avec sa guitare, son double, sa prothèse; la maîtresse avec laquelle il s’accorde le mieux, il irradie l’espace de toute sa flamme. Sa voix, si reconnaissable entre toutes, caressante, feulante ou péremptoire, est mélodie. Et puis il y a sa façon d’être, toute simple, sans apparat, et sa manière de communiquer, toute simple, sans apparat. C’est un conteur né au verbe précis et imagé. Il fait de chacun de nous son confident, son complice, son ami. Il faut voir avec quelle ferveur le public – surtout les femmes – aime s’approprier ses mots pour les lui renvoyer amoureusement. Et tout le monde est heureux, nous et lui. C’est ça l’échange, le partage, la messe au sens laïc du terme. Nilda Fernandez, c’est la chanson à l’état brut, à l’état pur, la chanson dans son essence même. Une guitare, de jolies chansons, une voix unique et de l’amour, beaucoup d’amour. Et le tour (de chant) est joué.
Un seul mot le résume en tout cas : talent…
(*)Nilda Fernandez se produira à la Cigale le 12 avril.
Au fait, il serait peut-être temps de parler de l’album, de cette pure merveille. J’en fais des tonnes ? Que nenni ! Du miel pour trompes d’Eustache. Je vous jure que je suis objectif, que je n’ai pas été payé et que je n’ai pas fumé...
1/ Plages de l’Atlantique. C’est LE tube. Une chanson entraînante, mélodieuse à cœur, idéale pour la scène. Elle vous rentre dans la tête sans effraction et elle s’y installe. Refrain absolument imparable. C’est beau, c’est frais. Et puis, il y a quelques délicieuses séquences de guitare(s), ne serait-ce que l’intro.
2/ Plus loin de ta rue. C’est l’autre facette du pseudo matamore, la touche romantique. Interprétée avec une certaine retenue, une forme de pudeur. C’est tout doux, gentiment délicat. Le garçon a la rupture discrète, une manière faux-cul feutrée de prendre la tangente. L’écriture, avec ses variations sur les mots en « anse », est ciselée. Autre réussite, le mariage entre mandoline italienne et guitare.
3/ Laissez-moi dormir. Chanson d’ambiance, très tonique, qui cousine audacieusement avec la musique manouche, guitare énervée bien devant. Ça avance tout le temps, ça dépote. Ça fout la pêche alors que le pauvre gone émigré se désespère de la vie parisienne et de son agitation. C’est vif, léger et primesautier, on ne sent pas la fatigue du gars qui manque de sommeil.
4/ Je lui raconte. Plus qu’une chanson d’amour, Je lui raconte est un véritable poème d’amour. Quelle déclaration ! Quelle écriture ! « Elle prend mes yeux dans sa pupille », « Elle prend mes lèvres dans sa rivière »… On entend rarement des phrases de cette force dans une chanson. C’est magnifique qu’un homme puisse déclarer tout ça à la femme absolue. Et puis quelle sensualité ! Au-delà des mots que l’on savoure, il y a des images que l’on se projette. Et la mélodie, empreinte de douceur, épouse parfaitement l’intention (écoutez la vibration de la basse).
5/ Berceuse. Evidemment, Nilda ne nous a pas concocté une berceuse classique, conventionnelle. C’est une berceuse d’hidalgo qui s’apparente presque à une séguedille. Altière, fraîche et sautillante, je doute fort qu’elle ait des pouvoirs soporifiques sur le bambin. Il l’interprète comme s’il plantait des cotons-tiges en guise de banderilles. Avec une telle berceuse, « ce petit garçon-là » a sa destinée toute tracée : il sera toréador… Aïe, la la la la… A noter le délicat mariage entre l’accordéon et la guitare.
6/ Si tu me perds. Là encore la plume est mouillée à l’encre si sympathique de la poésie. C’est délicieusement mélancolique. Cette fois, c’est la peine qu’il a discrète. Par pudeur et/ou peut-être un peu par fierté, il ne va pas se mettre à pleurer des rivières, fussent-elles l’Amazone, mais juste un petit ru fragile et délicat. C’est plus retenu, mais la douleur est aussi présente. Mais, une fois de plus, il nous sort une pirouette de son sac à malices, en intervertissant le « tu » avec le « je », ce qui a le don de rendre la chanson encore plus troublante… Là aussi, superbe partie d’accordéon.
7/ Où tu habites. Dans cette chanson d’apparence éthérée, Nilda glisse quelques messages qui rendent le texte bien plus profond qu’il ne paraît à la première écoute. Mais à qui donc peut bien s’adresser cette chanson ? J’ai certes ma petite idée. C’est de Dieu qu’il s’agit. C’est son côté Catalan. Il L’interpelle carrément, il cherche où Il pourrait bien se cacher. Et c’est toujours très respectueux… Bien qu’il quémande une réponse, on sent que la démarche est illusoire. Et puis il y a le dernier couplet. Une merveille de subtilité, le raccourci magistral. Après tout, Dieu n’est-il pas sensé être en chacun de nous. A vos miroirs ! Avec les chœurs en anglais, cette chanson prend de fort jolies allures beatlelisantes.
8/ Le baiser sous le lilas. Ici, Nilda joue un peu au grand frère raisonnable et protecteur. Avec son expérience, il sait qu’il ne faut pas trop attendre de la vie, qu’elle comporte une grande part de cinéma et de mensonge. Alors, devant la frilosité et la fausseté des sentiments, il faut savoir apprécier les vraies valeurs toutes simples, comme un baiser sous le lilas. Avec son refrain swinguant, c’est une chanson qui fonctionne très bien sur scène.
9/ Le monde est ce qu’il est. C’est sans doute la chanson la plus réaliste parce que la plus descriptive. Attentif à l’évolution de la nature, Nilda plante un décor. C’est une petite page intime, qui part de l’infiniment petit, qui parle de choses que l’on ne voit presque pas. Quelle est la dimension d’un médiator qui vous échappe des doigts face à l’immensité insondable de l’univers ? Et pourtant, c’est ennuyeux de perdre son médiator. Comme tous les poètes, Nilda sait happer ce qui est beau sur terre, même si ce n’est pas grand-chose. Et tant qu’il y aura une fille qui tourne joyeusement autour d’un feu de brindilles, il y aura de l’espoir en la vie.
10/ Elle m’aimait plus. Cette fois, elle est finie la souffrance discrète. Une fois la rupture avérée, pourquoi envelopper sa peine dans du papier cadeau. Cette chanson est pleine de violence. Une violence qui sourd à travers des mots durs, des mots crus : « on se traîne », « on salit », « on tue », « rauques », « fuyait », « englauque », « morte chandelle »… Il exhale tout le fiel de son amertume. Il saigne de toute sa douleur… Et là encore, pirouette finale. C’est plus fort que lui. Le salut est dans le sursaut. Serait-il devenu un indécrottable optimisme ou un adepte de la méthode Coué ? Positivons !
11/ Derrière ma fenêtre. J’aime bien quand il fait le modeste : « Je regrette de ne pas être poète ni musicien ». Il est gonflé, lui ! Ce doit être du vécu, quand la muse se fait un peu tirer l’oreille et que l’on gratte nonchalamment sa guitare en attendant que Dame Inspiration cesse de bouder. Par défaut d’originalité, il nous étale sa culture, cite une sorte de florilège : Shakespeare, Apollinaire, le pont Mirabeau, les sanglots longs des violons, la fée Carabosse… Derrière ^sa fenêtre, pour meubler son attente, un contemplatif gamberge et dissèque ses états d’âme. Ça donne une chanson légère et amusante avec un arrangement plutôt cocasse et fringant. Une superbe chanson de fin. Rideau !