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Edgar Hilsenrath, Le Nazi et le Barbier, traduit par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb, Attila

Publié le 24 juin 2010 par Irigoyen
Edgar Hilsenrath, Le Nazi et le Barbier, traduit par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb, Attila

 Edgar Hilsenrath, Le Nazi et le Barbier, traduit par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb, Attila

Quelle bonne idée de redonner vie à ce roman initialement paru chez Fayard en 1974 avant qu’il ne se perde dans les rayons ! 

Le livre raconte un itinéraire somme toute assez classique dans l’Allemagne de la République de Weimar. Attiré par le discours nazi - qu’Hilsenrath surnomme le Parti du Fils de la Providence - Max Schulz, ami d’enfance d’Itzig Finkelstein, décide de s’engager chez les SA puis les SS après la Nuit des Longs Couteaux, avant de franchir encore un cran dans l’horreur et devenir gardien du camp de concentration de Lauwalde en Pologne.

Dès les premières lignes, on est pris par ce texte qui ressemble à une chronique dont rien n’échapperait à la sagacité d’un commentateur doté d’un sens de l’humour noir absolument redoutable. Ainsi, quand il décrit le côté messianique du Führer dans la localité de Wieshalle ou qu’il montre comment l’envie meurtrière s’empare de certains hommes de cette époque.

« Ensuite, songez aux bâtons secondaires et incolores de mes adversaires de foot, de mes professeurs qui m’ont torturé, de mes camarades d’école qui m’ont dénigré et dont je n’ai pas encore parlé parce que je ne veux pas tout dire tout de suite, parce que je ne veux pas abuser de votre patience. (…) Je me suis procuré de nouveaux bâtons, de meilleurs bâtons. Meilleurs que les anciens lorsqu’ils étaient flambant neufs. Je ne les ai pris ni en jaune ni en noir, mais dans les couleurs de mon choix. Et puis, il me fallait plus qu’une seule victime. C’est vrai ça, une seule victime, ça rime à quoi ? Moi, il m’en fallait une pour chaque blessure. Une pour chaque sourire narquois, que ce soit du bon Dieu ou de mon voisin de palier, de qui vous voudrez. »

 

Bien avant Jonathan Littell, Hilsenrath met en scène un bourreau décrit avec l’humour juif. Et c’est ce cocktail osé qui prend, qui agit et ne vous lâche plus.

« Ce n’est qu’avec la campagne de Russie que c’est devenu vraiment dingue. Einzatzgruppe D dans un secteur au sud de la Russie. Mais ça, c’était bien plus tard. En 1941. »

 

À la fin de la guerre, Schulz réussit à passer entre les mailles du filet des nouveaux occupants. Il rencontre sur son chemin des êtres que les six ans de guerre n’ont pas ébranlé dans leurs convictions.

 

« Tu crois que le Führer savait que les paysans allemands étaient juifs ? »

 

Après le conflit, on apprend que dans le camp de Lauwalde où officiait Max Schulze, 200.000 Juifs ont été assassinés.Tout cela laisse de marbre l’ancien gardien qui tente comme il peut de se justifier :

-Personne ne devait savoir. C’est ce qu’on nous a dit : ni vos femmes ni vos enfants. Personne !

-Parce que ces assassinats n’étaient pas légaux ?

-Si, si, dit Max Schulz. C’était parfaitement légal. Mais faire circuler des fausses rumeurs, ça s’était interdit !

-Parce que c’étaient des fausses rumeurs ?

-Vous ne pouvez pas la fermer, bordel, dit Max Schulz. C’était comme ça. J’y peux rien.

 

Quand il comprend qu’avec un tel passif il risque gros, Max Schulz décide de changer d’identité. C’est alors qu’il choisit d’usurper celle d’Itzig Finkelstein, son copain d’enfance, qui a lui-même péri à Lauwalde. Commence alors un lent mais incroyable travail de falsification.

Où je me suis réfugié ? Où voulez-vous qu’un juif se réfugie en Pologne ? Dans la forêt évidemment. Je me méfiais des Polonais, ils étaient encore plus antisémites que les nazis.

 

Max Schulz fera la connaissance d’une comtesse dont le seul désir est de gagner à nouveau de l’argent pour retrouver un statut social digne de ce nom. En plus d’être amorale, cette femme s’avère être une vraie antisémite :

moi qui pensais que vous étiez un peuple de lopettes, de boutiquiers et de je ne sais quoi. (…) Un antisémite, c’est comme un cancéreux. A un stade trop avancé, ça ne sert à rien d’opérer.

 

Avec Hilsenrath, un chat est un chat. Quand il s’agit de montrer que les abrutis qui ont tout de suite formé le gros des bataillons pro-Hitler sont restés dangereux, il le fait :

Il (Max Rosenfeld) est le seul survivant d’une famille de sept personnes. Il s’imagine que les sbires d’Adolf Hitler ont transformé sa femme et ses cinq enfants en savonnettes. En tant que barbier, j’aurais aimé lui poser la question : quelle sorte de savon.

 

Max Schulz réussira tellement bien à habiter cette nouvelle identité qu’il prendra part à la naissance de l’état hébreu. Ainsi, en 1948, il part pour la Palestine à bord d’un bateau, l’Exitus.

Je ne vous raconterai pas la suite, histoire de ne pas tuer l’effet de surprise, en particulier lors de la scène finale où l’on assiste à un tête-à-tête particulièrement savoureux.

Notons que, pour ce livre, Edgar Hilsenrath avait pensé à une forme épistolaire avant d’abandonner l’idée – si vous aimez le genre, je vous conseille Kressmann Taylor, Inconnu à cette adresse -.

Quand il sortit en 1977, le roman déclencha un énorme scandale outre-Rhin. On parla alors de « cochonnerie, d’obscénité ». C’est sans nul doute lié au fait que l’auteur présente nos cousins germains comme des gens avides de tueries et qu’il dénonce aussi l’attitude pour le moins étrange de la nouvelle RFA vis-à-vis d’Israël.

Les amoureux de langue corrosive, d’humour décapant se régaleront.

Il faut saluer la performance d’Hilsenrath qui réussit à garder d’un bout à l’autre du livre cette noirceur.

Lisez Hilsenrath et riez. N’ayez surtout pas honte de rire. C’est peut-être le premier acte de défiance contre la stupidité. Celle qui conduit droit à la terreur.


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