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Le FN en passe de devenir un parti comme un autre ?

Publié le 01 avril 2010 par Tatamis
Le remplacement progressif du vieux leader de l’extrême-droite française, Jean-Marie Le Pen, par sa fille Marine, symbolise la normalisation du Front National et son intégration dans l’arc républicain, dont il fut banni peu après sa création en 1972. Cette réalité de plus en plus indéniable modifie en profondeur le climat général en France, avec une droite qui devra intégrer les hommes du FN après en avoir intégré les idées en 2007. La seule question qui se pose encore est : quand ?
« Les chambres à gaz sont un détail de l’histoire de la 2nde Guerre Mondiale ». Tout le monde a encore en tête cette petite phrase prononcée par Jean-Marie Le Pen au micro de la première radio de France, RTL, en 1987, alors que son parti, le Front National, comptait plus d’une trentaine de députés à l’Assemblée Nationale. Tous les commentateurs politiques crièrent alors et au scandale et, pour les plus perspicaces d’entre eux, au suicide politique d’un parti alors en voie de normalisation.
Il faudra plus de 20 ans, et le départ progressif d’un chef trop vieux, pour revenir à une situation que connaissent de nombreux autres pays européens, dont l’Italie est l’exemple le plus frappant, à savoir une extrême-droite qui peut participer aux affaires avec la droite classique sans que le pays tout entier ne soit qualifié de fasciste ou de nazi. Personne n’est surpris quand l’extrême-gauche communiste ou écologiste gouverne avec la gauche, mais 30 ans de FN avait rendu inimaginable toute collaboration entre la droite et l’extrême-droite.
Dans un pays où la 2nde Guerre Mondiale est sans doute le sujet le plus sensible de tous, les allusions graveleuses et répétées de Jean-Marie Le Pen (« Durafour crématoire », l’affaire du détail, « l’Occupation allemande pas si inhumaine », etc.) avaient rendu son parti totalement infréquentable. Avec son départ progressif de la tête du FN, force est de constater que sa succession et notamment sa fille Marine œuvre depuis des années à faire du FN un parti respecté et respectable. Elle n’a certes jamais présenté d’excuses au nom de son père, lui laissant la liberté de ses paroles même malheureuses, mais elle n’a fait à ce jour aucune allusion à la 2nde Guerre Mondiale, ni à la guerre d’Algérie. Au contraire, elle a déjà mis en avant, à de nombreuses reprises, les valeurs morales qu’elle prétend incarner, en dénonçant la pédophilie de Daniel Cohn-Bendit et le tourisme sexuel teinté de soupçon de pédophilie de Frédéric Mitterrand, ce qui lui valut d’être qualifiée de « populiste ». Mais les commentateurs les plus hostiles au FN, et Dieu sait s’ils sont nombreux, ne trouvaient rien à lui redire sur les faits qui sont avérés dans les deux cas.
Comme souvent en politique, le phénomène de normalisation de l’extrême-droite française a été progressif. On peut dater son début au 21 avril 2002 et à ses conséquences, à savoir notamment la manifestation d’entre-deux-tours, qualifiée par Elisabeth Lévy de « quinzaine anti-Le Pen ». Elle et d’autres, Alain Finkielkraut notamment, se sont vus dans l’obligation morale de dénoncer ces manifestations d’essence fasciste qui prétendaient dénoncer l’antifascisme. Une émission est symbolique de ce début de basculement, c’est Répliques d’Alain Finkielkraut sur France Culture le 6 juillet 2002, dont les invités étaient Elisabeth Lévy et Bernard-Henri Lévy. Pour la première fois un anti-lepéniste se retrouve en minorité face à deux anti-antilepénistes qui ne sont pas pour autant lepénistes. Il faut réécouter plusieurs fois cette émission pour en croire ses oreilles : oui, les anti-lepénistes ne respectent pas la démocratie, et on peut défendre les droits du FN à être considéré comme un parti à part entière, et non à part, sans pour autant partager sa vision politique. Le temps où Anne Sinclair avait laissé sa place à Gérard Carreyrou pour ne pas avoir à interviewer Jean-Marie Le Pen à 7/7 semblait tout d’un coup bien loin. Mais il fallu attendre encore quelques années et une nouvelle émission de Répliques, le 27 octobre 2007, pour entendre le nouveau coup de semonce, asséné cette fois par un ancien 1er ministre, de gauche qui plus est, et battu par Jean-Marie Le Pen au 1er tour de 2002 pour couronner le tout, j’ai nommé Lionel Jospin. « Tout antifacisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême-droite, un parti populiste aussi à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste. »
Là aussi, il semble loin le temps où Jacques Chirac refusait de serrer publiquement la main de Jean-Marie Le Pen, et qui refusait de se reconnaître sur une photo de vacances où on le voyait effectivement le faire. Loin aussi le temps où Charles Million était voué aux gémonies pour avoir fait alliance avec le FN aux régionales de 1998.
Pour autant la normalisation de l’extrême-droite française est loin d’être faite, et l’on constate encore partout que la situation italienne par exemple (l’extrême-droite qui dirige avec la droite, en détenant plusieurs ministères de poids) est encore impensable en France. La comparaison avec l’extrême-gauche est sans appel : Olivier Besancenot est l’invité de Michel Drucker à Vivement dimanche, les Le Pen sont les politiques les moins invités proportionnellement au nombre de voix qu’ils réalisent aux différents scrutins. Le quotidien de l’extrême-droite, Présent, ne peut recevoir de subventions de l’Etat alors que celui-ci subventionne massivement le quotidien d’extrême-gauche, L’Humanité, et qu’il vient de racheter son siège sans provoquer la moindre protestation (alors que théoriquement c’est la droite qui gouverne). D’ailleurs les médias d’extrême-gauche ont pignon sur rue, alors que leurs équivalents d’extrême-droite sont le plus souvent introuvables et disponibles uniquement sur abonnement. On commence à reconnaître dans certains milieux que l’extrême-droite participe de la diversité et de la pluralité d’opinions. Frédéric Taddéï invite par exemple dans Ce soir ou jamais sur France 3 des directeurs de programmes de Radio Courtoisie, radio de toutes les droites comme elle aime s’appeler. Il invite aussi Alain de Benoist, fondateur de la Nouvelle Droite, qu’on n’avait plus vu à la télévision depuis des années et la polémique qui l’avait frappé avec Pierre-André Taguieff.
C’est le même genre de polémique qui frappe aujourd’hui Eric Zemmour, mais la manière dont cette affaire évolue est significative de cette normalisation de l’extrême-droite. Zemmour n’est certes pas adhérent au FN, mais il lui arrive très souvent de prononcer (certes sans haine) des expressions que Jean-Marie Le Pen ou sa fille prononcent : racisme anti-blanc, ou anti-français, substitution démographique, problèmes liés au multiculturalisme, à l’islam, à la mondialisation libérale qui détruit la nation, etc. Zemmour explique d’ailleurs qu’il n’a jamais fait de distinction entre Le Pen et les autres politiques, il faisait depuis le début son travail de journaliste politique avec lui comme avec les autres. Et selon bien des critères, le FN est devenu plus démocratique que les partis ayant été au pouvoir ces trente dernières années, notamment le respect systématique du vote démocratique, et des médias, même si ceux-ci ne lui ont jamais fait de cadeau et qu’il s’en servait aussi pour se victimiser, c’est de bonne guerre.
Une fois ce constat dressé, il paraît évident et pour le moins naturel que le Front National continue d’évoluer et l’opinion avec lui vers plus de normalisation et un futur partenariat, à défaut d’intégration, avec l’UMP ou la droite gouvernementale telle qu’elle évoluera de son côté. On peut dès lors espérer que le climat de guerre froide permanente sur les sujets défendus par le FN depuis des années disparaisse, pour laisser la place au débat démocratique, et au respect des millions de nos concitoyens considérés jusqu’à présent comme des sous-hommes parce que votant pour un parti pourtant légal et légitime, le Front National. Et à ceux qui se sentent plus proches de François-Marie Arouet que de Jean-Marie Le Pen, qu’ils se répètent à l’envi la fameuse maxime : je ne suis pas d’accord avec vous, mais je serais prêt à mourir pour que vous puissiez vous exprimer.

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