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Regards de femmes

Par Oenotheque

Les femmes sont de plus en présentes dans le monde du vin. Il n’en a pas toujours été ainsi, leur droit de cité a connu une histoire en dent de scie, comme en témoigne admirablement Ségolène Lefèvre dans Les femmes et l’amour du vin. A part quelques vieux grincheux (oui, il y en a encore !!!), qui pourrait s’en plaindre ? Mais outre le charme, apportent-elles des différences dans la manière de produire ou de déguster le vin ? Je dirais volontiers que, par rapport à leurs homologues masculins, elles s’engagent plus activement dans des démarches plus respectueuses de l’environnement, elles cherchent moins à faire des vins tonitruants, elles marquent des préférences pour des vins plus fins, plus subtils et plus complexes. Pour savoir s’il en était de même dans leur manière d’en parler, j’ai lu ou relu trois beaux livres de portraits :

Fiona Beeston : Mes hommes du vin.

Mathilde Hulot : Visages de vignerons, Figures du vin.

Laure Gasparotto : Les vins de Laure.

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Fille de journaliste, Fiona Beeston se passionne très tôt pour le vin et décide dès l’âge de 16 ans d’en faire son métier. Elle fera ses classes dans le bordelais, passera par Londres avant de revenir en France pour devenir à son tour journaliste, mais aussi caviste. Un métier qu’elle apprendra au contact du désormais mythique Lucien Legrand, premier homme que Fiona présente ici, dans toutes sa verve et son immense respect des clients. Ecrit en 1989, Mes hommes du vin a aujourd’hui quasiment valeur de document historique. Il présente en effet des personnalités qui ont souvent été des pionniers du renouveau qualitatif des vins de leur appellation. Alors que leurs contemporains suivaient encore assez massivement les mirages de la chimie et les chimères de la productivité, ils ont fait le pari, risqué à l’époque, de revenir aux fondements du métier, sans pour autant renier la modernité. Citons Charles Joguet, qui était considéré par ses pairs comme un véritable professeur Tournesol, ou Pierre-Jacques Druet qui habitait en HLM, ou encore Nicolas Joly, dont les méthodes biodynamiques lui ont valu la démission de certains de ces ouvriers.

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Diversité et qualité, voici les fils conducteurs qui guident Mathilde Hulot. La diversité des régions et appellation se conjugue à celle des personnalités, pour composer un puzzle de 35 pièces représentatives, non de la France des vins starifiés à outrance, mais de vignerons qui s’investissent durablement pour valoriser leur terroir. Car la qualité ne s’improvise ni ne se décrète, elle est toujours la résultante d’une ambition de départ, d’un travail acharné, et d’une bonne dose de passion. Une passion que Mathilde Hulot a réussi à faire exprimer, avec beaucoup de respect et d’humilité pour ses interlocuteurs, et à communiquer à ses lecteurs. Au-delà du partage de la passion de ces vignerons pour le vin, avec son complice Patrick Cronenberger à l’image, elle leur permet également de se mettre en scène de manière plus personnelle.

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Gérard Oberlé, qui accompagne parfois Laure Gasparotto et qui signe la préface de ce livre, à permis la rencontre entre cette œnologue réputée et Jean-Marie Perier, un photographe plus habitué des stars des 60’s et 70’s que des travailleurs de la terre. Pari réussi pour l’ami Oberlé, car ceux qu’il appelle « sages sorciers » sont admirablement mis en valeur ici, tant par le texte que par l’image. A nouveau près de quarante portraits nous dévoilent un univers de passion et d’exigence, de rêve et de rigueur. Chaque portrait révèle avec beaucoup de respect le parcours et la philosophie de ces hommes et femmes qui vouent leur vie à extraire mille saveurs et autant de mystères de la terre, des pierres et du bois. Oui, des sorciers en plein pays de Descartes, en plein pays viticole qui tend chaque jour à oublier un peu plus ces racines et les recettes ancestrales du plaisir et du bonheur … des sorciers d’autant plus précieux.

En résumé, ces trois livres, tous de très grande qualité, me semblent chacun bien ancrés dans leur époque. Et cela sur deux dimensions, la première étant purement formelle. Mes hommes du vin est très peu illustré : une banale photo, très mal imprimée et rarement signée, clôture sagement chaque portrait. La mise en page de Vissages de vignerons, Figure du vin est par contre très dynamique. L’ouvrage comprend de multiples photos des personnes présentées (toujours mises en scène) et de leur environnement. Il me semble que l’air du temps est aujourd’hui à une plus grande sobriété de forme, dont rend parfaitement compte l’infographie des Vins de Laure. La seconde dimension concerne justement l’évolution de la place des femmes dans ces livres. Fiona Beeston, que je n’oserais soupçonner à aucun moment de sexisme, ne présente qu’un seul portrait de femme sur les 15 de son livre. Chez Mathilde Hulot, elles sont 11 sur les 35 portrait, seules ou en couple, soit près du tiers. Une proportion presque respectée dans le dernier livre en date.

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Christine Vernay & Paul Ansellem

(Domaine Georges Vernay, Condrieu)

Photo : Patrick Cronenberger

Au-delà de ces différences de forme, ces trois livres appartiennent bien à une même filiation, celles d’auteurs qui savent nous faire partager la passion et l’engagement des personnes rencontrées. Car tant dans le choix des portraits, des professionnels du vin qui, bien que différents, conduisent tous un travail honnête et qualitatif, que dans leur traitement sensible et respectueux, ces trois femmes, toutes talentueuses, sont également proches d’auteurs masculins tels que Georges Bardawil (Une promesse de vin) voire Kermit Lynch (Mes aventures sur les routes du vin). Je laisse donc volontiers le mot de la fin à Ségolène Lefèvre : « l’amour et la culture du vin ne sont ni masculins, ni féminins, ils sont bien au-delà des querelles sexistes ».

Mes hommes du vin. Fiona Beeston. 234 pages. Plon. 1989. Livre épuisé.

Visages de vignerons, Figures du vin. Mathilde Hulot. Photographies de Patrick Cronenberger. 144 pages. Fleurus. 2005. 20 €.

Les vins de Laure. Laure Gasparotto. Photographies de Jean-Marie Périer. 208 pages. Grasset. 2009. 24,90 €.


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