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Le Champagne veut s'étendre

Par Marie Servagnat

Un article interressant lu sur le site du Monde. Je le reproduit ici avant qu'il ne devienne payant
Le vignoble champenois devrait s'étendre pour satisfaire la demande
Du haut de ce coteau de Bouzy (Marne), un des plus prestigieux villages champenois, Rémi Brice pointe son doigt vers une pente : "Cela se voit à l'oeil nu. Là-bas, j'en suis persuadé, quelqu'un pourra un jour produire du raisin." Un tiers de la pente est déjà planté en vignes, les deux autres ne sont qu'un vulgaire champ agricole.
Le jeune homme est issu d'une vieille famille de vignerons propriétaire de 7 hectares. Et à l'avenir peut-être davantage. Avec son père et son frère, ils pourraient bien bénéficier de la future révision des limites de l'appellation d'origine contrôlée (AOC), qui permettra à de nombreux Champenois, vignerons ou non, de faire une jolie culbute financière.
"Nous sommes au taquet. Il n'y a plus rien de disponible dans l'AOC, 98 % des terres autorisées sont cultivées", explique Pascal L'Hoste, vice-président du Syndicat général des vignerons. Or le champagne croule de plus en plus sous la demande mondiale, et s'il n'en avait tenu qu'au marché, bien plus que les 339 millions de bouteilles vendues sur un an, à la fin octobre, aurait pu être écoulé.
Mais il faut se satisfaire de l'offre disponible : la production est limitée, par une loi de 1927, sur 33 500 hectares, répartis dans 319 communes. Dans ce contexte porteur, beaucoup réclamaient d'intégrer la zone sacrée. Le Syndicat général des vignerons a finalement voté en faveur d'une modification de l'AOC, qui occupe bien des conversations.
Ici, on parle de "révision", et certainement pas d'extension, car l'objectif officiel affiché par les vignerons comme les grandes maisons de champagne est d'harmoniser la qualité des parcelles du célèbre terroir crayeux. Mais ils reconnaissent en aparté qu'il y aura bien quelques milliers d'hectares supplémentaires. Sinon, à quoi servirait de se lancer dans une telle opération ?
Dirigée par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), elle fait intervenir un groupe d'experts indépendants (géographe, historien, agronome et phytosociologue), qui vont dénicher les terres méritant l'appellation. Puis le Conseil d'Etat examinera le dossier, puis des consultations publiques seront organisées... Tout cela prendra des années, auxquelles il faut ajouter le temps de faire pousser la vigne et d'élaborer le champagne. Les premières bouteilles ne devraient pas sortir des caves avant au moins quinze ans.
"On a tous quelques parcelles qui pourraient être classées", explique un autre vigneron de Bouzy. Propriété de la famille Brice, quelques champs jusqu'à présent cultivés par des cousins agriculteurs pourraient ainsi rejoindre l'appellation. Rémi Brice ne dit pas quelle superficie est en jeu ni combien vaut l'hectare. Mais tout le monde le sait : ici, il avoisine le million d'euros, quand l'équivalent en terre agricole se négocie quelques milliers seulement. Chaque mètre carré vaut de l'or, et on trouve des clos de vigne jusque dans les jardins.
De façon générale, les prix ont bondi depuis dix ans, et les transactions sont devenues rares, plus personne ne voulant vendre (en moyenne, l'hectare planté vaut plus de 600 000 euros). Logiquement, les futures parcelles de vigne seront situées dans le prolongement des anciennes. C'est déjà le cas pour la première phase du processus de révision, qui s'achève bientôt et a consisté à faire le choix de communes qui pourraient intégrer l'appellation. Plus tard, entre 2009 et 2015, les experts s'interrogeront, dans les nouvelles et les anciennes, sur les parcelles à retenir.
Après dix-huit mois de repérage, le comité d'experts a donc rendu cet automne ses premières propositions : une présélection de 40 toutes nouvelles communes. La liste finale sera décidée en mars 2008, après validation de l'INAO.
A Soulanges, à Blacy ou ailleurs, on se frotte les mains. Certains villages s'attendaient à être présélectionnés, car on y avait déjà cultivé la vigne avant l'invasion du phylloxéra, il y a un siècle. D'autres non. "Autour de chez moi, à Bassuet près de Vitry-le-François, les géologues ont trouvé des communes qui n'avaient rien envisagé... Elles sont ravies", raconte M. L'Hoste. Lui espère obtenir 1 hectare supplémentaire pour son exploitation qui en compte 7. Chose commune dans l'AOC, 3 lui appartiennent et il loue les autres à une dizaine de particuliers, surtout des retraités.
Qui cultivera les nouvelles parcelles ? Les viticulteurs eux-mêmes, s'ils en sont dotés, les agriculteurs qui pourront reconvertir leurs champs, ou encore des vignerons ou des maisons de champagne qui rachèteront des parcelles ou exploiteront pour les nouveaux titulaires, en leur versant le tiers du chiffre d'affaires de la récolte. Soit, pour 1 hectare de qualité moyenne, avec un raisin à 4,50 euros le kilo, quelque 14 000 euros par an. Un chiffre à relativiser cependant : en Champagne, on parle plutôt en ares (1 centième d'hectare). La parcelle moyenne en fait 12, soit 1 200 mètres carrés.
Mais tout le monde ne sera pas servi comme il l'espère. "Nous aurons affaire à quelques ingrats et à beaucoup de mécontents", prévient Daniel Lorson, porte-parole du Comité interprofessionnel du vin de Champagne. Et c'est justement pour éviter les pressions politiques ou économiques que les professionnels ont choisi des critères techniques stricts, et une philosophie : améliorer la qualité dans l'intérêt de tous.
C'est ainsi au nom de l'intérêt collectif que deux communes de la Marne, sur proposition des experts, pourraient carrément être déclassées. Germaine, dont les parcelles sont exploitées par l'incontournable Moët et Chandon, mais connues dans tout le milieu pour être particulièrement mal exposées. Mais aussi Orbais-l'Abbaye, où produit notamment Vranken-Pommery.
Dans les communes classées depuis 1927, des parcelles pourraient aussi être sorties de l'appellation. Toute une affaire, même s'il devrait être possible de conserver le droit de produire pendant trente ans. Vu l'enjeu, dans la riche Champagne, on s'attend déjà à des milliers de recours.
Laetitia Clavreul

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