Le troisième anniversaire de la mandature approche. Le temps du bilan aussi. Semaine après semaine, la stratégie présidentielle pour la réélection de Nicolas Sarkozy en 2012 se dessine : prendre du recul à l’étranger pour mieux rebondir fin 2011 sur une campagne que l’on pressent « sociale ». Depuis janvier, Nicolas Sarkozy a en effet surpris par la modestie de son programme politique pour l’année. D’ordinaire très boulimique en promesses, le Monarque s’était réfugié derrière un objectif central, la réforme des retraites. La débâcle aux élections régionales l’a conforté dans sa démarche. Sarkozy doit se présidentialiser, voire se chiraquiser, pour éviter les éclaboussures d’une gestion quotidienne qui se révèle inefficace et calamiteuse. On pourrait appeler cela la stratégie du touriste : visiter souvent, commenter toujours, ne jamais agir, ne pas se mouiller. Bref, être candidat.
Touriste diplomatique
Pour cette 156ème semaine de Sarkofrance, le président français s’est envolé pour la Chine. La communication officielle insistait lourdement sur l’importance politique du déplacement : il s’agissait de réconcilier les deux pays, après la (fausse) brouille de 2008 quand Nicolas Sarkozy avait rencontré le Dalaï Lama. Mais le voyage n’était en fait qu’une belle pause touristique : mausolée de l'empereur Qin Shi Huang, Grande Muraille de Chine, pavillon français de l'Exposition universelle de Shanghaï., tout y était. On a déjà oublié ce que ce rapprochement franco-chinois signifiait de renoncements vis-à-vis des belles déclarations sarkozyennes en faveur des droits de l’homme. Il faudrait pourtant se remémorer le discours de victoire, au soir du 6 mai 2007. Interrogée sur CANAL+ jeudi dernier, l’ex-secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme Rama Yade ne pouvait reconnaître que la Chine est une dictature, louant même son libéralisme économique…. « C’est un régime autoritaire ». Mais le vrai problème de ce voyage était son timing. Les attaques spéculatives contre la zone euro ont redoublé d’ardeur : la Grèce, puis le Portugal et l’Espagne ont vu leur note de crédit se dégrader. Le « marché » ne croit pas en leur capacité à redresser leurs comptes publics.
La Grèce frôle donc la faillite. Les bourses européennes ont dévissé mardi, puis mercredi. On se serait cru en septembre 2008, quand la planète finance tremblait après la disparition brutale de Lehman Brothers. Et comme en septembre 2008 où il était parti passé 3 jours de shopping à New York avec Carla, Nicolas Sarkozy était aux abonnés absents. Juste avant de partir pour la Chine, il avait répété une nième fois qu’il fallait aider la Grèce. Les Grecs attendent de l’argent, pas des paroles. L’Allemagne bloque. Angela Merkel ne voulait pas céder avant les élections dans le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie le 9 mai prochain. Ses électeurs ne voudraient pas « payer pour les Grecs ». De Chine, Sarkozy « comprend ». Selon lui, « il est de la plus haute importance de sanctuariser la relation franco-allemande dans cette période troublée »
Mais cette semaine, les ministres des Finances européens ont été contraints à l’action. Ils se sont dépêchés de trouver un accord, 100 milliards d’euros sur 3 ans, afin que l’Etat grec honore ses échéances de remboursement. La France, faussement généreuse, prêtera à l’excellent taux de 5%, des sommes qu’elle empruntera elle-même à 3,5%. On appelle cela une « prime de risque » car, même en famille, il n’y a pas de raison de faire de bonnes affaires sur le dos des contribuables, fussent-ils grecs. Ces derniers subiront aussi des mesures d’extrême rigueur, avec 24 milliards d’euros de réduction de son budget à la clé : gel des salaires des fonctionnaires, report de l’âge de départ à la retraite, augmentation de la TVA, etc. des agents du FMI sont allés épluchés les comptes publics de l’Etat grec pour mettre au point cette cure d’austérité. La Grèce préfigure-t-elle ce qui attend d’autres pays européens ?
Coincé entre deux commentaires lénifiants sur la beauté des œuvres et monuments chinois, Sarkozy a dû glisser quelques phrases de commentaires sur cette situation d’urgence. Le ton grave, la voix basse, il s’est limité à ses incantations habituelles : « nous ne laisserons pas… », « nous assumerons… ». L’Europe paye son inexistence politique. C’est chacun pour soi, et rien pour les autres. Nicolas Sarkozy est, comme d’autres, responsable de cette situation : son projet européen a toujours été minimaliste. En 2007, il promettait de débloquer le fonctionnement institutionnel de l’UE. Le micro-Traité de Lisbonne, ratifié puis retoqué, puis rabougri, n’a rien changé. Lors de la présidence française de l’Union en 2008, Sarkozy voulait parler immigration, climat, défense et agriculture. Rien sur l’économie. Pire, Sarkozy a affaibli les institutions européennes : il minora l’axe franco-allemand, jouant la Méditerranée et le Royaume Uni, avant de s’y rallier contraint et forcé lors de la crise de l’automne. Le président de l’UE, nommé fin 2009, est un obscur inconnu, sans moyen ni charisme. Au final, l’Union reste un nain politique, incapable de toute réponse coordonnée aux défis du moment, même quand elle est frappée au cœur.
Sarkozy a aussi menti sur la régulation de la finance mondiale. Il suffisait de dire que ce chantier est titanesque, que les menaces de déstabilisation étaient toujours là. Bref, il suffisait de tenir un discours de vérité. Une démarche incompatible avec le narcissisme sarkozyen. Cette crise révèle combien les 18 mois écoulés n’ont pas servi à grand-chose, malgré les rodomontades du Monarque. Les spéculateurs spéculent, les banques d’affaires prospèrent, les agences de notation sanctionnent, les Etats s’endettent et subissent.
Touriste politique
Touriste, Nicolas Sarkozy l’est également devenu en France. C’est son « nouveau style présidentiel ». Depuis 10 jours, le Monarque a déserté l’action politique. Il préfère célébrer la Savoie (il y a dix jours), visiter des musées chinois (cette semaine), ou inaugurer une nouvelle frégate (mardi prochain). Le petit président veut prendre de la hauteur. Il a ainsi laissé son gouvernement s’embourber dans la polémique du jour, un véritable « Niqab-gate » qui a emporté, une fois de plus, l’inefficace Brice Hortefeux. Une jeune conductrice intégralement voilée, sanctionnée de 22 euros pour cause de conduite au volant avec champ de vision rétréci, a protesté publiquement contre sa verbalisation. Hortefeux a joué la surenchère, réclamant à son collègue Besson d’étudier la déchéance de nationalité du mari soupçonné de polygamie. Mal lui en a pris ! Hortefeux a fait une jolie publicité au dit mari qui clama son innocence (il n’a qu’une femme mais trois maîtresses). Eric Besson a dû reconnaître que la loi n’y pouvait rien et qu’il faudrait peut être la changer. La Sarkofrance se ridiculise. Dans quelques jours, l’interdiction du voile intégral, le vacarme du moment, sera un projet de loi. On sait déjà qu’imposer la Burqa sera puni d’un an de prison ferme et 15000 euros d’amende. A l’issue de son procès devant la Haute Cour de Justice, Charles Pasqua, l'ancien mentor de Nicolas Sarkozy dans les Hauts-de-Seine, n’a écopé que d’un an avec sursis. Deux poids, deux mesures ?
Même sur les retraites, le Monarque est absent. Il a bien ses idées, mais il préfère voir Eric Woerth mener sa concertation. Cette semaine, le ministre a ainsi rencontré syndicats et partis politiques. A aucun d’entre eux, il n’a dévoilé les réflexions concrètes du gouvernement. Et pour cause. La réforme sera dure, mais elle doit pouvoir être instrumentalisée au profit de la cause électorale de 2012. Il faut donc, sans brusquer les masses précaires, apparaître comme consensuel et, si possible, récupérer quelques idées de l’opposition.
Il n’y a qu’un sujet sur lequel le Monarque ne ménage pas ses efforts: sa réélection. A fur et à mesure de sa dégringolade dans les sondages de popularité, il avait fait croire qu’il hésitait à se représenter. En fait, il ne pense qu’à ça, et ses conseillers sont à l’œuvre. Deux sombres histoires de manipulation électorales sont venues encadrer l’actualité de la semaine.
Le Karachigate a refait surface dans les médias. Il y a un an, les juges chargés de l'enquête laissaient entendre que l'attentat à Karachi en mai 2002, qui coûta la vie à 14 personnes dont onze ingénieurs français, était en fait une vengeance pakistanaise: Jacques Chirac devenu président en 1995 avait interrompu les versements de commissions occultes, dues par le gouvernement français à l'issue de la vente au Pakistan de 3 sous-marins nucléaires français. Lundi dernier, Libération révélait que les comptes de campagne d’Edouard Balladur en 1995 avaient enregistré un coquet dépôt de 10 millions de francs (1,5 millions d’euros) en espèces, dont la moitié en coupures de 500 FF. Le détail est cocasse. A l’époque, les dons de particuliers en espèces étaient limités à 1000 FF. Cet opportun versement coïncidait avec la vente des trois sous-marins nucléaires français. Quatre jours avant la déclaration de candidature d’Edouard Balladur le 28 janvier 1995, le gouvernement imposait en effet à la DCN de verser des commissions à deux intermédiaires, choisis par l’équipe Balladur, qui n’a pas œuvré jusqu’alors dans l’affaire. Sarkozy, ministre du budget, a dû autoriser ces versements occultes. L’ancien premier ministre, qui refusait jusqu’alors déposer devant la mission parlementaire, s’est précipité dès le lendemain pour témoigner à huit-clos. Sa défense fut au mieux maladroite. Frédéric Lefebvre s’énerve et dénonce les allégations. On oublierait presque qu’Hervé Morin n’a quasiment rien levé du « secret défense » sur les documents militaires entourant cette vente. Le Karachigate se transformera-t-il en Sarkogate ? Pour l’avocat des familles de victimes, la réponse ne fait aucun doute.
En fin de semaine, on apprenait que des entreprises privées sont sollicitées par un banquier d’affaires proche de Sarkozy pour financer la création d’une sopciété d’études et d’enquêtes d’opinion. Julien Vaulpré, le conseiller de Sarkozy en charge des sondages, participait à ces réunions. Un contrat de 5 ans avec l’UMP a été promis à la future société pour pérenniser son affaire. Le scandale semble complet : « manipulation » de l’opinion à coups de sondages occultes ; incompatibilité de ces dépenses occultes réalisées pour le seul bénéfice du président candidat évident à sa réélection avec la réglementation électorale, inquiétudes sur les contreparties promises aux généreux sponsors privés de l’opération.
Nicolas Sarkozy n'a jamais président, à part peut-être de l'UMP. Le voici déjà touriste, déjà candidat.
Avec 2 ans d'avance.
Ami sarkozyste, prépare-toi.
Crédit illustration FlickR CC, Bluemontains
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