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"Design moi un mouton"

Publié le 23 août 2010 par Mojorisin

Oscar Wilde situait le dandysme dans la tentative d’atteindre une existence dont l’esthétisme se rapprocherait le plus possible d’une œuvre d’art. Pareille quête implique une constante attention puisque chaque élément doit résulter d’une stricte sélection; sélection quant au choix de sa tenue, de son langage, de ses amis, des établissements fréquentés, de son mobilier ou encore de ses habits, rien ne doit être laissé au hasard. Chaque chose possède une signification en accord avec les autres composantes afin de maintenir une certaine cohérence, et de leur somme s’esquisse l’identité et la vie de chacun. A chacun ensuite d’estimer la beauté du tout. Voilà ce qu’est le dandysme. Futile et arrogant pour certains, il n’en demeure pas moins que nous y tendons de plus en plus ; sauf que maintenant nous appelons cela le style. Et à chaque style sa cohorte de produits (à voir : le dictionnaire du look qui répertorie avec humour les différents styles et ce qui les accompagne). Ainsi le moindre objet doit refléter cette quête dont l’esthétique varie en fonction des époques. Voilà ce qu’on nomme Design.


Oscar Wilde

Les 70 premières années du 20ème siècle furent qualifiées de modernes dans le sens où la foi en la science et la technologie s’incarnaient dans un optimisme presque sans bornes en l’avenir. Pas de regard en arrière, en direction du passé, ce qui se traduisit par la conception de formes nouvelles modelant des objets et des bâtiments conçus rationnellements (pas de superflue, d’ornements…) avec des matériaux industriels (métal, verre…), dans une optique principalement fonctionnelle.

                             Chaise MR, Ludwig Mies  van der Rohe (1927)                                      Chrysler Building (1930)                    

Bien entendu, chercher à asseoir sa vie sur le trône des Arts implique que les objets accompagnant cette quête s’inspirent de l’art en vigueur, ce qui explique l'influence cubiste, surréaliste, ou encore abstraite, dans l'esthétisme du mobilier de cette époque. En ces temps influencés par le marxisme, l’art accordait une grande place aux formes géométriques et épurées, innovantes, voire révolutionnaires, et diffusibles à grande échelle. Les styles art Déco, Bahaus, ou encore de Stijl, furent autant de variantes de cette même logique.

                Rouge et Noir sur Fond Bleu, Joan Miro                   Egg Chair, Arne Jacobsen

Mais à l’aube des années 70 une nouvelle génération commença à critiquer cet esthétisme jugé déshumanisant par son fonctionnalisme dénué de la moindre signification autre que celle d'être pratique. Il fallut alors insuffler du sens à cet environnement aride tandis que l’optimisme des modernes s’essoufflait et les regards se tournaient à nouveau vers le passé. Les sociétés post-industrielles abordaient soudain le tournant post-moderne avec la pop comme nouveau langage. La fin d'une époque en somme.

       

Finies les créations incompréhensibles, abstraites, l’art lui-même s’enracinait à nouveau dans le contemporain avec ses installations conceptuelles et ses toiles inspirées de la pub et du cinéma. Le design devait donc lui aussi évoluer, s’inspirer du passé (pour mieux le détourner) sans pour autant renier le présent là où les modernes ne juraient qu'en l'avenir.

           Melody haunts My Reverie, Roy Lichtenstein (1965)   Shampoo Polishers, Jeff Koons (1980)

Dès lors, la frontière entre art et design s’estompa progressivement, et ce qui s’initiait déjà du temps des modernes (Dali s’essaya au design avec son sofa en forme de lèvres) ne fit que s’étendre.

Mae West Lips, Salvador Dali (1937)

Le design commença, et continue encore, à concevoir de l’art contemporain pratique, et donc commercialisable à plus ou moins grande échelle. L’objet ne peut dés lors plus se contenter de sa fonction, il doit également contenir une référence lui conférant un sens. Il suffit de regarder les T-shirts, le mobilier, ou certains bâtiments actuels, tous possèdent une référence (humoristique, culturelle....) issue d'un détournement. Le designer doit ainsi savoir jouer des symboles pour transmettre un message (un peu comme une accroche publicitaire), comme l'artiste contemporain, mais en gardant l'aspect pratique de son produit en tête.

   

        Perspective Chair, Pharrell Williams (2008)                              T-Shirt Eleven (2009)

Car à l’ère post-moderne l’art n’est plus restreint aux seuls murs des musées, les artistes collaborent grandement avec les marques en réalisant au final l’ambition d’Oscar Wilde, du moins en partie, d'associer le pratique au beau. La pop fonctionne ainsi, par des jonctions et des rencontres plutôt surprenantes. En s’entourant d’objets conçus par des artistes, ne nous entourons-nous pas d’œuvres d’art ? Et en nous entourant d’œuvres d’art ne parvenons-nous pas à auréoler un peu de notre existence d’une dimension artistique ? En tout cas, si les objets dégagent à présent du sens, ceux-ci parlent pour nous (dis moi ce que tu possèdes et je te dirais qui tu es). Et à l'ère de la production de masse le dandysme, philosophie particulièrement élitiste en son temps, trouve une diffusion populaire si chère aux modernes.  

Perrier, Dita Von Teese


Mais après tout à chacun de conférer aux ojets qui l’entourent le sens qu’il souhaite, même si celui-ci diffère des intentions de son créateur. Le petit prince se contente de la caisse contenant le mouton qu’il désire voire dessiner par le narrateur car de la sorte il est libre de l’imaginer. Le narrateur ne voit qu’une caisse là où le petit prince perçoit son mouton. Alors au designer demandons : « s’il te plaît, design moi un mouton ».


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