Qui suis-je pour noter des écrivains ?
Il n'y a pas que les célébrités à avoir la surprise de retrouver une de leurs "petites" phrases à la une d'un article. J'avais répondu spontanément à la journaliste interviewant quelques-unes d'entre nous dans les salons France-Amériques, à Paris, le 26 mai dernier. Ma remarque a été isolée en commentaire de la vidéo retraçant l'essentiel de la soirée et que vous pouvez consulter sur la page dédiée au Prix sur le site du magazine ou plus simplement visionner ci-dessous.
L'exercice de la lecture n'a pas été totalement solitaire. J'avais repéré sur la toile quelques autres bloggeuses dont j'avais suivi les critiques, parfois en les partageant, de temps en temps en proposant un avis différent. Nous guettions avec de plus en plus d'intérêt les points de vue de chacune et nous avons apprécié de pouvoir nous voir avant d'être un peu "perdues" dans la foule des invités.
Le compte à rebours lancé il y avait un peu plus d'un an menaçait de se terminer abruptement. J'étais à peine autant stressée qu'un matin d'examen. Les premiers échanges non virtuels ont eu lieu, au bar Nespresso des Champs-Elysées qui, fort aimablement, nous avait réservé une banquette. La chaleur étouffante de l'avenue contrastait avec la fraicheur apaisante du lounge. Zarline (j'aurai le plaisir de la rencontrer quelques jours plus tard), Armande, Jostein et Carine étaient retenues en province ou à l'étranger. Sandra devait nous rejoindre plus tard. Elle s'était accordé une pause en Normandie après le festival de Cannes.
Sophie arriva la première, bientôt rejointe par Flora puis par Kornaline. Notre quatuor était modeste mais nous avons apprécié ce moment calme et nos échanges passionnés dans une ambiance décontractée. De nous toutes Sophie est sans conteste la plus active. C'est une quasi professionnelle des Prix. On peut faire confiance à ses recommandations pour hausser notre PAL vers de nouveaux sommets. Cet après-midi là elle nous incitait à découvrir son coup de coeur pour le prix Orange, Chouquette, d'Emilie Frèche, chez Actes sud, et puis aussi Fourrure, d'Adélaide de Clermont-Tonnerre, aux éditions Stock (l'écrivain arrivera en soirée), et l'Emprise de Sarah Chiche, chez Grasset. Kornaline nous rappelle l'intérêt de Voix sans issue de Céline Curiol chez Actes sud.
Le bar Nespresso est ouvert tous les jours de 10 heures à 20 heures, sauf le dimanche. Il accueille quelques 300 à 400 personnes mais il est si vaste qu'on ne s'y bouscule pas. Ce serait un endroit parfait pour lire au calme et avec gourmandise. On peut y consommer des plats salés mais aussi les pâtisseries de Christophe Adam, le chef pâtissier de Fauchon et déguster moult spécialités classiques. La carte offre aussi des recettes surprenantes comme en ce moment le Tanzarù, qui allie deux arabicas du pérou et de Tanzanie, allongés d'1 cl de jus de pamplemousse, adoucis d'une mousse de lait chaude, et rehaussés d'un zeste de citron vert avant d'être poudré de cacao.
Les salons France-Amérique n'étaient pas loin, heureusement, parce que nous avons tout de même eu le temps d'essuyer une belle averse et d'arriver le cheveu dégoulinant. La première à nous accueillir fut la toujours charmante Amandine que nous ne connaissions que par mail. Quel soulagement de recevoir son accusé de réception après chaque envoi de nos commentaires. Nous avons été tristes pour elle d'apprendre qu'elle allait devoir quitter son poste et nous lui souhaitons bonne chance dans sa vie professionnelle future.
Au sous-sol, Véronique Ovaldé, que nous savions déjà grande gagnante de la sélection Roman, conversait avec Jacqueline Gérard, la responsable du Prix. Sa joie était éclatante, son sourire flamboyant. Elle rayonnait en collant résille, dans une robe de soie bleu nuit signée Lanvin, le poignet alourdi d'un bracelet scintillant.
Les lectrices se sont réparties autour de trois tables ovales nappées de blanc pour entamer un "débat" avec chacun des gagnants. Jesse Kellerman, annoncé lauréat Policier pour les Visages, ne viendrait pas et son éditeur était en retard. Il a fallu se condenser autour d'Eric Fottorino, le gagnant Document, ou de Véronique Ovaldé.
J'étais très proche de l'écrivain et pourtant j'ai eu peine à comprendre ses paroles. L'acoustique de la salle est déplorable et je plains celles qui étaient assises plus loin. Il est revenu sur les conditions d'écriture de cet ouvrage qu'il pense avoir eu longtemps en germe jusqu'à son éclosion, à la mort brutale de son père. La fiction agit comme un révélateur et permet une reconstruction salutaire, même si elle est romanesque : l'écriture est le véhicule qui est le plus à ma portée pour exprimer ce que je ressens et ce que j'ai à dire, malgré toutes les imperfections de cet exercice.
Il a écrit autour d'une souffrance qu'il fallait partager. Il écrit aussi comme tant d'autres d'ailleurs pour tenter de comprendre d'où il vient, qui il est et qui s'est en quelque sorte penché sur son berceau. Eric Fottorino n'est pas prêt de s'arrêter. Le jour même son éditeur publiait Questions à mon père, fruit d'un dialogue entre l'auteur et son père biologique cette fois, qu'il ne connait que depuis quatre ans et qu'il a voulu publier de son vivant.
Il confesse qu'il lui a été difficile d'admettre qu'il n'avait pas été un bon fils. Le livre lui fait d'une certaine manière une place à mi-chemin entre celle d'un père et celle d'un étranger. Il a permis à la colère de se domestiquer. Pendant trois mois ils ont communiqué sans relâche, par mail, de plus en plus longs. Leur histoire se constituait un peu à la manière de Shéhérazade qui contait toutes les nuits un nouvel épisode des mille et une nuits.
Aujourd'hui il ressent le manque de ces échanges si féconds qui lui ont permis de faire le lien entre ses deux papas, d'ériger un pont entre Tunisie et Maroc, entre leurs deux métiers si proches, l'un kiné, l'autre accoucheur, le premier ayant une clientèle de personnes âgées, et l'autre de très jeunes.
Il a appris qu'il à une demi-frère et une demi-soeur. Il est toujours traversé par la question de l'identité, y compris celle de la question religieuse mais il ne supporte pas davantage une église qu'une synagogue.
Eric fottorino ne correspond pas au mythe classique de l'écrivain. D'abord parce qu'il parle en toute modestie, se disant par exemple incapable d'écrire un polar (parce qu'il ne pourrait pas deviner lui-même qui serait le coupable dit-il avec humour). Il semblerait que l'exercice lui soit complexe. Quand il a du temps ce sont les idées qui manquent et quand les mots arrivent il a autre chose de plus urgent à faire que de s'installer pour les coucher sur le papier. C'est un peu comme le chat qui demande toujours à passer de l'autre coté de la porte ...
Longtemps il n'a pas disposé de bureau. Il écrivait dans le train, le RER, sur un table au milueu de son jardin, très souvent mais pas longtemps. Il peut lui falloir trois moments d'écriture pour terminer une page. Les idées volent, les mots vont à pieds, nous explique-t-il pour mieux signifier la délicatesse de la chose.
Une lectrice le relance sur son père adoptif qu'elle dit avoir bien connu à Toulouse. On aurait aimé poursuivre la conversation, en faisant le lien avec sa profession de journaliste au Monde, journal dont il est maintenant président du directoire. Il doit forcément avoir aussi un point de vue particulier sur l'évolution de notre société. Je n'ai pas osé pour ma part le relancer sur le suicide des seniors qui fut le sujet de plusieurs romans ces derniers mois (je pense à Un amour exclusif de Johanna Adorjan, une Année étrangère de Brigitte Giraud, Lettre à D d'André Gorz ...). Il était temps de changer d'interlocuteur.
Véronique Ovaldé s'exprime avec un naturel désarmant. Sa franchise est à la mesure de sa simplicité : immense. Elle s'étonne elle-même que ses lectures et sa propre vie dorment à ce point le substrat inconscient qui nourrit son imaginaire et ses livres. C'est inquiétant de constater qu'on ne maitrise pas grand chose mais c'est aussi finalement plutôt relaxant. Les indices sont partout semés comme des cailloux blancs : le nom de Vera Candida est au centre de son identité. Il existe une parenté, même si elle est involontaire, avec L'Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique de Gabriel García Márquez .
Elle résume sa méthode avec simplicité : une première phrase m'installe quelque part et je tire le fil. Je situe toujours mes romans dans des lieux inventés, imaginaires. Je n'arrive pas à m'attacher au réel quand il s'agit d'écriture. C'est très exaltant d'inventer un personnage et un territoire possibles.
Par contre il apparait clairement que Véronique Ovaldé est taraudée par la question de la transmission, particulièrement entre mère et fille. Sur la peur que nos enfants se séparent de nous. Également par son interrogation personnelle sur l'inacceptable, sur les tyrannies et le fascisme domestique qui la pousse à toujours glisser une allusion au nazisme dans chacun de ses livres, quitte à employer le genre burlesque comme dans déloger l'animal.
Longtemps elle a écrit à la main, sur les pages de droite d'un cahier, pour pouvoir ajouter des annotations sur la gauche. Elle est passée récemment à l'ordinateur. On sait déjà qu'elle se livre à cette activité très tôt, alors que la maison est encore endormie, avant d'aller elle-même à son travail. Elle écrit sans faire de plan, et sans savoir où elle va, pour être la première surprise de ce qu'elle découvre sous sa propre plume. Du coup elle se trouve fort démunie quand elle pose le point final. Elle avoue ne plus savoir alors ce qu'elle a voulu dire. C'est là qu'intervient son éditrice, Alix Penent, qui est de fait la première lectrice professionnelle.
Elle prend la parole en s'enflammant encore rétrospectivement : j'ai immédiatement su que ce livre allait faire un carton parce qu'il était rempli de justes métaphores, d'images profondes, et qu'à la fin nous nous identifions aux personnages.
Véronique Ovaldé est bien entendu très fière, mais surtout rassurée, par les prix qui tombent dans ses bras : Ce que je sais de Vera Candida avait déjà reçu le prix Renaudot des Lycéens et le prix France Télévisions 2009. La jeune adolescente qui estimait devoir faire longtemps des gammes avant de se lancer pour de vrai peut regarder derrière elle avec satisfaction. Elle avait décidé après son Bac de travailler dans l'édition, d'abord comme chef de fabrication. Elle cumule aujourd'hui avec succès la double position d'éditrice et d'écrivain.
Un petit sac glacé noir nous fut offert pour y glisser le dernier numéro de ELLE. Nous pourrons ultérieurement bouquiner à la lumière de quelques bougies d'ambiance qui nous furent offertes ainsi qu'un carnet de notes et un stylo aux couleurs assorties. Les récriminations des jurées de l'an dernier, réclamant un abonnement, n'ont pas été entendues mais il semblerait que les photophores soient le petit "plus" de l'année.
On proposa à celles qui n'avaient pu le faire à l'occasion de la rencontre organisée un après-midi au salon du Livre de faire dédicacer leur livre. Coup de chance : je fus la seconde à tendre le mien à Véronique. Par contre la queue qui s'était formée devant la table d'Eric fut dissuasive et je remis cet instant à plus tard. (il y eut un moment opportun après l'annonce des prix)
Je me suis trouvée du coup disponible pour l'interview dont quelques extraits figurent dans le petit reportage qui chapeaute le billet.
Et puis ce fut la traditionnelle photo de famille ponctuée d'éclats de rire et de bousculades sur les marches du grand escalier, où je suis à peine reconnaissable à l'extrême gauche.
Un moment de flottement s'ensuivit.
Les invités commençaient à arriver, accueillis dans le hall par Pascale Frey , la spécialiste "policiers" de la rédaction, (pull orange tango) ou par Jacqueline Gérard (photographiée ici en compagnie du si charmant Philippe Grimberg, auteur d'Un secret, lauréat du Goncourt des lycéens 2004 et du prix des lectrices de ELLE 2005).
A l'étage les salons étaient encore clairsemés. Chacun était en quelque sorte sur le mode pause, comme diraient nos ados.
Nous attendions poliment les discours officiels sans dévisager les nouveaux venus.
Olivia de Lamberterie fut parfaite. Eric Fottorino et Véronique Ovaldé furent émouvants. A écouter le sympathique éditeur de Jesse Kellerman et ses remerciements en série on se serait cru à la cérémonie des Césars.
Que ceux qui n'ont pas été lire le compte-rendu de Sandra ne s'en privent pas : elle a filmé l'essentiel des discours, me faisant regretter l'archaïsme de mon équipement. J'ai depuis investi dans un appareil photo qui devrait me permettre de capturer des images dans les pires conditions, mais je regretterai sans doute certains flous "artistiques".
Le moment n'était guère propice à discuter avec Nathalie Rheims, ancienne collaboratrice du magazine, (bras croisés au centre de la photo ci-contre) dont j'avais tant aimé le Chemin des sortilèges, paru en 2008 chez Léo Scheer.
Comment demander un entretien à Franz-Olivier Giesbert, interroger Patrick Poivre d'Arvor dont je dois voir dans une semaine la générale de Carmen qu'il a mis en scène avec Marion Savary pour opéra en plein air, dire à Philippe Claudel (encore un lauréat du prix Elle) que j'aimerais faire son portrait pour le blog lorrain auquel je collabore ?
C'est alors que la plupart des jurés se sont senties redevenir de simples quidams. Chacune le dit, parfois en termes désabusés (Combien de fois ai-je entendu : on redevient un numéro). Difficile en effet d'oser adresser la parole aux célèbres auteurs non plus qu'à leurs éditeurs. Même les attachées de presse ne semblaient pas avoir d'oreilles pour les lectrices, oubliant sans doute que certaines bloggeuses peuvent vite propager un bouche à oreille positif à propos des nouveautés de leur maison ... ou pas.
Restaient le buffet, les vins, le champagne mais nous n'étions pas venues spécialement pour cela. Et quelques personnalités lumineuses comme Sarah Kaminsky dont les confidences de son père sur sa vie de faussaire lui ont permis d'écrire un livre qui a très bien été noté par les jurés (voir mon billet du 6 mai). Notre conversation fut passionnante et passionnée. Je pourrais en dire autant d'Owen Matthews dont j'avais beaucoup apprécié les Enfants de Staline (voir billet du 18 mai) et qui m'a fait une gentille dédicace.
Je n'ai pas aperçu Hervé le Tellier dont j'espérais la venue malgré son élimination par mes consœurs du jury de mars. Assez parlé d'amour n'avait pas passé le cap de ce mois. Il y parlait de dédicace avec humour ...
Après plusieurs mois que la journaliste Marion Hérail qualifie de "lecture acharnée et passionnante"les membres du jury du Grand Prix des Lectrices de ELLE sont reparties sur la pointe les pieds pour reprendre une activité dite normale. Cette page est tournée mais que vive encore la lecture dans nos foyers et sur nos blogs !