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Sam Worthington ou le nouveau Faust

Publié le 11 avril 2010 par Exnight
Sam Worthington ou le nouveau FaustLe mois dernier, à partir du parcours de la jeune Carey Mulligan, j'ai dessiné le parcours "normal" en quatre étapes d'une star hollywoodienne en devenir. Pour résumer : galérer, trouver LE rôle, confirmer et durer. Quasiment toutes sont passées par là. Garçons comme filles. Américains comme étrangers. La carrière d'une star se fait de façon progressive. La star ne tombe pas du ciel. Un petit film/succès entraîne un moyen film/succès qui entraîne un gros film/succès. Cela résonne comme une caricature. Mais une caricature qui a d'énormes échos dans la réalité. C'est comme ça. Hollywood est un monde très codifié où le culte du dollar est roi. On a beau parler de cinéma, dans ce monde là, il y a très peu de place pour les sentiments et les "coups de coeur". Bref, on ne vous engagera que si vous avez faits vos preuves au box-office. Et donc, comme n'importe quel cadre salarié, la star se doit d'avoir un plan de carrière. Demandez à Ari Gold ce qu'il vous dira...
Mais que penser de Sam Worthington ? L'australien, âgé de 34 ans, a eu son lot de galère : son tout premier rôle, il l'a décroché en 2000, à l'âge de 24 ans, dans un épisode de JAG, pour ensuite enchaîner, pendant presque 10 ans, les petits rôles dans des productions hollywoodiennes (MISSION EVASION), des séries télé australiennes et pas mal d'autres trucs que personne n'a vu. Bref, un bon gros galérien. En tous les cas, en ce qui concerne Hollywood. Et il y a l'année dernière. 2009. Coup sur coup, Worthington enchaîne les tournages de trois des plus grosses productions de l'année : TERMINATOR RENAISSANCE, AVATAR et LE CHOC DES TITANS.
Si on cumule les box-office cumulés de ces trois films, on obtient la somme faramineuse de 3,2 milliards de dollars dans le monde. Même en tenant compte de l'inflation, un chiffre comme ça, en douze mois, ça n'existe pas dans l'Histoire récente. Je me triture l'esprit mais je ne trouve pas. On trouve d'extraordinaires suites de succès : Brad Pitt en 2004-2005 (avec TROIE, MR & MRS SMITH et OCEAN'S TWELVE), Nicolas Cage en 1996-1997 (avec VOLTE FACE, LES AILES DE L'ENFER et THE ROCK), Matt Damon en 2006-2007 (avec LES INFILTRES, OCEAN'S THIRTEEN et LA VENGEANCE DANS LA PEAU), Jim Carrey en 1994-1995 (avec ACE VENTURA, THE MASK et DUMB & DUMBER) ou encore Julia Roberts en 2000-2001 (avec ERIN BROCKOVICH, NOTTING HILL et JUST MARRIED). Mais tout ça n'a rien de comparable avec l'extraordinaire trilogie de Worthington cette année. Tout ça, pour un acteur inconnu l'année dernière.
Si l'on en croit les préceptes d'Hollywood vu ci-dessus, Worthington, héros de ces 3 films, devrait donc être aujourd'hui LA PLUS GRANDE STAR DU MONDE. Ce genre de types qui ne pourrait pas faire un seul pas dans la rue sans être harcelé par des centaines de fangirls, geeks et paparazzi. Un type qui ferait la une de tous les magazines. Un type dont le moindre geste, vêtement ou déplacement serait épié, décortiqué, analysé. Un type du genre Tom Cruise ou Will Smith.
Mais non.
On a beau être en pleine promo mondiale du CHOC DES TITANS qui, par ailleurs, cartonne au box-office, personne ne parle de Worthington. Et si, par le plus grand des hasards, on parle de lui, on ne dit pas son nom, on dit "le type d'AVATAR". L'acteur n'a même pas son nom en haut de l'affiche, comme il est généralement de rigueur pour le héros d'un film. En gros, tout le monde a vu sa gueule, en long, en large et en travers pendant 12 mois, mais tout le monde s'en fout. Et c'est clairement pas faute de charisme ou de beaugossitude. Comme je le disais ici, l'Australien a toutes les qualités du parfait alpha-mâle hollywoodien. En tous les cas, il n'est, à mon goût, pas moins intéressant qu'un Mel Gibson ou un Russel Crowe au même âge.
Mais voilà. L'époque a changé. Nous vivons à l'époque du blockbuster. Le pur et dur. Pas le blockbuster à taille humaine des années 80 à la TOP GUN, film qui fit par exemple de Tom Cruise une VRAIE star de cinéma. Non, le blockbuster 2.0 alias le blockbuster de plastique. Car en 2010, le blockbuster ne repose plus que sur deux socles. Et je vous le dis direct (mais vous aurez deviné) les acteurs ne sont pas (plus) l'un d'eux.
Le premier : la franchise. Un studio n'engagera plus 100 millions de dollars dans la production d'un film qui n'est pas capable d'engendrer des suites. c'est pourquoi les blockbusters d'aujourd'hui sont soit des suites, des remakes ou des adaptations de BD et de best-sellers, eux-mêmes déjà déclinés en franchises (voir TWILIGHT et HARRY POTTER par exemple). C'est la raison de la grande vague actuelle de reboot, ces "nouvelles versions" (ou "visions" pour parler en langage marketing) de films souvent pas très anciens (voir BATMAN BEGINS, STAR TREK, CASINO ROYALE, HULK, SPIDER-MAN bientôt et tout un tas de films d'horreur...).
Le second: les effets spéciaux. Dans tous les cas, les blockbusters seront gonflés aux effets spéciaux numériques. Plus ils seront énormes, plus ils seront présents à l'écran, plus les spectateurs se déplaceront en masse. Les studios hollywoodiens ont rendu l'oeil humain accroc aux images de plastique, jusqu'à arriver à des dérives dramatiques comme AVATAR ou ALICE AU PAYS DES MERVEILLES.
Et dans tout ça, l'acteur n'a plus sa place. Il n'est qu'un objet qu'on déplace sur un fond vert en lui demandant de jouer le mieux possible, tout en limitant son potentiel pour ne pas trop éclipser la force du concept et l'impact des effets spéciaux. Regardez la bande-annonce du CHOC DES TITANS. La vraie star, c'est le Kraken ! Et on peut en dire autant de tous les films précédemment cités. De STAR TREK à BATMAN en passant par SPIDER-MAN, TWILIGHT, TRANSFORMERS ou HARRY POTTER, aucun ne met l'emphase sur ses acteurs. Aucun.
C'est dans ce contexte, dans cette époque qu'évolue Sam Worthington. Le type a été parachuté "acteur de franchise sur fonds verts". Hollywood a crée un nouveau prototype : moins cher, plus malléable, plus efficace. Et pour y parvenir, elle lui a fait sauter les étapes 2 et 3 d'une carrière qui aurait pu faire de lui le "nouveau Russell Crowe" pour l'amener directement à l'étape 4. Durer. En effet, en tournant successivement dans TERMINATOR RENAISSANCE, AVATAR et LE CHOC DES TITANS, Worthington tourne et tournera encore et encore. Tous ces films amèneront probablement des suites qui le maintiendront occupés pendant encore de très nombreuses années. Mais ce sera tout.
Une fois les abdos disparus et la belle gueule cachée sous les rides, il n'aura sûrement que ses yeux pour pleurer. Car l'aura, le pouvoir d'attraction et de fascination, qui permet aujourd'hui à Mel Gibson, Bruce Willis, Julia Roberts ou Tom Cruise de continuer de jouer les héros à presque 50 ans ou plus, Worthington ne l'aura pas. Tout simplement, parce qu'il n'aura jamais été une star, une vraie, de celles qui intéressent vraiment le public et les spectateurs. Il n'aura été, malgré le talent, qu'un pantin musclé à la belle gueule capable de jouer les héros au rabais et au service des sociétés d'effets spéciaux.
Sam Worthington est en cela peut-être le Faust de la pop culture. En échange de son âme, Méphistophélès (alias Hollywood) lui a offert une meilleure vie et des plaisirs immédiats. Mais au final, c'est l'Enfer qui l'attend à savoir, dans le cas de Worthington, la disparition du radar des metteurs en scène à moyen terme.
Reste toutefois que ses trois prochains films sont de taille bien inférieure et tous produits en indépendants : d'abord le thriller historique THE DEBT avec Helen Mirren sur la capture d'un ancien nazi par trois agents du Mossad dans les années 60, puis le drame romantique LAST NIGHT avec Keira Knightley et Eva Mendes et enfin le thriller surnaturel THE FIELDS. Mais ils arrivent trop tard, tout simplement parce qu'ils auront été vite oublié quand sortira DRACULA YEAR ONE et tous les autres ÉNORMES projets de blockbusters et franchises potentielles, encore sous forme de rumeur, auquel Worthington est attaché, de FLASH GORDON à DAN DARE en passant par LAST DAYS OF AMERICAN CRIME, tous des adaptations de bandes-dessinées !
Et ce sera donc reparti pour un tour de manège... qui pourrait très bien être le dernier ! La seule solution pour lui : que ses "petits" films, précédemment cités, cartonnent au box-office... Ce qui n'est pas gagné.

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