« J’épouse un ventre », aurait confié Napoléon peu avant ses secondes noces avec l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. Nous étions en 1810. Etrange aveu, plus terrible encore que goujat, et dont on se demande s’il n’est pas apocryphe : l’Histoire, de la « barbe fleurie » de Charlemagne aux soldats partant « la fleur au fusil » en 1914, abonde de ces clichés scolaires que les historiens, pourtant, récusent le plus souvent. Car ce mot prétendu de l’Empereur semble sérieusement remis en question par la belle exposition qui se tient au château de Compiègne jusqu’au 19 juillet prochain, intitulée 1810, la politique de l’amour, Napoléon Ier et Marie-Louise à Compiègne.
Saisir le prétexte du bicentenaire du mariage impérial et insister sur le rôle géographique central qu’y joua Compiègne pour évoquer la figure trop peu connue de Marie-Louise constituait un défi, relevé avec brio par les commissaires de l’exposition. Les manuels d’histoire, tout comme l’inconscient collectif, ont surtout retenu l’image de Joséphine ; sa beauté, sa finesse, son caractère assez fantasque, son raffinement parisien, alliés à la passion qu’elle inspira au fougueux Bonaparte, témoignaient en sa faveur devant la postérité. La seconde impératrice, bien plus sage, plus discrète, presque provinciale avec sa stricte éducation autrichienne, reste encore confinée dans une ombre que l’indigence de la recherche historique qui lui est consacrée atteste.
Certes, nul ne pourra nier que cette alliance répondait à une double nécessité politique : assurer au trône impérial une descendance légitime et construire un axe diplomatique entre un empire français alors à son zénith, en dépit du bourbier espagnol, et un pays que la Grande armée avait défait un an plus tôt, notamment à Wagram, mais qui comptait toujours sur l’échiquier européen où l’Angleterre, la Prusse et la Russie constituaient pour la France une menace permanente. Certes encore, Napoléon, en visionnaire et en stratège, eut préféré un mariage russe plutôt qu’autrichien. Certes enfin, Marie-Louise ne possédait pas la beauté de Joséphine. Une lettre du maréchal Berthier, dépêché à Vienne pour organiser le voyage de la jeune fille vers la France, en avertit l’Empereur : sans être une « jolie femme », elle avait « tout ce qu’il faut pour faire le bonheur de Votre Majesté ». Si cette description mi-figue mi-raisin apparaît peu sur le portrait que Gérard réalisa d’elle (et qui figure en couverture du très beau catalogue) ou sur le buste idéalisé sculpté par Bosio qui accueille le visiteur, elle est en revanche révélée sans concession par un autre buste, dû à Canova. Ce sculpteur, qui avait immortalisé Pauline Borghèse en Vénus Victrix, nous offre en effet ici un portrait peu flatteur, aux yeux globuleux, aux joues rebondies et au nez proéminent.
Pour autant, il serait réducteur de penser que Napoléon ne voyait en Marie-Louise qu’un « ventre ». Car, pour singulière ou improbable que fut cette union, menée tambour battant, d’un fils de la Révolution que Vienne considérait comme un « monstre » et de la petite-nièce de Marie-Antoinette – alliance de raison conseillée par Talleyrand lui-même – il semble bien que l’amour vint s’y mêler (il avait 41 ans, elle, 18). Les quelques 224 œuvres et documents présentés à cette exposition, venus de collections publiques et privées françaises et étrangères, le suggèrent si fortement que le mythe répandu d’une vierge sacrifiée au Minotaure n’y résiste pas.
Suivant un ordre chronologique, la muséographie s’attache à dessiner le contexte de cette alliance, notamment à travers une belle toile de Roehn, Bivouac de Napoléon Ier sur le champ de bataille de Wagram, le contrat de mariage des deux époux, des lettres de l’Empereur à Marie-Louise où il s’efforce – détail significatif de l’attention qu’il lui portait – d’être lisible, la célèbre rencontre romanesque en forêt de Soissons (gravure par Ludwig Frederich Kaiser) où Napoléon bouscula tous les protocoles, et L’Arrivée de Marie-Louise à Compiègne, sujet traité par plusieurs peintres, dont Jean-Baptiste Isabey.
La section traitant des cérémonies du mariage incluent des costumes, la parure en or et pâte de verre de l’impératrice, des cadeaux de mariage, mais aussi des peintures tout à fait intéressantes. On comparera spécialement la toile de Georges Rouget, Mariage de Napoléon Ier et de l’archiduchesse Marie-Louise, à celle, gigantesque et conservée au Louvre, du Sacre par David… A voir encore, Le Banquet du mariage, par Dufay. Les amateurs de dessins, d’orfèvrerie, de porcelaines, de tapisseries, de reliques et de mobiliers trouveront de nombreux objets, dont le métier à broder, la table à dessiner, la table de toilette et deux bibliothèques de l’impératrice. On notera encore un portrait en pied de la même par Paulin-Guérin d’après Gérard, un portrait de Talleyrand par Prud’hon, un autre de Berthier, par Pajou et, surtout, Psyché et l’Amour, cet exceptionnel marbre de Canova prêté par le musée du Louvre.
Cette belle réunion d’œuvres, de documents historiques et d’objets d’art, qui s’achève tout naturellement par le Portrait de l’impératrice présentant le roi de Rome de Gérard, constitue la première exposition, en France, consacrée à Marie-Louise. Plus qu’à une réhabilitation de la souveraine, c’est à un parcours initiatique, jusqu’à l’intimité de son cadre familier, que le château de Compiègne invite. Quant à vouloir aller plus loin, le visiteur pourra se reporter aux textes du catalogue, lequel bénéficie en outre d’une riche iconographie (RMN, 208 pages, 45 €).
Illustrations : Couverture du catalogue - Georges Rouget, Mariage de Napoléon Ier et de l’archiduchesse Marie-Louise, Huile sur toile, 1810, 1,85 x 1,82 m. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles © Rmn / Gérard Blot – Antonio Canova, 1797, L’amour et Psyché debout, Marbre, H 1,45 m. Musée du Louvre, département des Sculptures, Paris © Rmn / Stéphane Maréchalle – Alexandre Maigret, Métier à broder de Marie-Louise pour Compiègne, Acajou, bronze ciselé et doré, velours de soie verte, 0,96 x 1,40 x 0,53 m. Musée national du palais impérial, Compiègne © Marc Poirier – Thomire et Odiot, d’après Prud’hon, 1810, Corbeille de mariage, Bois et bronze doré, 1,70 x 1,35. Musée Lombardi, Parme © museo Glauco Lombardi – Parme.