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Valérie Donzelli, le cinéma, la nuit, les questions

Publié le 27 mai 2010 par Petistspavs

Hier, mercredi, au lieu d'écrire la fin de La séance du mercredi, j'ai passé une soirée formidable et je voudrais vous en dire quelques mots.

Ça se passait à l'Entrepôt, 7/9 rue Francis de Pressensé à Paris dans le 14ème, près de chez moi. J'avais envie de détente et de choses jolies, car trop de boulot c'est trop de boulot, il fallait décompresser avant deux ou trois obligations stressogènes et en matière de détente et de joliesse (pas seulement) j'en ai vraiment eu pour mon argent (c'était "entrée libre", en plus).

Une initiative de l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 en partenariat avec L'Adresse-Musée de la Poste et la Fondation d'entreprise La Poste consistant à explorer les relations entre la lettre, le courrier, La poste quoi (les PTT de nos bons souvenirs) et le cinéma, à travers un programme de courts très prometteur. Voici le programme.

En présence de Valérie Donzelli et Agnès Varda (qui a fait faux bon, j'espère qu'elle va bien).

Il fait beau dans la plus belle ville du monde,
Valérie Donzelli, 2008, couleurs, 12mn. 
Adèle, une jeune trentenaire, décide de rentrer en contact avec Vidal, un musicien qu'elle admire. À sa grande surprise, celui-ci répond à son message électronique. Une correspondance s'établit et une date de rendez-vous est fixée.
Avec beaucoup d'enthousiasme, Adèle va à la rencontre de Vidal. Mais il y a une chose qu'elle n'a pas précisée : elle est enceinte.

Les Fiancés du pont Mac Donald,
Agnès Varda, 1961, noir et blanc, 3mn. 
Un jeune homme voit la vie en noir quand il porte des lunettes noires. Il lui suffit de les ôter pour que les choses s'arrangent. Avec Jean-Luc Godard et Anna Karina, Samy Frey, Jean-Claude Brialy, Eddie Constantine etc.

L'Opéra-Mouffe,
Agnès Varda, 1958, noir et blanc, 17 mn.
Le marché de la Mouffe (la rue Mouffetard à Paris), les clochards et les ivrognes... Des images où l'on sent la tendresse de celle qui regarde et filme les gens. C'est son carnet de notes, elle est enceinte.

Paris La Belle,
Pierre Prévert, 1960, couleurs et noir et blanc, 24 mn. 
En Provence, Jacques Prévert reçoit la visite du facteur Marcel Duhamel. Quelques mots échangés entre les complices, quelques images fixes dans un album, les souvenirs remontent : en 1928, un groupe de jeunes artistes, dont Man Ray, a filmé Paris Express dans les rues de la capitale.
Trente ans après, deux visages de Paris entrent en correspondance.

Madeleine et le facteur,
Valérie Donzelli, 2010, couleurs, 10 mn. 
Par lettres, Madeleine et Louise ont une explication grinçante sur leur passé amical. Un jour, un timbre oublié, Madeleine tente de récupérer son enveloppe dans la boîte, le facteur s'interpose... Film inédit et en avant-première produit grâce au soutien de la Fondation d'entreprise La Poste.

Une discussion avec Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm (Béatrice de Staël, la Rachel de La reine des pommes était assise non loin) animée par Roselyne Quéméner a joué les feux d'artifice à l'issue de la séance.

Val_rie_et_J_r_mie

Une photo volée de Valérie et Jérémie

Trois miracles hier soir.

Un : la programmation.
Les deux Varda sont magnifiques, mais si tout le monde (non ?) connait Les fiancés..., vrai film de copains que Varda a intégré à Cléo de 5 à 7 (quel film, aussi !), L'opéra Mouffe était, pour moi, une découverte. Tourné en 1955, c'est un film gonflé, qui à la manière des photographes dits humanistes montre un Paris populaire, ses visages, la lèpre de ses murs, la vie incroyable des rues et des marchés, mais ose aussi le sexe et la nudité. Ce petit film montre à quel point Varda annonce la Nouvelle vague, en rompant avec la grammaire cinématographique du temps (La pointe courte, son premier long, avec Philippe Noiret et Sylvia Monfort était déjà dans la boite), mais aussi qu'elle conserve les pieds, non pas sur terre, mais dans une tradition anarchisante qui passe par René Clair, les frères Prévert et les surréalistes. Ce petit film m'a bouleversé, par son esthétique loin de tout esthétisme, de tout académisme surtout, également par la sensibilité de certaines images, gros plans emplissant l'écran, geste sans grandiloquence du quotidien, présence des corps, du désir, liberté totale du regard.
Le Prévert est magique et je le voyais, je crois, pour la première fois sur grand écran, carré, les images de 1960, en couleurs, totalement en harmonie avec celles de 1928, tournées par Prévert et Man Ray.

Deux : la programmation a confirmé qu'une grande cinéaste nous est advenue : Valérie Donzelli. Je la connaissais actrice (notamment Les camarades, sublime série de trois films à la télé), puis actrice-auteure-réalisatrice-costumière-chanteuse et danseuse dans La reine des pommes dont je vous fais la pub depuis des mois (allez-y, on peut le voir dans de très bonnes conditions à l'Entrepôt). Hier, c'était la découverte de son premier film et de son dernier film, fabriqué à toutes vitesses pour la circonstance et filmé au moyen d'un appareil photo numérique, en couleurs noir et blanc. Ces deux courts nous replongent dans la fantaisie gaie triste profonde de La reine des pommes et confirment la personnalité si attachante de cette si belle (dans tous les sens du terme) cinéaste.

Trois : Valérie et Jérémie causent, puis répondent, avec gentillesse, modestie et intelligence. Et énormément d'humour, comme si cette conversation libre avec le public était aussi une comédie. Donc, la réalisatrice du film français le plus excitant de l'année "n'a pas vu le dernier Rohmer" et avoue n'avoir vu de  Godard qu'A bout de souffle. Alors, ça devient passionnant. Cette génération n'a qu'une envie : s'emparer des outils (une caméra DV, un appareil photo) pour faire du cinéma, avec les moyens du bord (quasiment rien) et plein d'idées. Le truc : réaliser vite ses envies. Le rapport au système économique du cinéma français : Elkaïm, très posé, cool, intelligent, a la réponse : il faut être extrêmement fort pour travailler dans ce système de financement, fait de négociations et de compromissions, pour ne pas perdre sa personnalité, son envie de faire. Virginie improvise une réponse à l'emporte-pièce, mais qui dit les choses, elle "préfère être riche parmi les pauvres que pauvre parmi les riches".
 Et le cinéma, ça reste une question de désir. Réaliser ses passions, vite, sans se compromettre.

A la sortie, une main sur mon épaule, une question à laquelle je réponds. Puis c'est Virginie, puis Jérémie et on se sent tellement loin des paillettes. Virginie veut savoir si c'est vrai que j'ai vu La reine des pommes plusieurs fois. Elkaïm est un type avec qui ce serait agréable de boire une bière, puis de vider son âme, à point d'heure. Un type sérieux et marrant. Virginie est juste une femme cinéaste et actrice encore capable d'être surprise par un fan. C'est moi le fan. Je lui dis quelque chose comme Que vous le sachiez ou non, vous êtes en devenir la femme cinéaste fantaisiste et profonde dont le cinéma français a besoin.

Envie de poursuivre, de parler, de créer un contact. Je me sens seul en m'en allant. La tête enluminée d'étoiles.


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