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La cagole, une bimbo marseillaise

Publié le 29 mai 2010 par Savatier

 Bazarettes, cardelines, zizes, nines, parpelles, quiques, sartans, tous ces substantifs aux intonations chantantes sembleraient volontiers désigner ces petits poissons de roche que les pescadous capturent dans leurs filets pour la préparation de la bouillabaisse. Pourtant, tous sont synonymes de « cagole ». Les mots ont parfois quelque chose de trompeur : la première fois que j’avais entendu celui-ci, j’avais cru qu’il s’agissait d’une variante régionale de cagouille, nom par lequel on désigne les escargots (en l’occurrence, les « petits gris ») en pays charentais et que le hasard des guerres napoléoniennes a exporté jusque dans le dialecte triestin sous la forme cagoglia.

En me reportant au savoureux ouvrage de Robert Bouvier, Le Parler marseillais (Editions Jeanne Laffitte, 181 pages, 13 €), j’avais pu rectifier mon erreur. A l’entrée « cagole » de ce dictionnaire, il était écrit :

« Nom féminin d’origine provençale. Désigne une fille de très petite vertu et de fort mauvaise apparence : ʺCelle-là, tu peux y aller, c’est une vraie cagoleʺ veut tout dire. A l’origine, on trouve le mot provençal cagoulo, cagoule, mais aussi long tablier. Les filles qui, au début du [XXe] siècle, travaillaient dans les usines d’empaquetage de dattes étaient tenues, pour des raisons pratiques, de porter ces ʺcagolesʺ. Et comme à Marseille, ʺtravailler aux dattesʺ est une terrible malédiction, on en conclut que les salaires et les conditions de travail sont ou étaient il n’y a pas si longtemps encore, assez atroces. Il est donc possible que pour arrondir leurs fins de mois, les filles des dattes, jadis, vendaient leurs charmes. »

Cette définition, quelque peu moralisatrice, n’a plus cours aujourd’hui où la cagole est à la cité phocéenne (et ses alentours) ce que la bimbo est au reste du monde… avec cette touche locale supplémentaire qui fait la différence. On en prend conscience en lisant le récent essai que publient Maud Fandre et Pascal Petiot, Eloge des cagoles (Tchou, 150 pages, 19,95 €). Ceux qui ont vu Aure Atika dans Bimboland, la comédie d’Ariel Zeitoun (1998), comprendront facilement et ne seront pas dépaysés par les nombreuses photographies qui illustrent le livre. Sans doute Franz-Olivier Giesbert, dans sa préface, donne-t-il une définition extensive de la cagole, y voyant une « jeune fille ou jeune femme de Marseille et de sa région » (toutes les Marseillaises n’en sont pas), en revanche, il a probablement raison de déceler dans cette dénomination « des connotations plaisantes, voire affectueuses. »

Si un adverbe devait tenter de définir la cagole, ce serait peut-être « trop ». Trop maquillée, trop décolorée, trop parfumée, le verbe portant trop loin, arborant trop de bijoux, juchée sur des talons trop hauts, (peu) habillées de tenues trop voyantes (ou trop décolletées aux yeux de certains) laissant apparaître ses sous-vêtements, la cagole, comme le souligne avec malice l’humoriste Yves Pujol « est à la femme ce que le tuning est à la voiture de série : un festival de couleur, d’accessoires, de chromes aux oreilles, au cou, aux bras et bien sûr de pièces non d’origine pour une ligne toujours plus profilée, de jantes toujours plus larges, et de pare-chocs toujours plus imposants. »

Il est vrai que le code vestimentaire de cette curieuse et sympathique confrérie s’affranchit de toute sobriété, que le comportement ouvertement extraverti de ses membres les rend visibles de loin. Tel est le but recherché. Aujourd’hui, la cagole ne travaille plus « aux dattes » ; elle est coiffeuse, esthéticienne, vendeuse, caissière de supermarché, mais aussi étudiante et, si l’on accorde crédit au texte que l’avocat Gilbert Collard a inclus dans le livre, elle peut même exercer la très sérieuse charge de magistrat. L’âge n’est pas un obstacle, pas plus que la condition sociale, donc. Il s’agit plutôt d’un état d’esprit, fondé sur une conception particulière de la féminité, de l’esthétique et, surtout, sur une forte personnalité, car il en faut une, et bien trempée, pour arborer ainsi ces looks improbables.

Que l’on ne s’y trompe pas, la cagole n’est pas une « poufiasse » (terme issu du provençal « poùfi »), ni une « radasse » (là encore, terme provençal, nous apprend Robert Bouvier, le radassié étant un large canapé utilisé pour faire – officiellement – la sieste)… Car les écrivains qui ont participé à l’ouvrage de Maud Fandre et Pascal Petiot éprouvent pour elle une tendresse qui le suggère. D’ailleurs, les cagoles ne se montrent pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus « faciles » que leurs contemporaines ; beaucoup font même des rêves de midinettes en quête de prince charmant.

Certains les trouveront provocantes, vulgaires ou, surprenant l’une de leurs conversations, les penseront futiles et sans grand esprit. Le fait est que quelques citations du livre figureraient à bon droit dans un recueil de « perles ». Mais, finalement, leur vocabulaire est plus étendu – et plus haut en couleurs – que celui de la majorité des footballeurs adulés des foules pour lesquels prononcer des mots de plus de deux syllabes relève du défi ; et leur propension au bling-bling n’est pas plus tapageuse que celle des lauréates de la téléréalité ou de bien des chanteuses à la mode pendant une saison.

Par ailleurs, on ne peut nier que ces jeunes filles et ces femmes constituent un phénomène contemporain qui, pour marginal qu’il soit, mériterait une étude sociologique approfondie. Car leur démarche dépasse celle du simple paraître. Ainsi, les cagoles étant à l’image de la ville qui les abrite, certaines, notamment d’origine maghrébine, voient dans leur mode de vie une manière de lutter contre l’expansion des voiles et autres niqâbs, une façon de revendiquer leur liberté, leur féminité, voire leur féminisme. Dans un contexte où les monothéismes se radicalisent, les femmes étant toujours leurs cibles premières, on ne saurait les en blâmer.

Illustrations : Cagoles (photos D.R.). 


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