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Interview: WILLIAM FRIEDKIN [Festival de Beaune - Avril 2009]

Par Melmott

 

WilliamFriedkin

C'est avec une grande modestie que William Friedkin a accepté l'hommage que lui a rendu le Festival du film policier de Beaune. A 72 ans, le réalisateur de 'L'Exorciste' et de 'French Connection' est toujours un dévoreur de films. Il n'a rien perdu de son amour pour le polar, une passion qu'il semblait ravi de partager.

William Friedkin n'a pas tâté des vins de Bourgogne car il est sujet à de violentes crises de goutte. Il n'hésitait pas, en revanche, à faire tâter son "pacemaker" aux journalistes. Ce gentleman cinéaste a partagé son temps à Beaune entre promenades en amoureux avec sa femme (la productrice Sherry Lansing), projections et discussions passionnées sur le cinéma. Malgré sa santé fragile, le réalisateur de grands classiques du polar comme 'French Connection' (qui lui a valu l'oscar du Meilleur réalisateur en 1972), 'Cruising' (1980), 'Police fédérale Los Angeles' (1985), 'Jade' (1995) ou 'Traqué' (2003) est toujours en quête d'expériences nouvelles, que ce soit comme créateur ou comme spectateur.

Quels sentiments vous inspire cet hommage rendu par le Festival de Beaune ?
Je suis heureux de retrouver Lionel Chouchan qui a donné un coup de pouce à ma carrière en passant 'Police fédérale Los Angeles' à Cognac. (1) Je suis également ravi que le prix me soit remis par Claude Lelouch que j'admire énormément. Je revois inlassablement ses films. 'Un homme et une femme', 'Vivre pour vivre' et 'La Bonne Année' sont mes favoris et j'ai aussi adoré 'Roman de gare'. C'est pour cela que je relativise. Je suis un homme qui fait des films. J'estime ne pas mériter de médailles. Il y a tant de grands cinéastes. Ne serait-ce qu'à Beaune, j'ai croisé Lelouch et Chabrol ! Je ne sais pas si les Français savent à quel point leurs films ont été importants pour les cinéastes de ma génération. Ils nous ont encouragés à considérer notre travail de façon intuitive, et cette influence continue à se faire sentir.

En quoi la Nouvelle Vague a-t-elle compté pour vous ?

Si la paternité de l'invention du cinéma peut se discuter, il n'y a aucun doute possible concernant ceux qui l'ont réinventé dans les années 1960. Les cinéastes de la Nouvelle Vague française comme Truffaut, Godard et Resnais ont tout changé. Et je ne parle même pas de Jean-Pierre Melville ! Je suis un fan du 'Doulos' et 'Le Samouraï' est un polar si simple et si exquis que je ne peux me lasser de le revoir. Même s'ils m'ont beaucoup apporté, je n'ai jamais réalisé de film qui ressemble à ceux-là. Je peux dire que j'ai volé des idées à tous ces cinéastes mais le résultat que j'ai obtenu est très différent du leur, car je suis très différent d'eux. Nous n'avons eu ni les mêmes avantages, ni les mêmes inconvénients et pourtant leurs films m'ont marqué de façon indélébile.


Ce sont eux qui vous ont donné envie d'être réalisateur ?

Non, le grand choc est venu de 'Citizen Kane' d'Orson Welles ! En sortant de la salle, je savais que c'était ce que je voulais faire ! Ce film réunit le meilleur de toutes les disciplines cinématographiques : mise en scène, photographie, scénario, jeu d'acteurs et décors. C'est une oeuvre incroyablement riche dans tous les domaines. Si j'avais eu le moindre don pour la musique, je pense que la 'Cinquième Symphonie' de Beethoven aurait pu me donner envie d'être compositeur. 'Citizen Kane' m'a poussé vers le cinéma.


Etes-vous conscient d'avoir aussi fluençé des cinéastes ?

Je n'en revenais pas de voir un jeune réalisateur danois m'aborder pour me demander pardon de m'avoir volé des idées ! Il s'appelle Nicolas Winding Refn et j'ai appris qu'il avait signé la trilogie Pusher et Bronson, qui est passé à Beaune. C'est très flatteur de savoir que je l'ai aidé à faire de bons films. Ce serait déprimant de penser que j'ai inspiré un nul ! Je pense cependant qu'il exagère quand il déclare m'avoir pillé. On peut voir les films de quelqu'un et se sentir inspiré par eux, il est important de faire entendre sa propre voix une fois derrière la caméra. Les réalisateurs qui se contentent de copier Hitchcock sont pathétiques. Personne n'est capable de le battre sur le terrain du thriller : il en a écrit les règles. Pourtant il a influencé des générations de cinéastes qui ont réinventé ses codes. La personnalité du réalisateur doit transparaître dans son cinéma. C'est pourquoi je suis certain que ce jeune homme a su créer son propre style car son vécu n'a rien à voir avec le mien, bien qu'il réalise aussi des polars.


Quels sont vos polars favoris ?

'Bullitt' de Peter Yates est un petit bijou avec un Steve McQueen plus charismatique que jamais. 'Psychose' me terrifie à chaque vision. Il ne s'agit pas seulement d'un thriller brillant. Hitchcock a également réussi une oeuvre profonde sur la schizophrénie. Je suis aussi assez fan des deux derniers volets de la saga Jason Bourne réalisés par Paul Greengrass, un grand cinéaste. Et puis, j'ai été très impressionné par le travail d'un réalisateur français, Pierre Morel, dont j'ai beaucoup apprécié la virtuosité pour 'Taken' et 'Banlieue 13'.


Le fait que ces films soient dépaysants pour vous est-il important ?

Je crois que j'attache davantage d'importance à l'originalité d'un cinéaste qu'à son origine. Et pourtant, il est vrai que je suis curieux de tout ! Mes deux derniers chocs ont été 'Morse' de Tomas Alfredson et 'La Bande à Baader' d'Uli Edel. Ce sont deux versants très différents du cinéma de genre. L'un dérange en plongeant dans la fiction pure, l'autre en abordant frontalement la réalité.


Que demandez-vous à un bon polar ?

Je veux me sentir concerné. Cela me fait penser à ce qu'a dit Serge de Diaghilev à Nijinsky avant l'un de ses spectacles. Alors que Nijinsky allait monter sur scène, Diaghilev l'a attrapé par le col et lui a dit : "Etonnez-moi". Cela me semble être le meilleur avis qu'un metteur en scène puisse donner à un interprète et cela pourrait aussi convenir à ce que demande le public. Voilà ce que j'attends d'un polar, mais aussi de tous les genres cinématographiques et de toute oeuvre d'art.


Vous arrive-t'il encore de vous surprendre vous-même?

Vous arrive-t-il encore de vous surprendre vous-même ? Je me suis vraiment étonné lorsque j'ai dirigé mon premier opéra en 1998 alors que je n'en avais jamais vu sur scène ! Quand mon ami le chef d'orchestre Zubin Mehta m'a proposé de mettre en scène un opéra, j'ai dit que je serai intéressé par 'Wozzeck' d'Alban Berg en espérant le décourager, mais ça n'a pas marché. Il m'a promis que le projet se concrétiserait deux ans plus tard. Il a fallu que je prenne des cours accélérés d'allemand pour comprendre le livret et que je fasse des recherches sur Berg de façon à le rejoindre à Florence en sachant de quoi je parlais ! J'étais tellement paniqué que j'ai appelé mon copain Herbert Ross, réalisateur de cinéma et metteur en scène d'opéras, pour lui demander de l'aide. Il m'a juste répondu : "Tu vas voir, tu te débrouilleras très bien" et il avait raison.


Cette expérience était-elle très différente du cinéma ?

Le langage de la scène n'a rien à voir avec celui de l'écran. On n'a pas l'illusion de la profondeur de champ, ni la possibilité de faire des gros plans. On apprend à compenser avec la lumière pour mettre en valeur les personnages importants. En revanche, la direction d'acteurs ne change pas. Les grands chanteurs d'opéra veulent la même chose que les comédiens. Ils souhaitent comprendre la psychologie de leur personnage et bénéficier d'une mise en scène qui leur donne la possibilité de jouer dans de bonnes conditions. Même si j'aime ce médium, je ne me verrais pas transformer l'une de mes oeuvres en opéra. 'La Mouche' de David Cronenberg a démontré que ce n'était pas une bonne idée de mélanger les genres. Il a fait un film superbe, mais un opéra médiocre. La musique n'apportait rien de plus à l'histoire.

Etait-ce pour connaitre une nouvelle expérience que vous avez travaillé sur "Les Experts" ?

Non, c'est parce que mon ami William Petersen me l'a demandé. Il avait envie de quitter la série pour revenir faire du théâtre à Chicago, bien que cela soit beaucoup moins lucratif pour lui. Je n'avais jamais regardé 'Les Experts', mais il m'a envoyé quelques épisodes pour que je me fasse une idée. Bien que la série soit destinée à un large public, j'ai bénéficié d'une grande liberté. Ce que j'ai fait a dû plaire à la production qui a de nouveau fait appel à moi pour le 200e épisode. Il s'intitule 'Mascara' et j'y aborde des sujets peu traités à la télévision américaine : le catch mexicain et le vaudou cubain. Ce qui est drôle, c'est que j'ai fini l'épisode deux jours avant qu'il soit diffusé sur les antennes américaines et canadiennes. C'est la magie de la télé !


La télévision est-elle plus intéressante que le cinéma ?

Oui, jusqu'à certain point, surtout en ce qui concerne les polars. Quelques séries sont meilleures que bien des films ! Il y a des séries géniales comme '24 heures chrono' ou 'Damages'. On peut les trouver discutables politiquement, mais il faut juste se laisser happer par l'action car elles extrêmement bien ficelées !


Referez-vous du cinéma ?

Certainement, si je trouve quelque chose de nouveau. Tous les films que j'ai tournés me sont tombés dessus alors que je ne les attendais pas ! Il faut juste que je sois un peu patient et ça viendra.

Et si vous deviez conseiller un seul de vos films à quelqu'un qui ne vous connaît pas ?

Je ne choisirais pas 'L'Exorciste', ni l'un de mes polars à succès. Je crois que je désignerais 'Les Garçons de la bande', une comédie de moeurs légère et sensible, deux qualificatifs que l'on attribue rarement à mon cinéma !


Propos recueillis par Caroline Vié pour Evène.fr

MERCI à Sarah pour sa gentillesse et sa collaboration




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