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Candide sur les Champs

Publié le 24 mai 2010 par Rendez-Vous Du Patrimoine
Candide sur les Champs
Clichés I. Rambaud
En arrivant à Paris le jour de la Pentecôte, Candide eut la preuve que les habitants de la capitale avaient été frappés par les rayons du Saint Esprit. Le Premier des échevins avait décidé de transporter la campagne au cœur de la ville et d’ainsi honorer le Dieu de la nature.

Le miracle s’était produit en une nuit à force de charroiements de terre, de transports d’arbres et de plantations de légumes.C’était comme un mirage : Candide connaissait la plus grande avenue de la capitale et il se souvenait d’avoir failli y être écrasé en traversant imprudemment et combien l’air y était irrespirable du fait des miasmes et des odeurs pestilentielles des ordures de toutes sortes. Maintenant, il n’y avait plus une seule charrette, un seul carrosse, une seule voiture. L’air était pur et ne sentait plus le crottin.De grands carrés de verdure occupaient toute la chaussée dont les pavés étaient recouverts de copeaux de bois rouge formant comme un tapis et il eut l’impression de se promener dans une vaste pépinière, avec toutes les spécialités des campagnes du royaume.Le bas de l’avenue accueillait le blé en herbe, le trèfle, la betterave, tout ce qu’il connaissait par ses voyages, mais cette fois en réduction, comme des champs miniatures, des tableaux spécimens de la nature. Certains plants comme les choux étaient mêmes en pot et ressemblaient à des fleurs dans des jardinières.Il y avait aussi des productions plus lointaines, venant des îles : des bananiers, de la canne à sucre, ou même des pays de l’Orient d’où provenait du riz, qu’il n’avait jamais vu. Chacun s’exclamait, essayait de deviner le nom des plantes et riait encore plus fort d’avoir confondu les haricots avec la pomme de terre, la fève avec les pois. Les bourgeois qui voyaient pour la première fois autant de productions végétales expliquaient à leurs enfants ce qu’ils n’avaient vu jusqu’alors que dans les livres et les herbiers et prenaient l’air naturel pour leur démontrer que le tournesol portait bien son nom.Candide sur les Champs
Plus haut sur l’avenue, la bergerie royale de Rambouillet avait délégué des mérinos qui soufflaient sous le soleil ardent, tassés en groupe et surveillés par un chien de berger qui ne leur laissait pas de répit. Les badauds admiratifs cuisaient eux-mêmes sur les barrières environnantes, devenus plus grégaires que les animaux puisque seule leur curiosité les obligeait à cuire.Candide progressait difficilement tant la foule était dense : des habitants de la capitale, mais aussi ceux des villages voisins et aussi des étrangers étaient là car il reconnut l’accent d’américains venus visiter Paris et qui se croyaient en Provence, tout étonnés d’y voir des oliviers, des vignes et des lavandes alors qu’ils étaient venus pour les monuments de la capitale et ne pensaient pas y voir un brin d’herbe, encore moins de telles transplantations.Candide sur les Champs
Certains commerçants de l’avenue s’étaient mis au diapason : un tailleur de renom avait même introduit des chevreuils empaillés dans sa vitrine au milieu des vestons et des pourpoints.Mais le plus étonnant était sans doute la grande forêt qui se déployait en haut de l’avenue avec des chênes, des cèdres, des pins, des hêtres d’une taille incroyable et qui avaient été déracinés, déplacés puis disposés en groupes comme les échantillons d’une vraie forêt pour faire croire aux habitants qu’ils avaient la chance de se promener sous la futaie sans avoir à se déplacer.Cependant, comme les arbres n’avaient pas pu être plantés entre les pavés, ils étaient surélevés dans des bacs, ce qui amoindrissait le miracle. Les promeneurs qui n’étaient jamais sortis de la ville ne semblaient pas s’en apercevoir.Candide, lui n’en croyait pas ses yeux. Comme il avait une grande imagination et que la partie lui signifiait le tout, il finit par se croire transporté dans les belles forêts de Westphalie, ce qui le fit penser à sa chère Cunégonde et faillit le faire pleurer. A ce moment là, heureusement, il vit, assis sur le bord d’un carré de fruitiers, un vieux paysan qui grommelait sous son chapeau et dont la tristesse apparente le tira de sa propre douleur. S’approchant, il l’entendit qui disait : « Si j’aurais su, j’aurais pas venu ». Candide en fut tout surpris car lui-même s’était laissé séduire par la grandeur des travaux qu’il voyait sous ses yeux et cette remarque lui parût d’abord du plus mauvais goût.

Candide sur les Champs
S'il avait pu s'élever de quelques pieds, il aurait même été confondu devant tant d'artifice et de splendeur et n'aurait pû qu'en attribuer le spectacle aux bienfaits de Dieu.Le paysan lui expliqua cependant qu’il avait accompagné son petit-fils qui était planteur de lin. Son carré était un peu plus loin et attirait les regards. Mais lui, il étouffait et ne comprenait plus où il était avec toute cette mosaïque de cultures minuscules alors qu’il arpentait tous les jours l’immensité des champs en liberté.

« C’est pour mieux ouvrir les yeux des habitants de la capitale sur les beautés de la nature », lui dit Candide qui avait bien compris qu’ils n’étaient pas comme les autres humains, capables de voyager et de se rendre compte par eux-mêmes de la diversité des paysages parce qu’ils étaient depuis leur naissance ensorcelés par le décor et les parfums de la ville. « On leur a tout mâché comme d’habitude, c’est juste une vitrine », lui répondit le vieux. Visiblement, il ne croyait pas aux bienfaits de cette grande démonstration qui n’avait de naturelle que le nom et les accessoires. « Alors, ce n’est pas ici le paradis terrestre ? » lui dit Candide. Le paysan le regarda comme s’il avait vu un Iroquois et lui dit en haussant les épaules : « Le paradis terrestre… ? Je le retrouverai en rentrant. Il suffit de travailler son jardin ! ».

(D'après M. Voltaire)Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !

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