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Autechre live

Publié le 15 avril 2010 par Hallorave

Autant le dire d’emblée, Autechre est l’un de mes groupes favoris. Autant dire que je ne suis pas nécessairement des plus objectifs à leur propos – mais leur musique suscite de toute façon tellement de réactions différentes et antagonistes qu’il est à mon avis impossible de l’être. Il y a quelques mois, je pensais n’avoir jamais l’occasion de les voir, mais le splendide Oversteps (sur lequel je reviendrai probablement) arriva, et sa tournée avec. Et par un concours de circonstances (le groupe a tout d’abord annoncé une première série de dates, ce qui m’a poussé à prendre ma place pour Bruxelles, avant d’annoncer d’autres dates, dont une à Lille), je me suis retrouvé à les voir deux fois en trois semaines. Une occasion idéale de voir comment le groupe, à partir d’une même base (le set utilise, tout au long de la tournée, les mêmes fondations), le groupe peut parvenir à proposer un concert qui a énormément évolué en l’espace de trois semaines.

Autechre live

Autechre + Rob Hall + Russell Haswell + Didjit @ Le Tri Postal, Lille (19/03/10)

Ce concert prenait place dans le cadre de la 6e Fête de l’Animation – à vrai dire, je ne vois pas très bien pourquoi, puisqu’Autechre joue dans le noir complet, et que les deux VJ sets qui accompagnaient les sets de Rob Hall et Didjit n’étaient diffusés que sur un écran minuscule (et sur un écran sur le côté du public…) ne permettant pas de les apprécier complètement. Le concert était annoncé pour 23h, et force est de constater que c’est un événement: dehors, une file d’attente énorme est déjà formée par les personnes n’ayant pas acheté de prévente et un des membres de l’équipe du Tri Postal annonce que le concert pourrait être complet. Ayant déjà ma place j’ai la chance d’éviter cette étape douloureuse, et de rentrer dans la salle assez vite. Les horaires sont affichés à l’intérieur: Rob Hall, DJ officiel de toutes les tournées d’Autechre entamera les hostilités à 23h, puis Autechre prendra la relève à 1h du matin, Didjit à 2h et Russell Haswell jusqu’à 3h.

C’est donc Rob Hall qui démarre la soirée, avec un DJ Set orienté techno underground, très underground (je ne reconnais que le célèbre Freak de LFO, à la toute fin du set), de très bonne qualité: à vrai dire, il est tout à fait possible de prendre ce DJ Set pour un live tant Rob Hall semble créer quelque chose de nouveau à partir des morceaux qu’il mixe, tissant un fil conducteur qui donnera à l’ensemble de son set une grande cohérence, une fluidité qui va se dérouler tout au long des deux heures. La salle se remplit peu à peu et si le set ne rencontre au départ pas un grand public, l’ambiance va progressivement se renforcer à mesure que le public se constitue, en particulier à partir de la deuxième heure, et que l’heure fatidique de la venue d’Autechre se rapproche. Alors que l’on se rapproche d’1h, le « This is going to make you freak » du morceau de LFO se met à résonner, ce qui contribuera à finir le set en beauté. Quelques minutes plus tard, il est 1h du matin et le set s’achève. La salle est maintenant pleine à craquer.

Le public applaudit, mais là où l’on pourrait s’attendre à 15 minutes de pause entre deux concerts comme ordinairement, les lumières s’éteignent quelques secondes plus tard et Autechre rentre en action instantanément, dans le noir donc, comme à leur habitude. D’emblée, les rythmes vous assaillent: les deux Anglais démarrent avec une rythmique uptempo hypnotique qui va nous assommer pendant quelques minutes, et sur laquelle viennent se greffer des sons mystérieux, indéfinissables, amélodiques. Et après cinq minutes d’hypnotisme actif, la machine Autechre se met en marche: le martèlement obsédant laisse place à une rythmique déstructurée, rapide, qui va alors lentement évoluer, se construire, se déconstruire, avant d’être remplacée par d’autres rythmiques. Divers sons se font entendre au-dessus de ces rythmes d’une complexité affolante, sans jamais constituer de mélodies claires (à l’opposé complet donc d’Oversteps qui témoigne d’un parti pris plus mélodique). Et le tout est étrangement addictif, Autechre vous prend et vous garde sous son emprise, sachant apporter des éléments plus simples lorsqu’il le faut: ainsi une rythmique presque techno hardcore viendra ainsi se faire entendre vers la fin du set, apportant du contraste et de la diversité dans le set. Dans le noir complet, une tornade de rythmiques alambiquées et de sons mystérieux, distants, s’abat sur le public. C’est tout simplement passionnant, et lorsque les lumières finissent par se rallumer, une heure et quart après le début du set, j’ai le sentiment d’avoir assisté là à l’une des meilleures performances live qu’il m’ait été donné de voir.

Autant dire qu’il sera difficile à Didjit de prendre le relai. Il attaquera son DJ set directement après la fin de celui d’Autechre avec du reggae tendance dancefloor, avant d’enchaîner sur divers morceaux alternant dancehall et hip hop old school, toujours avec cette tendance au dancefloor. Malheureusement pour lui, le planning ne lui fait pas justice et une bonne partie de la salle se vide après Autechre; je dois avouer que je n’ai pas moi-même apprécié son set à sa juste valeur, étant lessivé par le set des Anglais.

Une heure plus tard, c’est le très attendu par une partie du public – et par moi-même – Russell Haswell qui fait entendre ses premiers larsens. Au vu des albums du monsieur, on était en droit de s’attendre à une avalanche de larsens et de distorsions en tous genres, et… je dois avouer que je reste un peu sur ma faim. Peut-être était-il trop tard (à 3h du matin et après déjà 4h de concerts), mais après 10 premières minutes excellentes, alternant basses énormes et saturations à vous arracher les tympans, Russell va prendre une direction beaucoup plus techno, vaguement déstructurée, avec toujours des plages de bruit bien sûr, mais lorgnant presque vers la mauvaise techno hardcore des années 90, qui me laisse plutôt perplexe. Peut-être était-ce dû à la longueur du set (la plupart de ses concerts de la tournée ne duraient que 15 minutes), toujours est-il que je ressors du Tri Postal plutôt déçu par ce set en demi-teinte – mais toujours abasourdi par la qualité du set d’Autechre.

Autechre live

Autechre + King Midas Sound + Rob Hall + Russell Haswell + Didjit @ Ancienne Belgique, Bruxelles (09/04/10)

Même line-up, les excellents King Midas Sound en bonus, ordre différent: c’est cette fois-ci Didjit qui ouvre les hostilités durant deux heures; Russell Haswell enchaîne ensuite durant 15 minutes, avant de laisser place à Rob Hall durant 45 minutes, puis Autechre pendant une heure. On a ensuite le choix de finir la soirée en compagnie de Rob Hall à nouveau, ou de King Midas Sound au club.

L’Ancienne Belgique ouvre ses portes à 19h, mais le set de Didjit ne commence qu’à 20h: la salle nous propose pour attendre une listening session du nouvel album de Flying Lotus, Cosmogramma, qui après une écoute m’a paru excellent, du niveau du génial Los Angeles.

Didjit démarre donc la soirée à 20h, de façon plus calme qu’à Lille: après une introduction ambient, ses premiers morceaux vont être beaucoup plus chillout que les pistes très rythmées qu’il proposait trois semaines plutôt. Petit à petit son set prend forme et l’ambiance monte, et force est de constater que son set est largement meilleur à celui de Lille: peut-être est-ce parce qu’il n’avait cette fois pas la responsabilité de succéder à Autechre, mais son set fut réellement excellent, très « fun » (c’est le mot), avec une orientation très nette vers le hip hop en deuxième heure. Un très bon DJ set donc.

Russell Haswell apparaît sur scène vers la fin du set, et enchaîne ensuite. Toujours marqué par la déception de son concert lillois, je n’attendais pas grand chose de ses 15 minutes, mais tout comme Didjit, Russell se fait bien plus convainquant: délaissant totalement les rythmes, il va nous laisser entendre le torrent bruitiste que l’on attendait. 15 minutes de bruit blanc, de distorsion, de fréquences suraigues, et d’éclairages épileptiques entre vert et blanc. 15 minutes, ça peut paraître court, mais dans le cas de Russell Haswell: passé l’amusement initial, on n’a absolument pas le temps de s’ennuyer, et le set passe en un éclair, permettant de l’apprécier comme il se doit – un set plus long aurait probablement été lassant. Très bon concert noise, donc.

Rob Hall vient enchaîner et nous abreuver pendant 45 minutes de sa techno. Dans la droite lignée de celui de Lille, son set se révèle toujours impressionnant, même si le fait que son set ait été coupé en deux autour de la prestation d’Autechre l’empêche de se développer complètement comme il l’avait fait à Lille, et ne lui permet donc pas de dépasser le simple cadre du bon DJ set (là où son set trois semaines auparavant lui permettait de démontrer l’étendue de son talent). Un moment sympathique donc, mais un poil trop court pour montrer complètement le niveau de Rob Hall.

Plus de surprise désormais, la fin du set de Rob Hall arrive et les lumières s’éteignent une nouvelle fois, laissant place à Autechre, qui démarre son concert de la même manière: cette rythmique rapide et hypnotique qui vient progressivement mettre le public en transe. Mais d’emblée, on sent que la direction prise par le set est différente: les sons mystérieux se font cette fois-ci une place nettement plus large, et forment déjà des semblants de mélodies. Et de fait, l’évolution du set va être frappante dans l’heure que va durer le concert (qui sera donc moins long que celui de Lille): en trois semaines, il est devenu bien plus mélodique, bien moins abstrait. Les rythmiques paraissent moins complexes, plus souvent directes, et de brèves mélodies (variant très souvent, il n’y a que très peu de répétition dans ce domaine ici) se font régulièrement entendre. On a même droit à quelques breaks complets de mélodie débouchant sur des nappes de synthétiseurs – même si ceux-ci ne seront jamais très longs. Bien entendu, les rythmes occupent toujours une place importante, mais cette place n’est plus aussi proéminente que durant le concert lillois. Ce set est une nouvelle fois exceptionnel, même si je dois avouer que globalement, j’ai trouvé le concert de Lille meilleur.

Au boût d’une heure, les lumières se rallument et Rob Hall, qui avait déjà pris place sur scène, commence la deuxième partie de son set, mais il est surtout l’heure pour moi de rejoindre le club pour aller assister au concert de King Midas Sound. Trouvant leur premier album Waiting For You tout simplement excellent, je me demandais comment le groupe parviendrait à retranscrire sur scène l’atmosphère incroyablement calme, presque apaisante, mais néanmoins sombre, de ce disque. L’épais rideau de fumée qui commence à envahir la scène avant le concert nous donne un premier indice: plutôt que de chercher à transposer cette ambiance sur scène, le trio va prendre la tangente et nous offrir une autre vision de ses morceaux. Ainsi, la version live de King Midas Sound est en quelque sorte le côté obscur de sa version studio: la fumée envahit la scène jusqu’à ce que l’on ne puisse plus distinguer que les silhouettes des membres, Kevin Martin va chercher le côté le plus noir de ses instrumentations, nous abreuvant de basses terrifiantes et de beats agressifs, alors que les deux chanteurs Roger Robinson et Hitomi semblent littéralement possédés, donnant à leurs lignes vocales des allures d’incantations. Paraissant calmes sur l’album, leurs voix marquent ici une tension claire; alors qu’elles sont nettes et distinctes sur le disque, elles sont ici distantes, se noyant sous les basses et les couches de bruit créées par Kevin Martin (le set lorgnera régulièrement du côté du shoegaze, voire de la noise pure). Tout comme sur l’album, le sommet du concert sera le génial Earth A Killya, qui marquera réellement le sommet de cette tension: toute la noirceur du morceau ressort pour donner une nouvelle vision à ses paroles écologistoprimitivistes (ou quelque chose comme ça). 45 minutes après son début, le concert s’achève: King Midas Sound m’a convaincu de son talent. Espérons que le groupe n’en reste pas au simple statut de projet parallèle temporaire de The Bug pour Kevin Martin et persiste, car le trio ouvre définitivement de nouvelles portes et montre des orientations inédites pour ce genre en pleine expansion qu’est le dubstep.



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