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Séance spéciale : Godard, Film socialisme et week-end de Pentecôte.

Publié le 21 mai 2010 par Petistspavs

On se sent comme en Province. D’habitude, mon parisianisme militant m’entraîne dans une sorte de focalisation nombriliste sur les événements de la Capitale. Ces jours-ci, cinématographiquement parlant, Paris semble barré au mois d’août en disant Merde au calendrier et à la météo, on sent que les choses se passent ailleurs. A Cannes, oui. Même les films qui s’offrent une petite balade parisienne (le Godard, le Kiarostami) ont un petit goût de sucre cannois.

Le Kiarostami, assez peu pour moi. D’abord parce que le cinéaste iranien adulé bronzé aux feux de La Croisette a montré assez peu de solidarité avec son collègue prisonnier, Jafar Panahi, pourtant invité du festival, mais retenu, non pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il aurait pu faire, un film critique à l’égard des mollahs et des autres cinglés de Dieu et de l’arme atomique. Et je n’ai pas vu sa signature au bas de la pétition pour Polanski. Quant à son actrice géniale, forcément géniale, non seulement elle s’est montrée désagréable et égocentrique dans une émission de France inter, non seulement la presse la trouve un petit peu trop omniprésente, ici, là et autre-part, mais je trouve vraiment l’affaire de l’affiche gênante. D’abord, l’affiche du festival 2010 est moche (alors que l’affiche 2009 était absolument magnifique, rappelez-vous), celle où elle fait des trucs étranges avec les mains, enfin vous l’avez vue. Ensuite, c’est peu courant d’être l’affiche, le totem, l’image du Festival, et de concourir…

Reste le Godard, Film Socialisme

Je l’ai VODé et j’attends le moment bien choisi pour le voir. Ce week-end, sans doute.

Les inrocks en dit : « Un coup de sonde fulgurant dans une Europe fragile et au bord du gouffre. La vision est sinistre, mais le geste cinématographique éclatant et vif. »

Et Gérard Lefort, de Libé : « TsunamiAvec le très attendu Film Socialisme, qu’il n’a pas présenté hier sur la Croisette, le cinéaste tire de son labo une de ses œuvres les plus abouties ».

Pour Critickat (Arnaud Hée) : "Inégal et avant tout passionnant, Film Socialisme, méditation ardue et émouvante, porte la contradiction d’un cinéaste toujours plus isolé et mélancolique, mais terriblement présent et contemporain : parmi nous."

Pour Christophe Kantcheff (Politis) : "’un des points d’orgue du festival, l’œuvre la plus attendue et, peut-être, la plus redoutée : Film Socialisme, de Jean-Luc Godard. C’est tout simplement une splendeur". Et il conclut : "Ce film superbe, dense, qui porte toutes les langues de la terre, celles qui s’entendent et celles qui se voient, s’achève sur cette sentence : « Quand la loi n’est pas juste, la justice passe avant la loi. "

Et puisqu'il faut un crétin de service (un qui se prend pour le français moyen, mais qui ne sait que manifester son mépris pour le français moyen à qui il prête ses propres goûts de chiotte), sélectionnons celui qui a ainsi parlé du film dans le gratuit Métro (Rania Hoballah) : "Disons que Godard compile une succession d'images, de textes dans un gloubi-boulga pseudo-intellectuel sans queue ni tête..." et plus loin : "Tandis que mon voisin de droite dormait profondément et que celui de gauche prenait frénétiquement des notes (comme toujours avec Godard, les fidèles crient au génie et les autres à l'imposture), j'ai décidé de me passer de la dernière demi-heure du film. La vie est trop courte pour perdre son temps". Le mec (ou la nana ?) qui attend fébrilement Camping 3...

Aff_Film_socialisme

J’ai VODé le film, j’attends le bon moment pour me vautrer dans ce cinéma qui vient au secours de ma passion…

Musique, Maestro.
Il y a 50 ans, Martial Solal écrivait la partition d'A bout de souffle, ce film qui allait bouger deux ou trois choses dans l'histoire du cinéma. En 1970, il reprenait sa partition à l'occasion d'un projet un peu fou (5 albums) consacré aux rapports amoureux du jazz et du cinéma. C'est moins joli que dans le film, plus déstructuré, plus abstrait, mais ça ne manque ni d'intelligence ni, finalement, de charme.

L'entretien accordé par JLG à Lalanne et Kaganski, les Laurel et Hardy des inrocks, que j'aurais tant aimé partager avec vous la semaine dernière est, enfin, en ligne sur le site du magazine. Godard a beaucoup parlé, ces temps-ci, il a même échangé avec Daniel Cohn-Bendit pour Télérama. mais ça faisait un peu "fabriqué". L'interview publié en image et son par Médiapart est également assez décevant. L'entretien des inrocks est passionnant parce que les deux journalistes qui interrogent JLG ont envie de le faire parler, s'exprimer, pas de faire du buzz ou du spectacle vite consommé, vite oublié. Alors, Godard parle. De cinéma. De la Grèce et de ce que nous devons à la Grèce, de l'imbécile loi "Hadopi" (toujours inappliquée, vous avez remarqué ? Logique, pour une loi "m'as-tu vu", pas faite pour protéger les artistes, mais pour, à l'époque, diviser les intellectuels, les créatifs et mieux régner), il parle du non-droit d'auteur comme Lewis Caroll de non-anniversaire, de l'importance de faire une oeuvre ou pas, de la disparition, disparition du cinéma, disparition de lui, et il parle de bien autre chose... Je vous invite vraiment à lire le document .PDF que je vous ai concocté, en l'agrémentant d'images, pour vous tenir éveillés. Dommage, les photos de la version papier des inrocks étaient superbes, mais restent introuvables.

Extraits, autour de la notion de droit d'auteur, de copie, d'emprunt, de citation, de (non) propriété artistique... Passionnant.

Vous ne réclamez aucun droit à des artistes qui prélèvent des images de vos films ?

Bien sûr que non. D’ailleurs, des gens le font, mettent ça sur internet et en général c’est pas très bon… Mais je n’ai pas le sentiment qu’ils me prennent quelque chose. Moi je n’ai pas internet. Anne-Marie (Miéville, sa compagne et cinéaste – ndlr) l’utilise. Mais dans mon film, il y a des images qui viennent d’internet, comme ces images de deux chats ensemble.

Pour vous, il n’y a pas de différence de statut entre ces images anonymes de chats qui circulent sur internet et le plan des Cheyennes de John Ford que vous utilisez aussi dans Film Socialisme ?

Statutairement, je ne vois pas pourquoi je ferais une différence. Si je devais plaider légalement contre les accusations de pillage d’images dans mes films, j’engagerais deux avocats avec deux systèmes différents. L’un défendrait le droit de citation, qui n’existe quasiment pas en cinéma. En littérature, on peut citer largement. Dans le Miller (Vie et débauche, voyage dans l’œuvre de Henry Miller – ndlr) de Norman Mailer, il y a 80 % de Henry Miller et 20 % de Norman Mailer. En sciences, aucun scientifique ne paie des droits pour utiliser une formule établie par un confrère. Ça, c’est la citation et le cinéma ne l’autorise pas. J’ai lu le livre de Marie Darrieussecq, Rapport de police, et je le trouve très bien parce qu’elle fait un historique de cette question. Le droit d’auteur, vraiment c’est pas possible. Un auteur n’a aucun droit. Je n’ai aucun droit. Je n’ai que des devoirs. Et puis dans mon film, il y a un autre type d’emprunts, pas des citations mais simplement des extraits. Comme une piqûre lorsqu’on prend un échantillon de sang pour l’analyser. Ça serait la plaidoirie de mon second avocat. Il défendrait par exemple l’usage que je fais des plans des trapézistes issus des Plages d’Agnès. Ce plan n’est pas une citation, je ne cite pas le film d’Agnès Varda : je bénéficie de son travail. C’est un extrait que je prends, que j’incorpore ailleurs pour qu’il prenne un autre sens, en l’occurrence symboliser la paix entre Israël et Palestine. Ce plan, je ne l’ai pas payé. Mais si Agnès me demandait de l’argent, j’estime qu’on pourrait la payer au juste prix. C’est-à- dire en rapport avec l’économie du film, le nombre de spectateurs qu’il touche…

Pour exprimer la paix au Moyen-Orient par une métaphore, pourquoi préférez- vous détourner une image d’Agnès Varda plutôt qu’en tourner une ?

Je trouvais la métaphore très bien dans le film d’Agnès.

Mais elle n’y est pas…

Non, bien sûr. C’est moi qui la construis en déplaçant l’image. Je ne pense pas faire du tort à l’image. Je la trouvais parfaite pour ce que je voulais dire. Si les Palestiniens et les Israéliens montaient un cirque et faisaient un numéro de trapèze ensemble, les choses seraient différentes au Moyen- Orient. Cette image montre pour moi un accord parfait, exactement ce que je voulais exprimer. Alors je prends l’image, puisqu’elle existe. Le socialisme du film consiste à saper l’idée de propriété, à commencer par celle des œuvres… Il ne devrait pas y avoir de propriété des œuvres. Beaumarchais voulait seulement bénéficier d’une partie des recettes du Mariage de Figaro. Il pouvait dire “Figaro, c’est moi qui l’ai écrit”. Mais je ne crois pas qu’il aurait dit “Figaro, c’est à moi”. Ce sentiment de propriété des œuvres est venu plus tard. Aujourd’hui, un type pose des éclairages sur la tour Eiffel, il a été payé pour ça, mais si on filme la tour Eiffel on doit encore lui payer quelque chose.

L'intégrale de l'entretien (passionnant, je vous jure, on ne peut pas prétendre aimer le cinéma et passer à côté des discours qui le mettent vraiment en perspective, avec autant d'intelligence et de sensibilité. D'émotion) en .PDF, CLIQUER ICI.

Le site du film (comporte un lien vers l'interview en vidéo de JLG par Mediapart) : CLIQUER ICI.

Film Socialisme, Le livre
Les éditions POL publient, le 25 mai, Film Socialisme (105 p., 15 euros), de Jean-Luc Godard, qui reprend les dialogues du film, où s’entrelacent les "visages" des auteurs cités (le cinéaste maîtrise toujours avec maestria le sampling littéraire). Un beau livre, «cousinc» du film, qui a son autonomie propre. (info Politis)

UN THEME DE DÉBAT POUR ENRICHIR CE WEEK-END

David Lynch est un des créateurs les plus inventifs du cinéma mondial depuis bien longtemps. J'avoue, si j'étais cinéaste, ce n'est pas à lui que j'essayerais de me mesurer... David Lynch, contrairement au Robin Hood de Ridley Scott, a plus d'une corde à son arc. Il est photographe, plasticien, peintre, philosophe parfois, musicien de rock. Il lui arrive de travailler pour la publicité, comme beaucoup d'autres de ses confrères de tout premier plan. Là, on va commencer à voir (je me demande où...) Lady Blue, un clip publicitaire pour Dior, avec une petite actrice franchouillarde oubliable, mais bon, c'est comme ça.

A ceux qui auraient le courage d'affronter ce film dans la durée, je pose une question (et très honnêtement - tout ce que je fais ici, bon ou mauvais, est d'une honnêteté constante, confondante peut-être, donc là je pose une vraie question, me sentant moi-même interpellé) : quand Lynch fait la pub de Dior, fait-il encore du Lynch ou fait-il du Dior ? En d'autres termes, outre l'intérêt financier du Maestro, Lynch en pub, est-ce que ça vaut encore quelque chose ? Je ne donne pas mon avis, je verrai s'il y a des réponses avant de dire quoi que ce soit... Mais Lynch représentant aujourd'hui dans l'univers cinématographique ce que Welles, Chaplin ou Eisenstein ont pu représenter à leur époque, il me semble que lancer ce genre de débat n'est pas a priori totalement vain.

Voici la chose :

Qu'en pensez-vous ? Dites-moi, vraiment.


L'IMAGE DÉGUEULASSE DE LA SEMAINE

Elus UMP, anciens combattants, représentants d’associations de harkis ou de pieds-noirs et membres du FN ont accusé le film de Rachid Bouchareb de «falsifier l’histoire».

Cannes_la_Honte

Ces gens-là sont des nostalgiques de l'Empire, de l'OAS, des méthodes staliniennes ou iraniennes de filtrage des images par l'État, les juges, la police. Je n'ai pas approuvé le précédent film de Rachid Bouchareb, contrairement à Chirac, non en raison du fond mais parce qu'il illustrait une "bonne cause" avec les recettes les plus détestables du cinéma d'avant la Nouvelle Vague. Mais je défendrai toujours le courage des cinéastes contre les cons qui ne rêvent que de rideaux de fer pour enfermer la création.
 

ON EST PAS DES CHARLOTS : LES CHAPLIN DU MOMENT

Mes suggestions hebdomadaire de rattrapage, pour celles et ceux qui ont comme moi raté des films. Parmi ceux vus récemment, je conseille : 

Chaplin_5_B5

Les Femmes de mes amis de Hong Sangsoo
Subtil, drôle, nostalgique, beau, onirique.
Hong Sangsoo ne m'a jamais déçu.
J'attends son Ha ha ha, en compèt' à Cannes
avec une certaine impatience. 

Nuits d'ivresse printanière de Lou Ye
 Attention : film en fin d'exploitation à Paris,
mais encore visible dans quelques salles de province.

Chaplin_4_B4

Mammuth de Gustave Kervern, Benoît Delépine
 Ce film produit avec trois sous
 a déjà rassemblé 650.000 spectateurs
 et poursuit une belle carrière populaire.

Cliquer sur les titres pour découvrir les salles et les séances (sur AlloCiné, on fait ce qu'on peut...)

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Pas de focus, cette semaine. Paris ressemble à un mois d'août. Cannes agit comme un vrai siphon. A la semaine prochaine. Bons films.


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