Magazine Culture

Carnets de déroute, suite

Publié le 12 décembre 2007 par Bertrand Gillet
Puis, une courte pause avant que Sourya ne déboule en force, oui je trouve que l’adjectif leur va comme un gant de cuir surpiqué et piqué au bouquin de Michael Leigh, The Velvet Underground, une enquête aussi hasardeuse que vénéneuse sur les déviations sexuelles des ménagères américaines des banlieues. Le groupe s’installe et j’entends sourdre dans le magma de l’électronique vrombissante une clameur intense, une impatience à peine feinte, Sourya est une jeune formation désirée. Le set démarre enfin et alors que tous se mettaient machinalement en mouvement un constat me vint à l’esprit. Sourya peut être légitimement classé dans la catégorie Hypnotic Sprectral Abrassive Pop Rock Psychodark & Robotic. Putain, ces mecs sont fous, ils synthétisent le temps d’une performance, je dis bien d'une performance, tout ce que la pop musique a pondu en 47 ans de bons et loyaux sévices. La transe commençait à gagner la foule qui secouait ce corps de glaise alors que les sonorités sculptées s’évanouissaient à mes oreilles, comme les filles, elles, qui se pâmaient dans un ondoiement de jupes légères. Le groupe rodait les titres de son nouvel EP, Stockholm 1973, et là, je dois bien l’avouer, il ne m’a pas fallu plus d’une seconde pour haïr les compos de Christophe Willem et pour tomber sous le charme vicieux du songwriting de Sourya, il y a dans leur matos le fruit d’une intense création restituée sous forme de rythmes tendus, de guitares rouillées, de nappes de claviers et d’électronique viscérale ; du rock pour danser et de la pop pour philosopher. L’enseignement même des sixties, de Sergent Peppers à Raw Power, l’avènement du 33 tours en tant que concept, pierre angulaire de la création et c’est là précisément que la France patine dans le marasme d’une production dominée par la trinité Variété-Rap-Rock en Français. Le marché est inondé, tel le visage extatique d’une porno star, de maxi single extended version remixé par DJ Médiocrité, rien de séminal, rien de dangereux et pourtant, imaginez un peu un Iggy Pop dans la défroque carnassière du gendre idéal, adieu Corneille ou Bénabar, vision de cauchemar total pour la ménagère de moins de 50 ans. Au fond, cette hégémonie du Hit que l’on écoute pour le jeter aussitôt dans les poubelles informatiques de la désolation de masse ne peut s’expliquer ni s’excuser. Quant aux tenants du « parler-chanter en français », ces petits fonctionnaires de la pensée unique n’ont pas perçu, dans leur aveuglement d’énarques crypto-bozos, la dimension universelle de la pop, forcément chanté en anglais, car il faut bien le dire, la pop roumaine n’est qu’un fantasme de plus, rien à voir avec une tranquille et bucolique ballade anglaise, un dimanche après-midi après le rosbif haricots verts à la menthe servi dans l’unique but d’oublier la platitude générale d’un occident trop prompt à se laisser dévorer par ses appétits matiériels. Pop is so british man, mais au diable les palabres, j’étais donc en transe, ma tête voulait quitter mon corps, satellite de l’amour mis en orbite dans la vaste plénitude de l’espace ceinturé de vaisseaux spacieux dans une vision orchestrale puissamment Kubrickienne. Elle était là la science de Sourya, étrange mixture faite d’explosion de molécules dans les éprouvettes de l’expérimentation rock. Je quittais le Zèbre le cœur gonflé comme une oriflamme fouettée par les vents, songeant à Sandoz, que je regrettais alors, lui qui avait éveillé en moi de folles espérances. Il aurait pu d’un claquement de doigts accélérer le cours du temps, porter ces deux groupes incroyables au firmament de la gloire en lettres de néon, mais il n’était plus là, ses atomes s’étaient éparpillés sur la surface monochrome d’un mur, tout s’était alors éteint. Je marchais, méditant cette dernière phrase, quand l’impensable arriva. Je vis devant moi une autre bouteille de bière, vide. D’un geste un seul, je la saisis, bus dedans puis la frottai en espérant voir surgir un quelconque génie au chômage technique. Mais rien. NADA. Ce qui ressortit de tout cela, des expériences passées, passées de la consommation à l’hallucination ? Un rot long, puissant, lancé vers le ciel noir qui, perplexe, me contemplait en chat de faïence.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Bertrand Gillet 163 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte