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Jeux d'épreuves du 10 avril 2010 sur France Culture

Publié le 10 avril 2010 par Irigoyen
Jeux d'épreuves du 10 avril 2010 sur France Culture

Voici quatre livres que j’ai lus pour « Jeux d’épreuves », l’émission littéraire présentée par Joseph Macé-Scaron sur France Culture. Pour avoir le résumé des trois livres défendus par les autres chroniqueurs, Josyane Savigneau, Nathalie Crom et Alexis Liebaert, je vous invite à écouter l'émission sur le site de la radio.

Jeux d'épreuves du 10 avril 2010 sur France Culture

Christoph Hein est un très grand écrivain allemand. Né en ex-RDA, comme Christa Wolf, Stephan Heym ou encore Heiner Müller, sa voix, outre-Rhin, compte autant que celle d'un Günter Grass. Son dernier roman, traduit une nouvelle fois par Nicole Bary, est paru il y a quelques jours chez Métailié - qui a déjà publié neuf de ses livres -. Je consacrerai d’ailleurs quelques chroniques à cet auteur que j’ai pu interviewer lors de son dernier passage à Paris.

Tout commence avec la mort de Paula Trousseau. Cette femme s'est suicidée et son fils Michael décide d'appeler un dénommé Sebastian Gliese pour qu'il administre les biens de la défunte. Tout le livre est un flash-back sur l'histoire de la victime dont les velléités d'indépendance ne cessent de se heurter au machisme, au paternalisme de la société allemande. Car Paula T est certes une femme allemande mais, précision importante, elle est est-allemande. A priori – c'est du moins ce qu'on m'avait dit quand j'étudiais l'allemand à l'université – le sexe dit faible de l’état des ouvriers et des paysans avait nettement plus de droits que ses homologues de RFA. Je rappelle quand même que les femmes de l’ouest avaient comme « destinée » ce qu'on appelle les 3 K: Kinder, Küche, Kirche – les enfants, la cuisine, et l'église -.

Hein montre ici la complexité de l'émancipation féminine qui plus est lorsqu’il s’agit d’une artiste – l'auteur décrit merveilleusement les conflits entre Paula et la société masculine.

Il y a d'abord un père tyrannique :

L’assiette du père fut servie en dernier. Il avait institué cet ordre, il avait trouvé absurde que l’assiette de la personne la plus importante soit remplie en premier, car elle refroidissait avant que les autres soient servis.

Il y a un mari dont elle divorce et qui lui enlève la garde de sa fille :

Hans est un homme pour qui les femmes sont une parure, qu’on prend dans les bras, à qui on tient la porte, qu’on aide à enfiler son manteau, devant qui ont écarte les obstacles, à qui on fait des cadeaux, que l’on admire et vénère, que l’on fait rire et avec lesquelles on plaisante. Je me faisais l’impression d’être un caniche toujours bien frisé et enrubanné qu’on emmène promener et montre dans des expositions.

Il y a aussi la relation de Paula avec son ancien professeur Waldschmidt qui veut exercer une autorité sur elle. Tout cela va d'ailleurs pousser l'artiste à expérimenter une autre relation. Avec des femmes cette fois – Sibylle et Katharina - :

Ce n'était pas l'amour pour une femme, c'était l'essence de l'amour, la tendresse, la sensualité, le plaisir.

J'ai dit que Paula Trousseau est une femme est-allemande. Si je précise cela c'est parce qu'on a par petites touches des allusions au contexte de l'époque. Il importe à Christoph Hein que l'arrière-plan politique ne vienne pas tout vampiriser. Je trouve que cet auteur – également essayiste mais aussi et surtout dramaturge - essaie davantage de donner vie, via ses personnages, à un caractère – à l’instar d’un Molière ou d’un Shakespeare -. Cette fois, on a une femme entravée dans sa liberté. Si l'on se souvient de ses précédents romans on avait une femme sans sentiment, Claudia dans L'Ami étranger – le recours à un personnage principal féminin n’est donc pas une première -, un homme gagné par la folie sécuritaire avec Willenbrock, ou encore le très cynique et calculateur Manfred Wörle dans Le Jeu de Napoléon. Je crois qu'on a raison d'utiliser le terme de chroniqueur d'une époque incertaine à propos de Hein. Pour moi cet auteur est peu l’équivalent d’un Ken Loach allemand pour la littérature.

L’auteur m’a d’ailleurs rappelé lors de l'interview qu'un de ses illustres compatriotes, Friedrich Engels disait : on mesure le degré d'avancement d'une société à l'aune de la liberté dont jouissent les femmes. Les progrès à accomplir sont donc considérables. En Allemagne et ailleurs.

Jeux d'épreuves du 10 avril 2010 sur France Culture

Quel livre osé ! Osé parce que le pari pouvait être risqué : prendre Lorenzaccio, figure par excellence du drame romantique pour le transposer dans la seconde guerre mondiale n’était pas gagné d'avance. J'ai totalement souscrit à cette tentative et n'ai donc nullement de ce livre très bien écrit et dont on pourrait d'ailleurs s’interroger sur la possibilité de l’adapter à la scène.

Ce livre d'Antoine Billot c’est un peu Lacombe Lucien qui fait des incursions dans Cabaret de Bob Fosse ou Les Damnés de Visconti

L’auteur se livre à un formidable parallèle entre la débauche et le fascisme:

La débauche et le fascisme sont des voyages parallèles, des explorations jumelles. Fétichisme de la jeunesse, de la beauté, de la pureté. Religion des codes, du sacrifice. Bouffées jubilatoires de haine. Flambées libidinales. Hormones mixtes de la fureur et du désir. (…) détruire toute émotion. Plonger tout sentiment dans la chaux vive de la dépravation, de la violence. Cracher sur l’innocence. Salir, toujours salir.

A ce propos, je crois me souvenir qu’Hitler – le « Moloch moustachu » comme il est qualifié ici - voulait transformer Paris en un immense lieu de plaisir. Il y a d’ailleurs une scène assez cocasse dans le livre où l'oncle de Lorenzo, le préfet Alexandre Leduc, reçoit deux hommes chargés de lui rappeler les codes de bonnes conduites. Et le préfet répond :

Savez-vous comment est mort sur notre territoire le premier soldat de l’armée allemande ? il a été victime d’une mauvaise chute en sortant d’un hôtel de passe ! Cela ne s’invente pas ! Partout, des maisons de tolérance sont sorties de terre dès que la France a respiré l’odeur de l’occupant.

Il y a aussi des passages fantastique sur la langue des fascistes qui préfèrent utiliser les mots de tripes plutôt que ventre, de putride plutôt qu’impur, de charogne plutôt que de dépouille. Ils ne disent pas « cette femme m’a aimé » mais « j’ai eu cette femme ». La description très fine, très précise de la perversité de cette idéologie qui prétend soigner la « décadence » fait à chaque fois mouche.

Un regret toutefois. J'aurais bien lu quelques pages de plus.

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Très beau texte par ce qu'il signifie : une fraternité peut exister entre deux hommes qui ne sont pas, a priori du même camp.Je dis a priori parce que Alexandre T., le personnage principal, a bien des réserves à l'égard de sa mission.

Alexandre T. dans cette guerre n'avait pas d'ennemi, il manquait de haine, il n'avait pas de cause en laquelle croire et espérer, pas de raison d'être là.

J’ai trouvé ce livre très bien écrit avec, souvent, des phrases à rallonge – il est d’ailleurs intéressant de voir leur construction : un paragraphe inachevé, l’auteur va à la ligne et entame un autre paragraphe entre parenthèses -. Comme s'il s'agissait de montrer, même graphiquement, cette mémoire en action, ces digressions; comme s'il s'agissait de remonter progressivement le fil des événements. Car c'est bien de cela dont il s'agit. Déclencher la mémoire, lui permettre de travailler. Arrêter l'enfouissement, le blocage – ce qu'avait d'ailleurs parfaitement réussi à faire Laurent Mauvignier dans Des hommes, autre livre très réussi ayant pour cadre la guerre d'Algérie -. Je dis pour cadre « la guerre d'Algérie », je devrais dire en second plan pour reprendre un lexique de scénographe – c'est le métier d'Alexandre T. Chez Mauvignier, cette mémoire était déclenchée à la suite d'un esclandre. Là elle est provoquée par l'arrivée d'Ouhria. Et après, c'est l'avalanche.

A jamais sans doute, sa mémoire s’est évidée de certaines images et de tout mouvement, a été corrompue par ces lacunes et la fixité maussade de ce qu’elle lui restitue : des vestiges ; plus solides, c’est tout, ou mieux éclairés, mais capricieusement organisés et pas nécessairement plus fidèles à la vérité des faits. Mais maintenant qu’elle est en marche, se dit-il, depuis que la jeune fille Ouhria est venue en déclencher le mécanisme, autant vouloir éteindre l’incendie de sa maison en arrosant le reflet des flammes sur les murs.

Très beau texte parce qu'il évite le piège du manichéisme.

Alexandre T. n’arrive jamais à croire que toute assertion commençant par les Kabyles – ou les Caouïas des Aurès, ou les Arabes, Les Français, ou encore Les militaires, Les colons, Les indigènes, Les musulmans, Les chrétiens, et parfois même Les civilisés, Les sauvages – puisse être suivie d’autre chose que d’un parfait et inepte cliché – et souvent odieux, empreint d’une haine raciste -, il s’adresse à corps perdu au seul être humain qui se trouve en face de lui, et pourtant il passe la plupart de son temps à tenter d’amortir le coup reçu avec la réponse, parce qu’elle est faite non pas à lui-même, mais à son image, à ce qu’il représente (...).

On n'est pas dans la glorification ou la condamnation de tel ou tel camp. On voit « simplement » comment deux êtres essaient de transcender cela mais c'est difficile :

Une amitié personnelle était tout aussi impensable que la haine était impersonnelle.

J’aime cette recherche d'universel quand les thèmes abordés sont difficiles. Et on voit bien que même 48 ans après les accords d'Evian la guerre d'Algérie reste probablement pour plein de gens quelque chose d'extrêmement douloureux – le fils de pied-noir que je suis le sais –. Je pense que ce livre peut permettre, comme celui de Mauvignier, d'entrer dans cette période de l'histoire de manière moins brutale.

Signalons enfin l’importance du lien qui unit Alexandre T. à Ariel Vals, cet étudiant en économie qui travaille dans un parking. Pour moi il s’agit d’un moyen pour Alexandre de garder un lien direct avec sa propre jeunesse et, à travers elle, avec l'homme dont il était l'ami.

Une interrogation toutefois dans ce roman : la toute fin. Les tout derniers mots. Qui pour moi peuvent se comprendre de deux manières. Comme s’il nous appartenait de trancher.

Jeux d'épreuves du 10 avril 2010 sur France Culture

C'est un roman qui m'a totalement déboussolé. Si l'on mesure la réussite d'un livre aux questions qu'il suscite chez un lecteur alors incontestablement Le doyen de Lars Gustaffson est un chef d'œuvre. J'ai rarement fermé un livre en étant aussi décontenancé. Je ne vois pas du tout où est l'intention de l'auteur, je ne saisis pas toutes les finesses de cette relation entre l'assesseur et le doyen. Je suis très irrité par la description de ce livre faite en quatrième de couverture et qui ne correspond pas du tout à ce que j'ai lu –on nous parle de l'agaçant Douglas Melvin Smith qui, il faut le dire, entre très tardivement en scène -.

On peut entendre mes propos de façon négative, mais pour moi ça n'est pas aussi tranché. Le problème c'est que mon questionnement répond à celui de l'auteur. Or j'attends d'un auteur une direction. Là, je ne l'ai pas : je suis face à une interrogation sur la vie, la mort, l'au-delà, la métaphysique, bref la théodicée – partie de la philosophie qui traite de l'existence, des attributs et en particulier de la justice de Dieu -.

Alors, en vous disant tout cela je prends conscience que c'est sans doute moi qui essaie trop d'entrer dans le rationnel et de vouloir définir un cadre plutôt que de vouloir m'abandonner à une « simple » lecture. J'ai trouvé qu'il ne se passe pas grand chose. Et pourtant, autre paradoxe du roman, il me donne envie de poursuivre. Il y a incontestablement quelque chose qui me fait rester. Comme si je croyais à la promesse d'un sursaut, d'une surprise. Je ne suis pas du tout en train de militer pour une histoire avec des rebondissements à foison, pour une happy-end. Non, ça n'a rien à voir. Pour moi rien n'est venu. Mais depuis que j'ai fini ce livre, j'y réfléchis. Je n'arrête pas de me demander pourquoi il m'est apparu si étrange. Je ne suis peut-être pas le bon client. Mais avant de dire cela je vais peut-être le relire. Peut-être qu'il va être encore plus flou. Ou que je vais davantage être happé par cette zone grise – à laquelle je ne suis pas du tout habitué en tant que lecteur -.

Peut-être aussi que je devrais me pencher sur d'autres livres de Lars Gustafsson. Pour pouvoir peut-être avoir le bon billet d'entrée pour saisir l'intérêt, la force de ce livre.

Donc, pour résumer : étrange, j'ai besoin d'encore un peu de temps avant d'opter pour les deux options de lecture dont je viens de vous parler.


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